Les contraintes internationales sont là et face aux mutations mondiales, la filière automobile connait des restructurations, des fusions et des délocalisations des grands groupes, avec des capacités de production élevées. Il semble bien que certains responsables algériens oublient que la mondialisation est bien là avec des incidences politiques et économiques, voulant perpétuer un modèle de politique industrielle dépassé des années 1970.
La presse algérienne s’est faite l’écho récemment de la volonté de plusieurs opérateurs algériens de vouloir se lancer dans des projets de construction de voitures d’une capacité variant entre 1000 à 10.000 unités par an. L’Algérie fabriquerait ainsi des voitures françaises, italiennes, iraniennes, chinoises, sud coréennes et allemandes ect……. Se pose cette question, face aux mutations mondiales, quel est le seuil de rentabilité de tous ces mini -projets de voitures ?
1. Le marché mondial de voitures est un marché oligopolistique
Le constat, bien que la situation est évolutive, le marché de voitures est un marché oligopolistique, fonction du pouvoir d’achat, des infrastructures et de la possibilité de substitution d’autres modes de transport notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport, ayant connu depuis la crise d’octobre 2008 d’importants bouleversements. Les fusions se succèdent avec des prises de participation diverses et à l’heure actuelle, les plus grandes multinationales sont General Motors qui a subi une profonde restructuration, Volkswagen et Nissan, qui depuis son alliance avec le constructeur français Renault, Chrysler, Fiat , Mitsubishi Mazda…. Les six premiers constructeurs mondiaux ont une capacité de production supérieure à plusieurs quatre de véhicules, représentent plus de 70% du marché mondial de l’automobile, suivi des sociétés sud coréennes Hyundai, Daewoo, Kia, et Samsung qui ont rejoint les rangs des constructeurs indépendants, capables de financer, de concevoir et de produire leurs propres véhicules. Les sociétés européennes multinationales sont les plus importants fabricants de pièces détachées et les plus grands constructeurs de camions, parmi lesquels Mercedes-Benz et Volvo. La plupart des constructeurs automobiles sont des filiales de constructeurs américains, japonais et européens. En Malaisie, Chine et Inde, la production est gérée par des sociétés locales, mais toujours avec l’appui de grands groupes étrangers. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps: la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation ; et pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones: l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. De plus, sur chacune d’entre elles la fabrication est localisée sur certains pays; ainsi, en Europe, les principaux fabricants sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie, appartenant tous à l’Union Européenne. En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les États- Unis, et en Asie elle se trouve au Japon et en Corée du Sud et que pour les exportations mondiales d’automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu’elle est limitée principalement à deux zones: l’Europe et l’Asie. Et que dans un futur proche avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie, Inde, Chine, Brésil) nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules en rapport avec les niveaux de formation des effectifs des usines et avec la recherche que réalisent les entreprises automobiles et en toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives. Les priorités des dirigeants des constructeurs automobiles sont donc : technologie et innovation,(robotisation,)surtout au Japon dont le coût de la main d’œuvre est dix fois environ supérieur à celui de la Chine, approche collaborative, meilleures stratégies de succès et environnement. C’est qu’en 2013, la production automobile a atteint un nouveau record avec 84,7 millions de véhicules légers fabriqués et près de 90 millions en 2014.
Depuis 2011, l’Asie est désormais le premier continent producteur de véhicules légers et la Chine le premier pays producteur mondial avec 20,9 millions de véhicules en 2013. Elle est suivie par les Etats-Unis (10,9 millions d’unités), le Japon (9 millions), l’Allemagne (5,6 millions), la Corée du Sud (4,5 millions) et France un million d’unités. C’est que le Le nombre de voiture en circulation sur la planète dépasse le 1 milliard et les experts du Fond Monétaire International (FMI) prévoient un parc mondial de 2,9 milliards de voitures particulières à l’horizon 2050. Ce scénario part de l’hypothèse d’une élévation du revenu des ménages surtout des pays émergents la population comme la Russie, l’Inde ou la Chine représentant des marchés à fort potentiel pour l’industrie automobile devant assister à une renversement de tendance des ratios actuels où on dénombre 600 voitures pour 1 000 habitants pour l’union européenne , cette proportion étant de 200 pour 1000 en Russie et de seulement 27 pour 1000 en Chine, et qu’au sein du parc automobile mondial, près de 70% seraient dus aux pays actuellement peu motorisés comme la Chine ou l’Inde. Mais devant éviter tout modèle de consommation linéaire, nous devrions assister entre 2020/2030 à des perspectives technologiques futures tenant compte du nouveau défi écologique, (voitures hybrides, électriques ), la Chine étant en passe de devenir le leader mondial des voitures propres toutes catégories profitant ainsi au premier chef des plans de relance « verts » des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon.. Les experts avancent deux scénarios. Le premier scénario est l’optimalisation du fonctionnement des moteurs à essence et diesel, avec une réduction de 20/30% horizon 2015, de la consommation, car pour ce scénario , les ressources en lithium pour les fameuses batteries lithium-ion sont limitées et que les moteurs électriques nécessitent des aimants que l’on fabrique aussi avec des métaux rares, un marché de 70/80 millions de véhicules par an ne pouvant absorber de gros volumes en voitures électriques et que pendant encore dix ans, les moteurs hybrides et classiques devraient rester majoritaires. Le second scénario ne partage pas ce point de vue, les nano-technologies( la recherche dans l’infiniment petit) pouvant révolutionner le stockage de l’énergie devant explorer parallèlement le flex fuel et de penser à l’hydrogène , l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux ou au solaire ce qui révolutionnera tous les réseaux de distribution . Quel est donc l’avenir de notre planète où selon certains analystes, la taille du marché automobile chinois, sans parler de l’Inde, si l’on reste dans l’actuel modèle de consommation, devrait être multipliée par dix horizon 2030 se traduisant par une hausse de dégagement de CO2, alors que la Chine a déjà dépassé les USA comme principal pays producteur de gaz à effet de serre?
2. Quel avenir pour le marché de voitures en Algérie ?
Selon l’ONS, le parc automobile en Algérie a atteint en 2014 plus de 5.425.000 voitures. Par catégorie de véhicules, le PNA est constitué essentiellement des véhicules de tourisme avec 3.483.047 unités (64,2% de la totalité), des camionnettes avec 1.083.990 (près de 20%), des camions avec 396.277 (7,3%), des tracteurs agricoles avec 146.041 (2,7%), des remorques avec 134.019 (2,47%), des autocars et autobus avec 82.376 (1,52%), des motos avec 20.380 (0,38%) et des véhicules spéciaux avec 4.756 (0,1%). La répartition du PNA selon les tranches d’âge des véhicules montre que le nombre des moins de 5 ans a atteint 1.253.731 unités (23,11% de la totalité du parc à fin 2014), des 5 à 9 ans à 933.006 véhicules (17,2%), des 10 à 14 ans à 346.788 (6,4%), des 15 à 19 ans à 214.287 unités (3,95%), des 20 ans et plus à 2.677.746 (49,35%). Pour le type de carburant utilisé, l’essence représente 65% et le gasoil 34%, l’utilisation du GPLC étant marginale. Le montant des importations des véhicules a atteint plus de 7,33 milliards de dollars (mds usd) en 2013 contre 7,60 mds usd en 2012, (cours du dollar de l’époque). Selon le Ministre de l’industrie ( déclaration du 04 janvier 2015 forum d’El Moudjahid), en 2014, les importations des véhicules s’étaient chiffrées à 6,34 milliards de dollars pour 439.637 unités et en 2015, la facture des importations des véhicules s’est établie à 3,781 milliards de dollars, soit une baisse de 40,3% par rapport à 2014, tandis que le nombre de véhicules importés a baissé de 32%. Mais il ne faudrait pas induire en erreur l’opinion publique. L’on apprend aux étudiants de première année d’économie qu’il faut raisonner à prix constants et à jamais à prix courants. Le cours du dollar était d’environ 75/80 dinars entre 2012/2013 et le cours actuel est entre 106/107 dinars un dollar soit une dépréciation de plus de 40%. Lorsque le Ministre de l’industrie annonce une baisse en valeur de la facture des importations, il faut qu’il fasse référence au même cours du dinar par rapport au dollar pour évaluer éventuellement le montant de la baisse en valeur des importations et la relier par suite à la baisse en volume physique. Car appliquer un taux de 75 dinars un dollar par exemple donne un montant plus élevé que si on appliquait 107 dinars un dollar. Par ailleurs, toute étude de marché doit être sérieuse, à l’avenir si l’on veut le gaspillage des ressources financières. Évitons la précipitation pour des raisons de prestige, l’Algérie étant une petite nation et soyons pragmatique loin de l’activisme qui peut conduire le pays à une impasse. Il y a lieu de tenir compte que l’économie algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures (98% des exportations totales avec les dérivées). L’évolution des cours détermine fondamentalement le pouvoir d’achat des Algériens. L’inflation qui est de retour induit la détérioration du pouvoir d’achat. Le revenu global doit être corrigé devant tenir compte de la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales, un agrégat global ayant peu de significations. Plusieurs questions se posent auxquels toute politique économique cohérente doit répondre.
-Premièrement, qu’en sera-t-il avec l’épuisement inéluctable des hydrocarbures en termes de rentabilité économique et non de découvertes physiques sur le pouvoir d’achat des Algériens? Dans ce cas par rapport au pouvoir d’achat réel, (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, que reste –il en termes de pouvoir d’achat réel pour acheter une voiture ?
– Deuxièmement, faute d’unités industrielles spécialisées, renvoyant à l’économie de la connaissance afin de favoriser des sous-traitances intégrées, quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar) seront presque importés devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux.
-Troisièmement, les normes internationales, du seuil des capacités au niveau mondial se situent entre 300.000 et 500.000/an pour les voitures individuelles, environ 100.000 unités/an pour les camions/ autobus et évolutives avec les grandes concentrations depuis 2009. La comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière ? En produisant entre 1000/10.000 voitures les projets seront-ils compétitifs ? A quels coûts hors taxes , l’Algérie produira cette voiture et en tendance lorsque le dégrèvement tarifaire allant vers zéro selon les Accord qui la lie à l’Union européenne seront appliqués et dans ce cas quelle est la valeur ajoutée interne créé par rapport au vecteur prix international ( balance devises tenant compte des inputs importés et de l’amortissement tous deux en devises) ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total c’est comme un ordinateur, le coût ce n’est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80% et ne pouvant interdire l’importation, ces mini projets seront –ils concurrentiels en termes du couple coûts/qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales ?
– Quatrièmement, construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l’objectif du management stratégique de toute entreprise n’est –il pas ou régional, voir mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale et cette filière n’est –elle pas internationalisée des sous segments s’imbriquant au niveau mondial ?
– Cinquièmement, l’industrie automobile étant devenue capitalistique, (les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires) quel est le nombre d’emplois directs et indirects créés, renvoyant à la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l’automobile ?
– Sixièmement, quelle sera le coût et la stratégie des réseaux de distribution pour s’adapter à ces mutations technologiques?
– Septièmement, ces voitures fonctionneront-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire ?
– Huitièmement, comment pénétrer le marché mondial à terme avec la règle des 49/51% avec le risque que l’Algérie supporte tous les surcoûts conduisant à l’endettement?
En conclusion, je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans l’intégration de l’économie de la connaissance aucun projet n’a d’avenir, en ce XXIème siècle , face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution. L’Algérie doit investir dans des segments à avantages comparatifs tant dans l’agriculture, important gisement, les nouvelles technologies que de sous segments de filières industrielles tenant compte des changements dans le monde.