Réponse à Slim Othmani (2) : dépénaliser l’acte de gestion, un faux problème - Maghreb Emergent

Réponse à Slim Othmani (2) : dépénaliser l’acte de gestion, un faux problème

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Les gestionnaires des entreprises publiques demandent la dépénalisation des actes de gestion, alors que le vrai problème est lié à l’arbitraire et à la non-indépendance de la justice.

 

La formule fait désormais partie de la langue de bois du discours économique algérien. Pourtant, il est toujours difficile de savoir à quoi renvoie exactement la « dépénalisation des actes de gestion », une revendication défendue aussi bien par les managers des entreprises publiques et les syndicats que par le patronat privé !

Dans une contribution Maghreb Emergent, le patron de NCA Rouiba et président du Cercle d’action et de réflexion sur l’entreprise (Care), Slim Othmani, déplore que les dirigeants d’entreprises publiques n’aient « toujours pas été débarrassés de la pénalisation des actes de gestion ». Il appelle le gouvernement à agir en les « libérant des contraintes pénales ».

A la veille de la présidentielle de 2014, un groupe de chefs d’entreprises publiques avait publié une tribune dans laquelle ils déploraient une situation qui faisait d’eux des victimes « soumises aux tribunaux sans précautions ni discernement ». Ils se retrouvaient alors « pratiquement sans défense et sans secours devant les errements dans la qualification des faits qui leur sont reprochés ». Ils demandaient donc de nouvelles dispositions pour « éviter de transformer de simples fautes de négligence dans la gestion en délits ou en crimes ».

 

Confusion

 

Sur le fond, ce type de revendication est le résultat d’une confusion grave entre le contenu de la loi et son application abusive. Dans l’exercice de ses fonctions, un chef d’entreprise publique doit être sanctionné, en pénal, dans des situations précises : détournement, passation de contrats sans respecter les procédures, etc.

Pour les actes de gestion quotidienne, le directeur général est l’exécutant d’une démarche supposée être définie par des structures identifiées : conseil d’administration et assemblée générale. Celles-ci mandatent un président du conseil d’administration, qui peut exercer en même temps la fonction de directeur général ou la déléguer. Les attributions de chaque partenaire sont définies par la loi.

Dans une entreprise qui fonctionne normalement, les responsabilités sont clairement établies. Les mécanismes de décision sont tout aussi précis. L’entreprise a aussi la possibilité de recourir à une expertise externe si nécessaire. Il apparaît dès lors difficile d’admettre que des gestionnaires chevronnés puissent délibérer, sur la base de rapports fiables, pour prendre de mauvaises décisions.

 

Tutelle pesante

 

Où se situe donc le mal ? Il réside dans deux failles importantes. Il y a d’abord la tutelle exercée par l’administration, en l’occurrence le ministère, qui a repris la plupart des prérogatives des managers, soit explicitement, par des textes, soit de manière informelle, un manager se sentant de fait sous l’autorité d’un ministre qui a toute latitude de le maintenir ou de le remplacer, comme cela est le cas pour Algérie Telecom, Air Algérie et Saidal, par exemple.

Dans ce type de situation, le manager ne sent plus responsable. Il se contente d’avaliser les choix faits par le ministre, y compris quand ils sont destructeurs pour l’entreprise. Le plus souvent, il se contente de gérer au jour le jour, sans prendre d’initiative. Les grands contrats échappent alors totalement aux managers : c’est un ministre qui a négocié l’installation de Renault en Algérie, les « managers » de la SNVI se contentant de suivre les instructions. Aujourd’hui, ils n’ont pas leur mot à dire sur la viabilité du projet, sur ses résultats et sur les possibilités de le faire évoluer.

 

Justice et arbitraire

 

La seconde faille, tout aussi importante, se situe dans le dysfonctionnement de la justice. Celle-ci peut être instrumentalisée pour atteindre des objectifs précis. La grande opération anti-cadres au tournant des années 2000 avait pour but de discréditer le secteur public, en vue de faciliter la privatisation. Des dizaines de cadres, parfois de haut niveau, ont servi de bouc-émissaires. Ils ont été sacrifiés, passant de longues années en prison alors que leur gestion était irréprochable. Cette expérience douloureuse a laissé des séquelles : les gestionnaires préfèrent s’abriter dans le confort de la procédure pour justifier un immobilisme préjudiciable à l’entreprise.

Mais demander la dépénalisation de l’acte de gestion n’a pas de sens. En fait, la véritable revendication doit porter sur l’application stricte de la loi, sur l’exigence d’une justice indépendante et le refus de l’arbitraire. Tout le reste relève d’un faux débat qui vise à entretenir le flou autour de concepts. Ou, pire encore, à faciliter le droit à une prédation à grande échelle, à peine dissimulée.

 

Un faux problème

 

Le soupçon devient évident quand la revendication d’une dépénalisation de l’acte de gestion est prise en charge par les organisations patronales privées. Officiellement, celles-ci veulent une libération des entreprises publiques pour dynamiser l’activité. Mais en réalité, les managers publics sont souvent affiliés à des réseaux dont les ramifications s’étendent aux sphères gouvernementales, elles-mêmes fortement imbriquées avec le patronat, particulièrement depuis que M. Ali Haddad a pris le FCE et qu’il a intégré les cercles proches du président Abdelaziz Bouteflika.

En tout état de cause, et en l’état actuel des choses, dépénaliser ou pas n’a guère de signification. Nommer ou remplacer un chef d’une grande entreprise ne relève plus des organes de l’entreprise, mais d’autres sphères, parfois occultes. Absence de transparence, fonctionnement non institutionnel et influence des réseaux font qu’aucun chef d’entreprise n’est à l’abri tant que le fonctionnement de l’entreprise obéit aux besoins du pouvoir, non aux impératifs économiques. Avec ou sans dépénalisation. Celle-ci devient caduque. Continuer à la brandir relève, au mieux, de la cécité, au pire de la complicité.

 

Lire sur le même sujet : Réponse à Slim Othmani (I) – Le Partenariat public-privé et le risque de prédation en Algérie

 

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