Les pro-euros ont-ils gagné la bataille ? Un an après la décision des électeurs britanniques de faire sortir leur pays de l’Union européenne (UE), il semble bien que la monnaie unique ait repris des couleurs, et pas simplement sur le marché des changes où son appréciation face au dollar continue d’alimenter les analyses.
En début de semaine, lors de l’ouverture de la quatrième édition du forum annuel de la Banque centrale européenne à Sintra (Potugal), le président de l’institution monétaire Mario Draghi a ainsi estimé que « les cris en faveur de la disparition de l’Union européenne et de l’euro sont désormais à peine plus audibles que des chuchotements». Autrement dit, l’euro est toujours là malgré les Cassandres qui annoncent régulièrement sa disparition prochaine.
L’erreur de Friedman
L’affaire n’est pas nouvelle. En 1996, le célèbre économiste américain Milton Friedman avait jugé impossible la naissance de l’euro. La suite lui a donné tort puisque la devise européenne est née en 1999 pour les transactions financières et en 2002 sous sa forme fiduciaire.
L’inspirateur des politiques économiques néolibérales avait alors avancé des arguments qui sont encore repris aujourd’hui. Pour lui, une union monétaire était impossible sans une union politique. L’Europe n’ayant pas opté pour la voie fédérale et ses membres refusant d’harmoniser leurs politiques économiques, fiscales et budgétaires, la cohérence d’une monnaie commune lui paraissait bien fragile.
Le débat a été relancé en 2010, après la crise financière de 2008, avec la crise de la Grèce et les conséquences d’endettements publics trop importants de plus membres de la zone euro (Espagne, Irlande).
La réponse institutionnelle de l’Europe paraissait trop faible et son manque de solidarité interne, matérialisé par l’extrême fermeté de l’Allemagne à l’égard d’Athènes, était pointés du doigt. Avec ces faiblesses structurelles, on a vu refleurir des analyses alarmistes à propos de l’inéluctable disparition de la monnaie unique.
Le Brexit a donné encore plus d’arguments aux pessimistes d’autant que l’Union européenne n’a guère avancé dans la refonte de ses institutions. Les rivalités entre Etats perdurent et le cas du Luxembourg a mis en évidence la compétition fiscale féroce qui oppose les membres de l’Union économique et monétaire.
Et pourtant l’euro est toujours là. En mai dernier, en France, le Front national dont la campagne électorale a été bâtie autour de l’abandon de cette monnaie n’a pu remporter l’élection présidentielle et a enregistré un score décevant (pour ses militants et responsables) lors des législatives un mois plus tard.
Au-delà de l’attachement des Européens pour leur monnaie, comment expliquer une telle résistance de l’euro dans de telles faiblesses structurelles ? Il faut revenir à la formulation du constat prédictif pour trouver des éléments de réponse. On dit souvent que l’euro est menacé parce qu’il n’y a pas suffisamment d’« Europe politique ». En réalité, ce qui permet à la monnaie unique de résister, c’est la volonté des dirigeants politiques de préserver le statuquo.
Volonté politique
D’une part, ces derniers ne veulent pas aller plus loin dans la convergence des politiques économiques, fiscales et budgétaires. Mais, dans le même temps, leurs efforts tendent à maintenir l’existence de la devise avec, en prime, le soutien déterminant de la Banque centrale européenne qui fait en sorte que les marchés gardent leur confiance à l’euro.
Cela signifie que l’idée que les politiques ont perdu la main par rapport aux forces du marché est fausse. Dans un cadre théorique, comme l’a montré Friedman, l’euro aurait dû disparaître des la première bourrasque. Cela n’a pas été le cas, parce que les gouvernements ont su œuvrer, parfois dans l’urgence, pour le défendre. Cela peut-il durer indéfiniment sans changement majeur dans la structure de l’Union européenne ?
La réponse sera peut-être connue lors de la prochaine crise…