Deux journalistes, un éditeur de presse électronique, un lanceur d’alerte sur le web sont entre les mains des services de sécurité depuis vendredi soir. Point commun, l’évocation de l’affaire de la saisie record de cocaïne à Oran.
Le pouvoir politique algérien a t’il succombé à une panique soudaine ? La vague d’arrestations qui s’est déclenchée le vendredi 01 juin dans la presse électronique le laisse penser. Saïd Boudour, journaliste et éditeur de JCA a été quasiment enlevé par une escouade de policiers en civil un peu après 19 heures à Oran, place des Victoires en bas du siège de la LADDH d’ou il venait de sortir. Membre co-fondateur du syndicat algérien des éditeurs de la presse électronique (SAEPE) et de la délégation qui devait être reçue les prochains jours par le ministre de la communication Djamel Kaouane, Said Boudour a été transféré dans la nuit vers Alger. Le président de la LADDH Maitre Salah Debbouz a signalé dans la soirée d’hier que le lanceur d’alerte Nourredine Tounsi travaillant au port d’Oran a été également arrêté et transféré vers Alger dans le cadre de la même affaire. Quelle affaire ? Les incidences de la saisie record par l’ANP d’une cargaison de 701 kg de cocaïne sur un bateau au large d’Oran. Un autre média électronique, Algérie Direct a subit la vague de répression qui est tombée sur l’édition électronique ce vendredi, son directeur Adlene Mellah et son rédacteur en chef Khelaf Benhada sont injoignables depuis qu’ils ont reçu une convocation des services de sécurité. Leur média a publié un article évoquant des dessous supposés de l’affaire d’Oran et citant le journaliste Saïd Boudour. La brutalité et la soudaineté des arrestations rappelle l’affaire du général Hocine Benhadid, en septembre 2015 lorsqu’il a été quasiment enlevé par des éléments de la gendarmerie nationale en plein autoroute pour finir en prison. Les commentaires du général à la retraite sur les prétentions supposées de Saïd Bouteflika de succéder à son frère et sur la capacité du général Gaid Salah à empêcher cette succession avaient provoqué cette réaction disproportionnée. Cette fois, il s’agit de journalistes de la presse web et de lanceurs d’alerte. Le traumatisme de cette vague d’arrestations était tellement puissant dans la filière de l’édition électronique que des rumeurs ont commencé à circuler ce samedi après midi au sujet de nouvelles arrestations touchant tout journaliste qui a évoqué l’affaire de la Cocaine d’Oran. LEe chiffre de huit journalistes interpellé a même du être vérifié avant d’être démenti au sein du SAEPE. Alors pourquoi un tel déploiement répressif ?
Une affaire qui menace le cœur du système ?
Plusieurs pistes se proposent à l’analyse pour comprendre ce mouvement de panique dont sont victimes journalistes et éditeurs de la presse électronique. La première est la plus évidente. Le pouvoir politique ne veut pas que les journalistes s’emparent de ce dossier du trafic de la cocaïne dont l’ampleur a proprement choqué l’opinion algérienne. Des noms d’associés en affaire avec le milliardaire Kamel Chikhi, dit Kamel le boucher, principal suspect de ce trafic international, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. La proximité du suspect actuellement en garde à vue, avec le FLN du 4e mandat et le financement des campagnes présidentielles a déjà été rapportée dans la presse. Des noms, en particulier, de parents de militaires hauts gradés et en fonction, ont été évoqués sur les réseaux sociaux. A ce stade rien ne permet de confirmer de telles pistes. Les complicités qui, dans cette hypothèse, ont permis de mettre en place un tel trafic se situent à un niveau qui ouvre la porte à une crise morale de l’Etat. C’est ce qui expliquerait la réaction brutale des services de sécurité pour pousser les médias à l’autocensure au sujet des ramifications de l’affaire de la cocaïne d’Oran. L’interpellation du lanceur d’alerte Nourredine Tounsi, procéderait de la même volonté d’intimider les citoyens sources primaires d’information pour les journalistes. La nuit des longs couteaux subie par l’édition électronique viserait à stopper l’hémorragie. Plus d’articles sur le sujet, plus d’investigations, plus de révélations.
Une lutte de clans dans le système Bouteflika ?
Une autre piste possible pour expliquer les évènements en cours serait la guerre des clans par guerre des services interposés. Cette lecture reprise par Algérie Direct citant notamment Saïd Boudour, repose essentiellement sur un élément factuel intriguant : le fait que ce soit l’armée qui se soit emparée du bateau au large d’Oran alors que l’opération aurait du échoir aux douanes nationales à quai dans le port d’Oran. Le risque que le bateau se déroute et n’entre pas au port d’Oran a été évoqué, mais paraît peu convaincant alors que son plan de navigation, via Valence, avait été respecté sans accroc depuis le Brésil. L’intervention de l’armée sur le bateau, dans un rôle qui ne devrait pas lui revenir, a ouvert la porte à des spéculations sur une compétition entre services et entre institutions dont l’enjeu serait politique et mettrait essentiellement en jeu le chef d’Etat major Ahmed Gaid Salah et le directeur général de la sureté nationale Abdeghani Hamel. Les arrestations rapides et sans respect des procédures légales des journalistes et des lanceurs d’alerte seraient, dans le cas de cette supposée compétition des services, une tentative d’identifier les sources de chaque partie afin de maitriser la communication autour de ce scandale dans les prochains jours. L’affaire n’en est en effet qu’à ces débuts.
Trafic de cocaïne ou presse libre ?
Une chose est certaine, les méthodes retenues pour réagir à des publications de presse sur le web, dans une hypothèse comme dans l’autre, sont d’une autre époque. Ils vont dégrader un peu plus l’image de l’Algérie pays fermé, autocratique, non respectueux des droits de ses citoyens. Une image affectée par la toute récente interpellation par l’ONU sur le traitement fait aux migrants subsahariens, expulsés collectivement. Le vendredi noire de la presse électronique pose de manière plus dramatique la question de son statut précaire. Elle n’a pas de statut légal et les journalistes qui y travaillent sont considérés comme des bloggeurs par les juges. Le SAEPE est né pour en finir avec cette situation. Said Boudour en est une des figures principales. Trafic massif de cocaïne ou Presse libre et forte ? Peut être que le premier fleurit plus facilement la ou la seconde dépérit. La panique en cours des autorités algériennes en cherchant à obtenir l’omerta de la presse fait pencher la balance du mauvais coté de l’Histoire.