10 Propositions pour relancer le secteur industriel algérien - Maghreb Emergent

10 Propositions pour relancer le secteur industriel algérien

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Cette contribution est une synthèse d’un long rapport rédigé sous la direction de l’auteur* assisté de 26 experts internationaux et remis au gouvernement.

 

1. La politique socio-économique, depuis l’indépendance politique, a été menée exclusivement par l’Etat, avec plusieurs variantes d’organisation : autogestion, sociétés nationales, découpages des sociétés nationales, holdings, sociétés de gestion des participations de l’Etat (SGP) et, actuellement, l’on parle de groupes industriels. Or, l’efficacité d’une organisation est subordonnée d’abord à une cohérence et visibilité dans la démarche. Ensuite, celle-ci doit d’insérer au sein d’une stratégie de moyen terme.

2. Les paramètres macro-économiques de l’Algérie apparaissent comme positifs mais éphémère sans réformes structurelles. Les tendances relatives aux grands agrégats révèlent une macro-économie sous contrôle relatif fonction des aléas de la rente des hydrocarbures qui représente 97-98% des exportations totales.Aussi, le retour à l’endettement guette-t-il le pays horizon 2020 en cas de cours inférieur à 90 dollars/le baril de pétrole et de maintien du rythme actuel de la dépense publique qui se fonde sur un cours de 115-125 dollars/le baril.

En effet, si la balance commerciale a fortement bénéficié de la remontée des cours des hydrocarbures entre 2007 et 2012, depuis 2010, les importations suivent une tendance haussière, l’Algérie important 70% des besoins des ménages et des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, avec un dépérissement du tissu industriel (moins de 5% du produit intérieur brut). Les banques, notamment celles publiques, qui concentrent plus de 85% des crédits octroyés, se réduisent à des guichets administratifs. Elles sont malades de leurs clients, notamment les entreprises publiques (assainissement de plus de 60 milliards de dollars entre 1971 et 2013 mais 70% sont revenues à la casse de départ, ce qui montre que le blocage est d’ordre systémique). 

3. L’héritage d’une économie administrée est fortement présent dans la philosophie et les pratiques de la vie économique et sociale. L’industrie publique est largement obsolète et concentre, comme démontré précédemment, des pertes totales malgré des assainissements répétés.

Les ressources du pays sont significatives mais basées sur des rentes qui contribuent à anesthésier les volontés de changement. En dépit de certaines réformes timides – paradoxe, plus le cours des hydrocarbures est faible plus on ressent le besoin de réformes – l’absence de mise en place d’un appareil productif augmente chaque jour davantage les difficultés que rencontrera le pays lorsque la rente tendra vers l’épuisement.

Le comportement actuel est de type « semi-rentier » et ne recherche pas la réforme en profondeur de l’économie, les considérations politiques à court terme l’emportant sur les perspectives à long terme. Tant que la majorité de l’électorat tirera ses revenus des emplois dans la fonction publique, qu’elle pourra bénéficier de services sociaux peu coûteux, les réformes fondamentales n’auront guère de chances de progresser de par l’opposition tant du grand public que de la technostructure censée mettre en œuvre ces changements.

4. L’Algérie s’est insérée (malgré elle) dans la division internationale du travail comme fournisseur exclusif d’énergie. La configuration autarcique de l’industrie, excepté les hydrocarbures, a renforcé sa dépendance (matières premières, équipement). Les exigences de l’outil réalisé ont accru la dépendance à l’égard des cours et des revenus pétroliers, seule source de flux financiers externes.

Le lancement de capacités industrielles a nécessité la mise en œuvre de contrats « clés – ou produits en main », avec recours aux techniques étrangères, d’où la dépendance technologique. Le faible tissu industriel restantsouffre d’une faible rentabilité et d’importants surcoûts propres aux économies dirigées, amplifiées par les systèmes de cooptation des personnels qui entraînent des sureffectifs et une gestion laxiste.  

5. Le modèle à dominance étatique et à taux d’intégration verticale élevé va à l’opposé des nouvelles mutations mondiales. Les lourdeurs bureaucratiques (délais de négociation et de mise en place) et l’incertitude juridique (taux douaniers, fiscalité, réglementations) renforcent l’image d’un marché difficile et fermé, isolant l’Algérie des nouvelles mutations mondiales. 

L’objectif de protection de l’industrie naissante a généré une gestion bureaucratique des procédures d’importation qui est devenue un terreau pour de nombreuses pratiques non conformes aux normes internationales. Les formalités de contrôle des changes restent encore largement interprétées par le personnel des banques qui garde la nostalgie de la puissance de son rôle de contrôleur.

Concernant l’investissement étranger, les multinationales recherchent classiquement des avantages comparatifs pour produire de façon compétitive pour un marché local solvable mais aussi pour un marché régional et/ou mondial, en intégrant leurs capacités commerciales et productives, d’où l’importance de l’intégration du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique, où l’Algérie pourrait trouver des avantages comparatifs. Le problème essentiel à résoudre est la mise en place de subventions ciblées budgétarisées par le parlement afin d’éviter des transferts artificiel des bénéfices par les prix de cession visant l’optimisation fiscale vers les lieux fiables et peu imposés. La distorsion de la concurrence et le monopole sont sources de surcoûts. 

6. Le fait marquant en ce XXIème siècle est l’internationalisation des économies qui rend obsolètes les systèmes autarciques. La politique des Etats est souvent un dosage, voire une oscillation entre libéralisme et interventionnisme excessifs. La globalisation économique a été impulsée par les multinationales puis par les États ; désormais elle devient un phénomène politique et économique copié par les États eux-mêmes pour les grands secteurs stratégiques. Ce sont les Etats souverains qui signent les accords créant un cadre propice aux échanges, CEE, ALENA, ASEAN, MERCOSUR, les organismes supranationaux assurant souvent l’application des règles entre les partenaires. Ainsi, l’OMC, à laquelle veut adhérer l’Algérie est une institution chargée d’appliquer une législation et d’arbitrer les conflits entre les Etats membres par l’intermédiaire de l’ORG (organe de Règlement des Différents). Cela ne saurait signifier la fin du rôle de l’Etat mais un rôle stratégique dans la régulation. La problématique de la mondialisation implique une politique d’ouverture maîtrisée de l’Algérie qui doit aborder les questions sous un autre angle. L’insertion dans l’organisation internationale de l’industrie et des services est une urgence pour l’Algérie qui doit prendre conscience de notions d’engagements de niveau de service, de qualité, et de la participation aux nouveaux réseaux mondiaux : logistique, Internet, financiers, distribution.

7. La CEE est le premier partenaire de l’Algérie et surtout le principal débouché à l’exportation tandis que les USA (révolution du gaz/ pétrole de schiste) représentent environ 15-20% des recettes de Sonatrach ; ils seront de rudes concurrents notamment sur le marché européen dès 2017.Dans le cadre de son adhésion à la CEE et éventuellement de son adhésion à l’OMC, l’Algérie est tenu d’ouvrir son champ de coopération multilatérale, ce qui devrait renforcer encore les échanges croisés, notamment en prenant des engagements sur le démantèlement de ses protections douanières ( reportés à horizon 2020 au lieu de 2017) et l’ouverture graduelle de son marché avec notamment la lutte contre la sphère informelle (plus de 50% de la superficie économique) en l’intégrant par de nouveaux mécanismes économiques et non bureaucratiques autoritaires qui produisent l’effet inverse ; la réduction des quotas à l’importation pour les produits agricoles ; la mise en place d’un taux douanier maximal pour les produits industriels ; un accord sur les technologies de l’information ; la libéralisation du commerce des services et de l’accès au marché des services l’ouverture d’un champ large de partenariats multilatéraux tant régionaux qu’européens le renforcement des réformes structurelles dont la privatisation et la démonopolisation, dépassant le cadre d’un secteur public hypertrophié par rapport au secteur privé la révision des normes de gestion , l’Etat algérien dépensant deux fois plus que la moyenne des pays émergents pour avoir deux fois moins de résultats économiques et sociaux.

8. Les filières les plus dynamiques sont dérivées des hydrocarbures mais malheureusement sont fortement capitalistiques. Les activités les plus dynamiques sont à la fois capitalistiques et ne génèrent que peu d’emplois. Sur les dérivés du gaz, l’Algérie dispose d’un potentiel très fort attesté par des ACR exceptionnels (gaz naturel et certains dérivés de la pétrochimie – historiquement les engrais- ; chimie de synthèse de base – notamment l’ammoniac et l’acide nitrique à partir du reforming du gaz). Les autres produits en progression mondiale sur lesquels l’Algérie, en co-partenariat avec les firmes étrangères qu’elles soient occidentales ou des pays émergents peuvent se réaliser dans maints segments : agriculture, tourisme, culture et surtout, en aval, la pétrochimie avec Sonatrach, l’électricité avec Sonelgaz, les  énergies renouvelables, l’eau, le recyclage des déchets  et aussi dans certains segments où l’Algérie importe massivement (l’industrie de l’armement). Dans l’industrie civile nous avons des segments dans la mécanique, la métallurgie, l’industrie électrique, les matériaux de construction, les industries écologiques, la pharmacie, les nouvelles technologies, ainsi que l’éducation et la modernisation du système financier et  le BTPH, avec les  nouvelles méthodes de construction permettant de  réduire les couts et des économies d’énergie. 

La co-localisation suppose que l’Algérie puisse créer un fonds souverain. J’ai déjà proposé aux autorités que 10 à 15% des réserves de change puissent être consacré à un tel fonds, la réglementation actuelle ne permettant pas la sortie de capitaux pour ce genre d’investissement à l’étranger.

9. L’Algérie doit investir dans l’économie de la connaissance et les segments au sein de filières internationalisées pour avoir des avantages comparatifs. Pour densifier le tissu industriel, il faudrait renforcer les  entreprises pilotes, améliorer les capacités des PME, la gestion de bases, les incitations en matière d’implantation, la promotion des réseaux d’entreprises, les  fonctions de l’entreprise, les infrastructures contribuant à la chaîne logistique. Il faudrait ausside supprimer les systèmes bureaucratiques de contrôle au profit de suivis a posteriori et informatisés tendant vers la simplification des formulaires. Il est également nécessaire de prévoir des modes de financement appropriés, comme les garanties de la prospection et des opérations de petite taille et de opérations d’encouragement des investissements internationaux dans l’industrie grâce à la promotion des réseaux, associations professionnelles, les normes et qualification. 

Il s’avère urgent la promotion de la recherche développement – RD, avec des avantages fiscaux : appui à la recherche-développement, achat de technologies, amélioration de l’appui institutionnel et collaboration universités/secteur public/ entreprises privées. Les choix de développement des filières doivent être cohérents avec les tendances lourdes internationales. Les tendances incontournables à l’internationalisation des économies tendent à reléguer au second plan  les politiques et contrôles nationaux au profit d’espaces économiques régionaux (CEE) ou mondiaux (OMC).La libre circulation des produits génère une hyper-compétitivité qui demande une ré-allocation rapide des ressources à l’échelle régionale (demain à l’échelle mondiale). Le maintien abusif de filières non compétitives équivaut à une subvention indirecte mais, surtout, en empêchant une optimisation des capitaux investis, il pénalise l’avenir des filières les plus dynamiques.

10. Pour l’Algérie, en plus de la mobilisation  de l’épargne domestique (faible bancarisation), il devient urgent de mettre en place des réseaux pour une meilleure attractivité du pays aux IDE ainsi qu’aux fonds de la communauté émigré. Ceci devrait être géré par le système bancaire, qui reste à moderniser car il ne dispose d’aucun des outils permettant de favoriser l’équipement, donc le développement de l’entreprise (par exemple : crédit-bail, escompte des traites, nantissement des marchés publics, etc.). L’important est donc la spécialisation non pas dans les branches mais dans la dynamique des produits car laspécialisation d’un pays dans le commerce international révèle sa compétitivité au moyen-long terme au niveau sectoriel.

D’une manière générale, le retour de la croissance passe par l’Etat de droit, une gouvernance renouvelée se fondant sur une plus grande moralité de ceux qui dirigent la cité. Du fait de tensions budgétaires à venir, la chute des cours des hydrocarbures étant durable dans le temps, cela implique une plus grande efficacité des dépenses publiques. Le cadrage pluriannuel des finances publiques constitue un instrument essentiel pour la mise en œuvre d’une politique de maîtrise des dépenses publiques. Il faut aussi procéder à une évaluation approfondie de l’efficacité des dépenses fiscales et sociales dont le montant dépasse un certain seuil.

Le développement industriel de l’Algérie devra impliquer également l’initiative locale pour initier des activités productives au sein d’éco-pôles régionaux où cohabiteraient entreprises publiques et privées, banques, administration, universités, centres de formation professionnelles et des acteurs de la société civile.

(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.

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