En réagissant promptement à un article du quotidien l’Expression, le ministère des Affaires étrangères cherche sans doute à éviter des interprétations susceptibles de créer un désordre diplomatique pour le pays et mettre à mal sa coopération, notamment avec l’occident.
Excès de zèle, manque de discernement ou interprétation simpliste : dans un article publié mercredi pour ce quotidien national, des propos ont été attribués au chef de l’Etat et selon lesquels il aurait réclamé des sanctions économiques contre l’occident pour l’infléchir à apporter son soutien à l’entité sioniste, coupable de génocide à Gaza, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Ces propos seraient contenus dans le discours, prononcé au nom de Tebboune, par Ahmed Attaf lors du dernier sommet arabo-islamique tenu à Riad, en Arabie Saoudite. Sous le titre publié en « Une », « Seules, les sanctions… », l’auteur de l’article écrit : « l’Occident ne réagira qu’à la contrainte économique comme en 1973. D’ailleurs, lorsque les pays producteurs de pétrole avaient fermé les vannes. La situation est certes différente, aujourd’hui, mais l’arme des sanctions économiques est, elle, toujours potentiellement opérationnelle ». Or, les propos d’Abdelmadjid Tebboune s’adressaient à la sphère arabo-islamique et ciblaient exclusivement l’entité sioniste.
« Dans un mélange indu du commentaire et de la déclaration officielle établie, un organe de la presse privée a, abusivement, attribué au président de la République des propos sans fondement. Comme en font foi la version écrite, autant qu’audiovisuelle, la déclaration algérienne au Sommet de Riyad n’appelle, en aucune manière et sous quelque forme que ce soit, à une réédition de l’embargo arabe de 1973 », a indiqué le Ministère des affaires étrangères dans un communiqué.
Selon lui, l’Algérie demeure convaincue qu’ « il est indispensable, d’abord, d’intensifier les pressions sur l’occupant israélien sur les plans diplomatique, politique et économique, ainsi que les sanctions, telles que la suspension de l’adhésion de l’occupant israélien à l’ONU et l’imposition d’un embargo sur les ventes d’armes qui lui sont destinées ». « Les sanctions demeurent le seul moyen susceptible de dissuader ce dernier et de l’amener à cesser sa guerre contre Ghaza et le Liban et son escalade dans la région », souligne encore le texte.
Une analyse « qui ne répond pas du tout à l’intention du chef de l’État »
Bousculé par la réaction des AE, le journal s’est empressé de se fondre dans un papier où il charge l’auteur de l’article, non sans réclamer des excuses publiques. « Le parallèle avec la suspension de la production de pétrole en 1973 est de la responsabilité exclusive du rédacteur de l’article et n’a aucunement été cité par le chef de l’État dans son discours. Le rédacteur de l’article a donc pris une liberté dans l’analyse qui ne répond pas du tout à l’intention du chef de l’État ni à l’esprit de son message. En d’autres termes, l’association de l’Occident, en tant qu’acteur objet d’une pression de la part des pays Arabes pour obtenir des sanctions économiques contre l’entité sioniste relève exclusivement d’un commentaire libre du rédacteur de l’article », a écrit le journal qui a supprimé l’article incriminé de son site internet.
« Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs pour le sens incorrect donné à ce passage du texte en question où il n’est nullement question de sanctions contre l’Occident » a ajouté le quotidien. En réagissant avec célérité à cet article que les occidentaux pourraient interpréter, compte tenu de la proximité de ce journal avec le pouvoir, comme une « animosité » à leur égard, Alger entend éviter, dans un contexte de chamboulement géostratégique, des brouilles avec le vieux continent.
Non seulement, elle pourrait être accusée de « penchant » envers la Russie avec laquelle l’Europe est en conflit, dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais également de laisser planer des doutes sur sa fiabilité à long terme à assurer la sécurité énergétique de l’Europe.
Aux yeux des observateurs, la précipitation de l’Algérie à réagir s’explique par son rôle géopolitique crucial qu’elle joue et qu’elle entend sauvegarder en tant que fournisseur important de gaz pour l’Europe, un partenariat qui est au cœur de ses intérêts économiques et diplomatiques. En raison de ses vastes réserves énergétiques, notamment en gaz naturel, l’Algérie est un acteur clé dans la sécurisation de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne, surtout dans un contexte où les relations avec la Russie sont devenues plus tendues.
Maintenir des liens stables
Consciente de l’importance stratégique de cette relation, l’Algérie sait mieux que quiconque qu’elle doit maintenir des liens stables et à éviter tout conflit avec l’UE, car tout déséquilibre dans ses échanges pourrait affecter son économie mais également sa stabilité politique.
L’article de l’Expression est d’autant problématique pour les autorités qu’il est intervenu dans un contexte où l’Algérie est l’un des rares pays à avoir une position franche sur le conflit palestinien. Lui attribuer maladroitement une intention de chercher des sanctions contre l’occident, c’est l’exposer à un isolement diplomatique et à la caser aux yeux des occidentaux parmi les pays qui « ont choisi le camp russe et chinois », concurrents de l’occident. Or, sur le plan doctrinaire, la diplomatie algérienne a toujours cherché à afficher une équidistance entre russes et occidentaux, c’est-à-dire un non alignement.
En prêtant des propos infondés à la haute autorité du pays, le journal semble avoir mis à mal la diplomatie algérienne contrainte à apporter la mise à point pour éviter les mauvaises interprétations et semer la confusion dans son partenariat avec le vieux continent.
Ce n’est pas la première fois que les autorités réagissent à un contenu journalistique susceptible d’impacter la diplomatie. Dans un entretien accordé en 2022 au quotidien « Liberté », fermé depuis, quelques semaines après l’éclatement du conflit en Ukraine, Le Président-directeur général de la Sonatrach d’alors, Toufik Hakkar, avait sous-entendu que l’Algérie était disposée à combler les besoins gaziers de l’Europe au cas où les autorités russes venaient à lui couper le robinet.
Dès le lendemain de la sortie de l’interview, Sonatrach avait accusé Liberté d’avoir « manipulé et déformé », ses propos tout en poursuivant le journal en justice. Alger redoutait alors de mettre dans l’embarras son partenaire russe, son principal fournisseur notamment en armes.