Des associations et des personnalités maghrébines, françaises et belges ont publié ce mardi 13 juin 2017une lettre ouverte au président français Emmanuel Macron pour l’interpeller, à la veille de sa visite au Maroc, au sujet de la situation des réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine et la répression du mouvement social dans le Rif. Nous publions l’intégralité de cette « Lettre ouverte au président de la République française ».
Monsieur le Président,
A l’occasion de votre visite officielle prévue au Maroc les 14 et 15 juin 2017, nous souhaitons attirer votre attention sur deux questions urgentes auxquelles ce pays est confronté : d’une part, la situation de réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine ; d’autre part, la répression dont est victime le mouvement social pacifique au Rif, dans le nord du pays.
Situation de réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine
Depuis le 17 avril dernier, des réfugiés syriens (des familles, dont des enfants) sont bloqués dans une zone frontalière, près de la ville de Figuig, dans des conditions extrêmement difficiles, sous un soleil de plomb la journée et soumis à des attaques de serpents et de scorpions la nuit. Une jeune femme a accouché dehors, fin mai, sans assistance médicale, au risque de sa vie.
Si certaines personnes semblent avoir quitté la zone, nous vous alertons sur les arrestations qui s’en sont suivies et le renvoi de certaines personnes dans la zone frontalière, y compris une fois leur inscription faite auprès du bureau du HCR au Maroc – ce qui constitue un cas flagrant de refoulement.
Les autorités des deux pays passent aujourd’hui leur temps à se renvoyer la responsabilité sans venir en aide à ces réfugiés, sans eau, ni nourriture, ni soins médicaux. Les médias en France, en Algérie et au Maroc se sont fait l’écho de cette situation, qui est dénoncée par des organisations internationales et françaises et par les deux sociétés civiles algériennes et marocaines, ainsi que par les associations de l’émigration maghrébine en France.
Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) est dans l’impossibilité de faire évoluer les choses favorablement. Le Maroc et l’Algérie sont pourtant signataires de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. En abandonnant depuis plus de sept semaines ces personnes à leur sort, elles se rendent coupables de non-assistance à personnes en danger.
Cette situation dramatique n’a que trop duré, et ce, au mépris des plus élémentaires droits humains. Nous, associations signataires, considérons que ces réfugiés sont non seulement victimes d’une guerre civile atroce, mais se retrouvent face à un cynisme d’Etat qui les dépasse. Il est urgent que cesse ce drame inqualifiable, et que ces réfugiés puissent être accueillis dans le respect de la Convention internationale relative au statut des réfugiés.
La répression dont est victime le mouvement social pacifique du Rif
Depuis vendredi 26 mai 2017, une vague de répression, accompagnée par des arrestations massives, s’est abattue sur la ville d’Al-Hoceima (nord du Maroc), puis s’est étendue à d’autres agglomérations du Rif. Ces derniers jours, l’élan de solidarité et de contestation touche toutes les régions du Maroc, où des manifestations pacifiques sont dispersées voire empêchées avec violence.
Ce mouvement populaire est né à la suite du décès de Mouhcine Fikri, mort atrocement broyé dans une benne le 28 octobre 2016, alors qu’il tentait de sauver sa marchandise confisquée et jetée arbitrairement par la police dans un camion-poubelle.
Le mouvement pacifique de protestation n’a pas cessé depuis cette date, exigeant que toute la lumière soit faite sur les responsabilités de ce drame, puis s’élargissant à un cahier revendicatif à caractère économique, social et culturel pour mettre fin à la marginalisation et à la stigmatisation de cette région.
Le gouvernement marocain a répondu par le refus de tout dialogue avec les représentants de ce mouvement, voire il a poursuivi et arrêté ses leaders avec plusieurs chefs d’inculpation – dont celui d’“atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat” !
La France, pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne peut rester spectatrice de ce déni de droit à l’expression pacifique des populations du Nord comme celles d’autres régions du Maroc. Votre prochaine visite au Maroc peut être une occasion pour faire part aux plus hautes autorités de cet Etat des inquiétudes et préoccupations quant aux atteintes aux libertés fondamentales et au manque de respect des conventions internationales.
Veuillez croire, Monsieur le Président, à notre profond respect.
Premiers signataires :
Associations
Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) – Association des Marocains en France (AMF) – Plateforme Euro-marocaine (MDCD) – Fédération des Amis de Figuig – Souria Houria (Syrie libre) – Collectif algérien en France ACDA (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie) – Immigration Développement Démocratie (IDD) – Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR) – Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) – Association Na’oura-Belgique – Collectif 3C – Cedetim – Initiatives pour un autre monde (IPAM) – No Vox International – APEL-Egalité – Collectif international des sans-papiers migrants (CISPM) – DIEL – Massira, collectif citoyen de soutien aux luttes sociales et démocratiques en Algérie – Droits Devant – Centre euro-méditerranéen des migrations (EMCMO)-Pays Bas – PARTENIA 2000 – Mouvement national le CRI – Ensemble Vivre Travailler et Coopérer (EVTC) – Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples (MRAP) – Syndicat Solidaires – Association pour la taxation des transactions financière et pour l’action citoyenne (ATTAC)
Personnalités
Hala Alabdalla, cinéaste Jean-Claude Amara, président de « Droit devant » Brigitte Bardet-Allal, professeure de lettres Souhayer Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH Jean Bellanger, syndicaliste, président EVTC Raja Ben Slama, essayiste, universitaire Sophie Bessis, historienne Rony Brauman, médecin, essayiste Khémaies Chammari, ancien vice-président et SG de la FIDH, ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l’UNESCO Mounira Chapoutot-Remadi, universitaire Khadija Chérif, universitaire Alice Cherki, psychiatre, essayiste Ahmed Dahmani, économiste Bernard Dreano, président AEC Mohsen Dridi, auteur « Immigration de A à Z » Jacques Fath, ancien responsable politique Jacques Gaillot, évêque René Gallissot, historien François Gèze, éditeur Mohammed Harbi, historien Ahmed Henni, économiste Ghazi Hidouci, membre du CA de FMDV, ancien ministre (Algérie) Kamel Jendoubi, militant des droits humains, ancien ministre (Tunisie) Aïssa Kadri, sociologue Salam Kawakibi, politologue Abdellatif Laabi, poète Latifa Lakhdar, professeur d’Université, ancien ministre (Tunisie) Gilles Lemaire, militant politique Ziad Majd, politologue Gilles Manceron, historien Farouk Mardam Bey, essayiste, éditeur Gustave Massiah, économiste Gilbert Meynier, historien Bernard Ravenel, historien Brahim Senouci, écrivain Taoufiq Tahani, universitaire Khaoula Taleb-Ibrahimi, linguiste, professeure d’Université (Alger) Nadia Tazi, philosophe Emmanuel Terray, anthropologue Raja Yassine-Bahri, historienne
Contacts :
Tewfik Allal ([email protected])
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Abdallah Zniber ([email protected])