Imaginons que Bourguiba n’ait pas agi comme il l’a fait : où serions-nous ? Or, aujourd’hui, son œuvre restée déjà inachevée, n’ayant pas su ni voulu aller le plus loin qu’il le pouvait, est retournée contre lui. En effet ce sont les intégristes qui prétendent ne pas devoir toucher au Code du Statut Personnel devenu pourtant obsolète.
On continue en Tunisie à cultiver les faux-fuyants et les apparences trompeuses. Ainsi en va-t-il des droits de la femme, emblème vérolé de la modernité tunisienne qu’il urge de rénover. Or, on s’y prend mal et même de la plus mauvaise manière. Témoin en est cette loi votée à la va-vite et qui est en passe d’être promulguée pour coïncider avec la fête de la femme. Or, cette loi est trop imparfaite et ne satisfait que les dogmatiques, sacrifiant l’essentiel à l’accessoire au nom de faux prétextes : le conservatisme social et le principe de réalité.
Aussi, au nom de la femme tunisienne et ce qu’elle mérite d’avancées sérieuses, le président de la République est-il appelé, ainsi que le lui permet la constitution, à ne pas promulguer cette fausse bonne loi pour la renvoyer au parlement afin d’y être améliorée. Or, moyennant déjà une simple modification, on est en mesure de faire de ce texte bel et bien un texte fondateur initiant dans le pays la révolution mentale nécessaire qui y tarde encore.
L’accessoire au lieu de l’essentiel
La loi en l’état sacrifie l’essentiel à ce qui est certes important en soi, mais ne demeurant pas moins accessoire. Ce sont ces questions exclusivement traitées par la loin ne se souciant que du viol juridique de l’article 227 bis, qui demeure bien marginal dans la société et dont l’occurrence n’est favorisée que par la misère sexuelle de la jeunesse du pays qui n’a nul droit en matière sexuelle.
Pourtant, les médias officiels, publics comme privés, refusant leur antenne à un discours autre que celui imposé par l’omerta officielle, font défiler d’anciennes égéries des droits féministes pour vanter cette loi réduite à l’accessoire. Pourquoi ne pas demander son avis à Madame Sana Ben Achour qui avait proposé, en 2014, un projet autrement plus ambitieux et plus complet, ne cédant en rien sur l’essentiel ?
Avec cette loi, on n’a fait que s’aplatir devant les exigences occidentales qui se soucient moins de nos réalités que de valider leurs critères désincarnés, sans relation aucune avec ce qui est nécessaire en Tunisie et ce qui est superflu, ce qui est essentiel et ce qui est accessoire. D’où l’intérêt quasi exclusif pour la question ci-dessus évoquée, ou celle du harcèlement sexuel qui, en une Tunisie au peuple convivial, mais sans droits, n’a pas forcément le même sens qu’en Europe.
Ce qui est nécessaire et essentiel chez nous, c’est d’agir sur le mental et l’inconscient en se souciant de ce qui y bloque la moindre avancée. Aussi, ce n’est pas avec le viol légal de la mineure qu’on réussira à faire bouger les choses en matière de statut d’inégalité de la femme qui a une fausse assise religieuse. De plus, comment se fait-il qu’in se soucie de cas rares de viols (juridiques) de mineures quand on ignore les cas bien multiples d’inégalité successorale, violence absolue marquant l’inégalité de la femme dans le marbre de l’inconscient ? On le voit, cette loi est plutôt une reculade donnant l’illusion de l’avancée. Elle est ainsi rétrograde au sens astronomique.
Par ailleurs, à défaut d’en finir de suite avec l’inégalité successorale qu’on croit inattaquable bien à tort, on pourrait y préparer le terrain en osant remettre en cause des tabous similaires sur des sujets aussi sensibles que le mariage avec un non-musulman, le droit au sexe hors mariage et l’homophobie. Sur cette dernière cause, l’évolution est aujourd’hui parfaitement possible puisque le parti islamiste s’y dit prêt. Partant, s’il y a blocage, il ne viendrait pas des religieux, mais des homophobes laïcistes et même de l’Occident qui jouerait double-jeu
Or, en Tunisie, la société est prête à tous les véritables acquis de la modernité; le mental social y est prêt depuis la révolution, faut-il donc qu’il soit conforté par des lois. En effet, le progrès doit être initié par le législateur pour que les choses bougent, exactement comme l’a fait Bourguiba.
Faux principe de réalité
L’inégalité successorale est assurément le défaut majeur de cette loi imparfaite; c’est bien un gros caillou dans le soulier de tous ceux qui s’en satisfont soutenant qu’elle constitue malgré tout un progrès qui se doit d’être poursuivi. Leur tort est de partir d’un constat faux et de l’asseoir sur ce principe trompeur de réalité qui ne tient pas assez compte du réel. Déjà, ils croient peu dans l’effet de la loi, estimant qu’il y a de fortes chances qu’elle reste lettre morte dans le quotidien et que cela vaut mieux que rien. C’est notamment la vision occidentale qui, forte de sa propre expérience et ses réalités différentes soutient qu’il n’appartient pas au législateur, mais à la société tunisienne, de faire évoluer les choses. Et d’assurer, péremptoirement, que la lutte pour les droits passe d’abord et surtout par une révolution des esprits.
Ce qui n’est juste qu’en théorie, pour une société de droits dans un État de droit; ce qui est loin d’être notre cas. Rappelons ici l’exemple de Bourguiba ! Imaginons qu’il n’a pas agi comme il l’a fait; où serions-nous ? Or, aujourd’hui, son œuvre restée déjà inachevée, n’ayant pas su ni voulu aller le plus loin qu’il le pouvait, est retournée contre lui. En effet ce sont les intégristes qui prétendent ne pas devoir toucher au Code du Statut Personnel devenu pourtant obsolète.
En Tunisie actuellement, tout est possible, le meilleur comme le pire. Pour avancer sur le plan des valeurs universelles, il suffit d’oser, ce qu’on ne fait pas au nom d’un dogmatisme dépassé n’ayant aucun rapport avec le réel populaire. Ce réel admet toutes les avancées. Il faut bien le rappeler ici, s’il y a conservatisme, il est le fait des élites et non du peuple qui ne donne que l’illusion d’être conservateur, étant obligé de jouer l’hypocrisie pour survivre avec des lois scélérates. Nos élites tiennent à contrôler la société qui leur échappe pas ces lois qui obligent les masses à jouer au jeu malsain que je nomme « jeu du je », la société y étant obligée pour ne pas encourir les foudres de la législation injuste. C’est le cas notamment de l’homophobie, notre société paraissant être homophobe alors qu’elle ne l’est point loin des regards et des rigueurs de la loi de la colonisation.
Comment donc se suffire du harcèlement dans un pays où les lois sont injustes et où les jeunes sont privés du droit au sexe, mêmes majeurs? Surtout que le Tunisien a des mœurs conviviales et que ses gestes et paroles peuvent ne relever que de cette convivialité et non du harcèlement. La loi n’ajoute-t-elle pas ainsi des motifs injustifiés de répression contre une jeunesse par trop brimée, augmentant le pouvoir exorbitant des forces de l’ordre et des milices des bonnes mœurs?
Révolutionner les mentalités
En l’état, la loi est une reculade par rapport aux attentes des femmes et de toute la Tunisie. Aussi, les justes, notamment parmi les féministes, devront-ils demander au président de la République de ne pas la promulguer et de la renvoyer au parlement pour y être parfaite. Au pire, on pourrait rajouter l’article 230 manquant à la liste prévue dans l’article 15 qui ose s’arrêter à l’abrogation de 229 du Code pénal.
La loi ne devinerait-elle pas révolutionnaire avec une telle simple modification d’ajout d’article qui viendra révolutionner les mentalités, faisant de notre pays le premier pays musulman légalisant enfin l’homosexualité ?
Le président de la République a tout intérêt de faire le geste salutaire de renvoi de cette loi au parlement pour y être améliorée, et finir alors par marquer l’histoire de la Tunisie et de l’islam. D’autant plus que les islamistes qu’on charge généralement de tous les maux se disent prêts au fatal progrès en matière d’homophobie ! Car les homophobes ne sont pas uniquement islamiques.
Cette loi aujourd’hui ne satisfait que les intégristes, religieux comme profanes, et il importe de la rendre vraiment utile en osant en faire une révolution par un simple ajout d’article abolissant l’homophobe, base de tests honteux de virginité et anal. Ainsi sera-t-elle révolutionnaire comme indiqué dans ce billet.* En s’attaquant à ce tabou de l’abolition de l’homophobie, on amorcera alors bien la pompe ouvrant la voie à la nécessaire égalité successorale, démystifiant ses fausses raisons religieuses.
(*) Cet article a été publié initialement sur le blog de l’auteur. Nous le republions ici avec son aimable accord.