La semaine du 16 au 22 février 2021 était promise à un grand destin. Elle est peut être le début d’une inflexion qui va , à terme, solder la feuille de route de 2019.
« Le pouvoir des généraux » a été beaucoup dénoncé par les manifestants à travers le pays ce 22 février 2021. Il reste que le grand perdant politique du retour national du Hirak est le président Abdelmadjid Tebboune, rejeté unanimement comme au lendemain de son passage électoral en force le 12-décembre 2019.
L’ancien premier ministre de Bouteflika était censé animer la fonction présidentielle en protégeant de l’exposition politique la haute hiérarchie de l’ANP, tutelle réelle de son pouvoir formel. Quatorze mois après son investiture, c’est une opération ratée. Les dernières semaines ont laissé montrer que ce constat a déjà été fait, par la haute hiérarchie de l’ANP. Celle-ci a mis une année à se dégager, partiellement, de l’emprise organique, et de la démarche brutale de Ahmed Gaïd Salah, son homme fort des dix dernières années, disparu le 23 décembre 2019.
Avec Abdelmadjid Tebboune dans la fonction présidentielle, elle hérite d’un bug politique, qui a planté l’année 2020, et dont elle est co-responsable. En une semaine, entre le 16 février à Kherrata et le 22 dans tout le reste du pays, « l’intuition » s’est confirmée que la feuille de route héritée du management politique de Ahmed Gaïd Salah et incarnée par la présidence Tebboune, était la promesse d’une impasse historique face aux Algériens.
La poursuite de l’agenda électoral proposé avec les législatives comme prochaine étape, demeure l’option officielle du régime. Mais les lézardes ouvertes par la dégradation accélérée de la situation dans le pays, la paralysie du gouvernement Djerad, la perspective d’une activité personnelle ralentie du président convalescent et fragile, ont introduit le doute sur la viabilité du plan de 2019. La mobilisation populaire de ce 22 février 2021, malgré le dispositif sécuritaire et la persistance du risque épidémiologique, ne va pas l’estomper.
Le compteur à l’été 2019
La situation s’est passablement compliquée pour Abdelmadjid Tebboune, avant même cette journée tant redoutée du 22 février. La poursuite de l’agenda électoral officiel, les législatives anticipées, est bien partie pour avoir un cout politique et social élevé. Le Hirak va continuer à s’y opposer. Elle nécessitera sans doute un retour à la pure gestion sécuritaire ; aux procédures judiciaires et à leurs effets politiques énergétivores au moment ou les urgences économiques et sociales sont plus que pressantes.
L’impossibilité de conduire des réformes institutionnelles dans un contexte de défiance populaire est largement admise, en Algérie et chez ses principaux partenaires dans le monde. La remise en liberté des détenus d’opinion et du Hirak, en cours d’exécution, la dissolution euthanasique de l’APN et le remaniement anecdotique du gouvernement, ont, comme attendu, compté à la marge dans la trajectoire de la revendication populaire.
Le changement n’est pas là. La trêve de mars 2020 va probablement prendre fin et remettre symboliquement le compteur à l’été 2019. Dans un tel contexte, la proposition de la présidente de l’UCP, Zoubida Assoul d’aller vers des élections présidentielles anticipées pour 2022, à l’initiative du président Tebboune lui même comme le lui permet la nouvelle constitution (article 90 paragraphe 11), arrive sur la table comme une issue de sortie plus réaliste qu’elle n’y paraissait il y’a quelques semaines. Le départ programmé de Abdelmadjid Tebboune pourrait d’ailleurs couronner un processus de dialogue national, comme à la fin du mandat du HCE (Haut comité d’Etat) en janvier 1995, mais en format inclusif et souverain.
Au soir de ce 22 février 2021, il paraît bien plus fécond politiquement pour l’armée de remettre en jeu le mandat présidentiel, en mode ouverture, que de compléter la feuille de route de Ahmed Gaïd Salah en tentant de construire de bric et de broc, une majorité parlementaire à Abdelmadjid Tebboune en déshérence politique.
Par où reprendre le chantier ?
Le chef d’Etat Major, Saïd Chengriha, a pris beaucoup de temps pour déplacer le consensus interne à la haute hiérarchie de l’ANP. Il est bien sûr toujours question de maintenir le leadership politique de l’armée sur le pays, mais peut être pas au prix d’une confrontation interminable avec la demande populaire de changement démocratique. C’est une inflexion à observer.
Le paradigme de départ n’a pas changé. L’idée que la moindre concession sur les libertés allait entrainer la perte du pouvoir est toujours prégnante chez les dirigeants de l’armée. Ils considéraient, à la fin de l’ère Gaïd Salah, et face à l’irruption du 22 février, que l’ouverture de 1989-1992 était une erreur à ne pas rééditer. Elle a sans doute moins d’adeptes depuis que l’entourage fidèle à l’ancien chef d’Etat major a perdu la main dans l’affectation des responsabilités.
Dans un style plus apaisé, Saïd Chengriha, a donc introduit la possibilité de faire autrement que depuis mai-juin 2019. L’influence du clan Toufik dans cette inflexion n’est pas avérée. Elle existe par effet de pesanteur. La technique de préservation du système peut donc devenir moins primaire, un peu plus sophistiquée, surprendre le Hirak et ses élites. Elle ne risque pas de changer la donne sur le fonds.
La présidence (2019) et la constitution (2020) imposés ne passent pas. Il faudra bien reprendre le chantier quelque part. Sûrement pas par les élections législatives auxquels s’accroche Abdelmadjid Tebboune. Son « sacrifice » devient à son tour une option sérieuse.