Pour la deuxième fois en une année le gouvernement algérien est reconfiguré cette semaine en fonction d’une contrainte claire, la crise économique qui arrive.
Les deux derniers remaniements ministériels de mai 2015 et de juin 2016 sont dans une quête de sorcellerie. Trouver les bons technocrates qui, chacun dans son secteur, va permettre de trouver les bonnes clés pour sortir le budget de l’Etat de sa dépendance à la fiscalité pétrolière. Pour la deuxième fois en une année, les technocrates magiciens sont prioritairement recherchés dans les deux secteurs clés de la gouvernance économique en Algérie, l ‘énergie et les finances : la machine grippée à faire du cash et le réseau gaspilleurs qui le redistribue. L’échec est bien sur au rendez vous sur les deux fronts. La cash machine de l’énergie ne s’est pas remise en route et le réseau de la dépenses est toujours aussi gaspilleur sans être arrivé à se trouver de nouvelles ressources. Y’avait il un doute sur l’issue de ces tentatives il y ‘a un an ? Aucun. Les deux ministres ne s’en vont pas avec le même contenu dans l’échec. Salah Khebri était transparent, Abderrahmane Benkhlalfa sans doute trop visible. Le premier sans idées. Le second sans aasabiya, cette capacité Khaldounienne à faire l’Histoire par l’action clanique organisée. En l’occurrence dans le cas des finances, l’action de l’administration du secteur. Abderrahmane Benkhalfa apparaît déjà comme l’ultime frontière de l’audace dans la réforme économique que pouvait supporter l’ère Bouteflika finissante. C’est dire si les marges de manœuvre pour la réforme sont étriquées dans le gouvernement. Un autre ministre, Sid Ahmed Ferroukhi au discours fort sur la méthode pour dépoussiérer l’action publique au profit de l’économie, a quitté ses fonctions à la tête de l’agriculture et de la pêche. L’heure de gloire des technocrates magiciens est finie ? Pas tout à fait. Le duo- Said Bouteflika- Sellal pense juste s’être trompé de sorciers. Ils en cherchent de nouveaux. Nourredine Bouterfa parce qu’il dit avoir une potion « vérité des prix » pour remettre à flot la cash machine, Hadji Baba Ammi parce qu’il détesterait dépenser plus qu’il n’engrange, Mouettassem Boudiaf parce qu’en expert de la monétique, il va faire à l’Algérie le bond du numérique.
Le casting des sorciers est toujours ouvert. Toute voile dehors vers de nouvelles déconvenues. Des succès sectoriels de gouvernance anti-crise et pro-diversification sont ils envisageables sous une orientation stratégique anti-réfome et pro-statu quo ? Dans la même quinzaine, le pouvoir politique algérien a symboliquement enterré ses velléités de changement de modèle économique. Il a renoncé à dévoiler le plan documenté portant nouveau modèle de croissance. Il en a, de fait, reporté les dates de mise en œuvre à plus tard. Il a changé un gouverneur de banque d’Algérie rigoureux pour un autre présentant beaucoup de garanties dans le respect de l’orthodoxie monétaire. Il a remis au ministère des finances un administrateur, obéissant et austère, des enveloppes budgétaires à côté duquel le très «discipliné » Karim Djoudi apparaitrait, à rebours, pour un aventurier de la titrisation à tout crin. Le pouvoir politique a donc annoncé, urbi et orbi, qu’il ne bougera pas tout de suite. En tout cas par sur l’essentiel, la réallocation des ressources financières pour non plus recruter de la base clientéliste mais créer de la richesse, au risque de créer aussi avec elle une société libérée de ses figures tutélaires. Il faut donc chercher ailleurs les clés d’un début de transition vers une économie non dépendante des revenus énergétiques.
Regarder par exemple vers les autres pays membres de l’OPEP qui se sont confrontés au contre choc en cours. Ils se divisent en trois catégories. Celle des pays qui sont tellement riches qu’ils peuvent attendre longtemps sans tenter de changer de modèles. Un malin hasard, mais peut être pas un hasard d’ailleurs, fait que parmi eux se trouvent les Emirats Arabes Unis et le Qatar qui ont déjà engagé une diversification vers des économies de services. Celles des pays qui ont une population conséquente et doivent faire quelque chose pour ne pas sombrer mais qui ne le peuvent pas car le pouvoir politique est le même depuis longtemps (Venezuela). Et finalement la catégorie des pays membres de l’OPEP, contraints par la baisse de leurs revenus, mais qui ont bénéficié d’une alternance démocratique (Nigéria) ou clanique (Arabie Saoudite) et qui en ont profité pour engager une tentative plus ou moins sérieuse de changement de modèle. Dans quel chapeau se trouve l’Algérie ? Le second bien sûr. Mais avec des fondamentaux bien meilleurs que ceux du Chavisme imprévoyant. Ce qui manque à l’Algérie pour sortir du cercle de l’incantation magique des technocrates sorciers (et Klenex) c’est un processus politique nouveau. Le Nigéria en a bénéficié avec l’élection du candidat de l’opposition Mohamadu Buhari en mars 2015. La nouvelle équipe a engagé un auto-ajustement important pour prévenir un scénario vénézuélien de collapse des finances publiques. Ce qui l’a permis c’est la rupture morale qui perte de faire endosser à l’équipe sortante les impasses présentes. L’Arabie Saoudite fait la même chose dans un scenario de changement dynastique. Le fils du Roi Selmane conduit une tentative de réforme économique impensable sous le règne du défunt Roi Abdallah. Les traditionnelles résistances au changement de l’appareil administratif se diluent plus vite sous l’écume du changement politique. Le Bouteflikisme est un Chavisme attardé sans panache anti-impérialiste, mais avec un affairisme débridé. Qui rend la réforme du modèle si périlleuse pour lui. Et ses supposés acteurs anecdotiques. Les Algériens l’ont compris et ne suivent plus qu’une demi-oreille les remaniements ministériels intempestifs de la fin d’ère dégénérative de Bouteflika. Le verrou de la réforme ne peut sauter qu’avec une alternance politique. De type Nigériane de préférence.
Au moment de la mise sous presse de cette chronique une dépêche de l’APS prévient que le projet de loi sur l’investissement a « extirpé » le 51-49 et le droit de préemption dans les IDE. Il n’est jamais trop tard pour corriger des bêtises. Ces deux dispositions contraignantes pour les flux de capitaux rentrants ont affaibli la croissance des IDE en Algérie depuis 2009 et la LFC de la même année. Mais il est illusoire de croire – sur le mode incantatoire magique des technocrates sorciers – qu’il est possible de rattraper les années perdues par simple retour à la case de départ. Il faudra faire plus et mieux pour attirer les capitaux étrangers en Algérie. Car pendant ces années d’entêtement Boutefliko-Ouyahien la compétitivité des autres pays d’accueil des IDE autour de la méditerranée a fait des bonds en avant. Mais peut être qu’il existe encore des maitres penseurs dans la gouvernance algérienne pour nous expliquer que l’Algérie peut se passer d’être attractive pour les capitaux étrangers tout comme elle veut faire du tourisme avec un système de visa l’un des plus hostile au monde aux candidats visiteurs. La preuve que le temps perdu ne se rattrape pas d’un trait de plume ? Le désastre de SKAEK, la cimenterie de Ain El Kebira à la bourse d’Alger. Moins de 5 % des objectifs de souscription à 24 heures de la clôture. Une introduction ratée, abandonnée de tous. Le gouvernement pensait qu’il lui suffisait de ramener des actifs publics à la bourse pour que la machine se mette en place. Erreur. Faute d’animation et donc de maintien de la liquidité des titres, les investisseurs et les épargnants ont perdu confiance depuis 2011 et l’entrée en bourse de Alliance, premier titre privé. C’est pareil pour les investisseurs étrangers. Ils vont attendre avant de revenir.