Question d’actualité oblige, est-il possible de débattre de la révision du code pénal et notamment dans sa partie consacrée aux délits et crimes économiques et financiers ?
N’étant pas juriste de formation, moi-même, je me garderais bien d’entrée par effraction dans cette science ! Cependant, il me semble pouvoir être autorisé à ouvrir le débat, en attendant les analyses et autres contributions expertes en la matière, d’autant que l’opinion publique nous interpelle sur ces questions brûlantes. Les sources du droit (1), en la matière, sont essentiellement françaises, puisque dans les années 70, par ordonnances, le Code de commerce français a été reconduit après que le législateur, du moment, l’eut expurgé de tous ses articles racistes, discriminatoires et attentatoires à la souveraineté nationale. Il faut ajouter, à cette action, l’élimination et le rajout d’articles qui ont un caractère foncièrement politique, l’Algérie baignant, à cette époque, dans l’ère du « socialisme triomphant » (2). Enfin, il a été tenu compte du droit musulman (charia et fikh) et du droit traditionnel par exemple le régime des terres Malk, Arch, Habous), pour certaines régions, pour ce qui concerne notamment les aspects patrimoniaux ! A titre d’exemple, la forme d’organisation des sociétés, en la qualité de société anonyme (SA), a été éliminée des textes pour des raisons non économiques, alors que cette dernière est très usitée dans le monde et donne une flexibilité non négligeable aux créateurs d’entreprises. Les différentes modifications, introduites dans « notre » Code de commerce (3), par les pouvoirs publics, vont répondre aux besoins du moment, de même que l’amendement, en 2004, du code de procédure pénal (4). En outre, elles vont répondre aux injonctions du droit international dominant (5), afin de permettre notre insertion dans la mondialisation juridique, en construction accélérée. Peu à peu, nous allons assister à l’effondrement de pans entiers, de notre législation « socialisante », ainsi que des procédures (6), même si des réticences dogmatiques persistent jusqu’à nos jours (7). Cette tentative de mise à jour de notre droit commercial, va se heurter à des conservatismes d’un autre âge et développer des situations de côtes males étayées, ce qui va davantage compliquer le travail du juge chargé de dire la loi, d’autant que la jurisprudence est très peu valorisée, dans notre pays. C’est, par exemple, une évidence quotidienne, que, dans les affaires du droit du travail attenantes au code de commerce, la plupart des arrêts, rendus par les tribunaux, sont au profit des travailleurs quels que soient les délits constatés contre l’entreprise. C’est le même cas pour les arbitrages dans les affaires qui opposent l’état et ses démembrements, aux intérêts privés.
Le livre III, du Code de commerce, intitulé « Des faillites et règlements judiciaires, de la réhabilitation et des banqueroutes et autres infractions en matières de faillite », tente de cerner les situations de « mort » des entreprises, alors que les précédents prennent en charge leur « naissance et leur vie ». Nous sommes, à cet endroit, au cœur de l’actualité ! Beaucoup de monde se pose la question du devenir des sociétés, fondées par les oligarques, qui sont en « détention provisoire » et ceux qui vont suivre, dont notamment, les propriétaires (actionnaires majoritaires ou minoritaires), les administrateurs (8), les Commissaires aux Comptes (9), le staff managérial (les gérants, Directeurs Généraux), les salariés, l’ensemble des organismes légaux (Fisc, CNAS, CNR…) et enfin, les autres débiteurs et les créanciers. Il faut donc rassurer, tout un chacun, sur le fait que l’arsenal juridique existe ainsi que les instruments nécessaires à la conservation et à préservation des personnes morales, propriétées des présumés délinquants et aux autres intéressés directs ou indirects. Le juge, si l’entreprise est « viable », peut désigner un administrateur judiciaire pour la gérer, en attendant les jugements définitifs rendus par les différentes Cours. Il a également toutes latitudes à tenter de trouver un ou des « repreneurs », si des propositions sérieuses (financièrement parlant) se présentent. Le système bancaire et notamment public, peut demander une saisie conservatoire (séquestre) de l’entreprise, en faisant valoir ses droits, à travers les montants des crédits octroyés, enregistrés dans son bilan (ce fut le cas de la BADR pour l’entreprise Tonic). En outre, l’état, à travers le Trésor Public et son Agent Judiciaire du Trésor (AJT), peut « nationaliser » la personne morale, s’il est avéré que les ressources dilapidées ont un caractère majoritairement public et qu’elle représente un « intérêt économique ou social stratégique » (10). Enfin, le dernier recours, auquel le magistrat (chambre commerciale) peut recourir, c’est la liquidation pure et simple de l’entreprise, s’il constate (après expertises), qu’elle n’est pas viable, en nommant un liquidateur (ce fut le cas pour le groupe Khalifa) qui lui rendra compte régulièrement de l’état d’avancement de l’opération de liquidation et qui consiste à identifier les dettes et créances de l’entreprise et à désolidariser (opérations de paiements et recouvrements) les acteurs hiérarchiquement listés ( le fisc, la CNAS, les salariés, les fournisseurs et autres débiteurs et créanciers). Il suffit donc de se référer et de désigner les gens de l’art, pour mener à bien ces opérations, ce qui n’est malheureusement pas évident, puisque les quelques exemples que nous avons vécus, ont montré une « surdétermination politique » dans le traitement des dossiers passés, qui a desservi le processus et qui a entaché son bien-fondé ! Il faut espérer, que pour cette fois, toutes le diligences seront prises et respectées, conformément à la loi. Cette opération peut se prolonger à l’international si la personne morale a eut des activités, hors de nos frontières (11), auquel cas, c’est le droit du pays d’implantation et celui international qui s’appliqueront.
Enfin, se pose le problème du difficile « équilibre » entre incarcération physique et sanction financière, dans notre pays, dans lequel notre législateur a toujours eu une « préférence » pour la première, souvent au détriment de la seconde (12). D’où vient cette « tendance naturelle » ? A quel ancrage puise-t-elle ses sources et motivations ? Est-il moral et raisonnable, qu’après avoir purgé, une période de détention plus ou moins longue (13), un délinquant au « col blanc », puisse retrouver, à sa sortie, les fruits de sa rapine et d’en jouir pour le reste de sa vie, lui et sa famille ? D’autant que les préjudices sont supportés, par l’état, à travers le Trésor Public (14), c’es-à-dire de tous les contribuables, à plusieurs titres, celui des deniers publics détournés, celui des dépenses subséquentes à la détention (centres de détention, personnels de surveillances, hébergement et restauration, soins médicaux…) et celui du fonctionnement de l’appareil judiciaire et de ses auxiliaires (15). Le droit anglo-saxon et en particulier celui américain, utilise, avec lucidité, le concept de la caution et de la transaction (proportionnelle aux montants du délit) pour éviter au maximum, aux contribuables la lourde charge du procès et aux prévenus la « détention préventive » qui fait tant polémique, dans notre pays malgré qu’elle est clairement déclarée d’« exception » dans notre législation. Ainsi, dans les affaires délictueuses douanières, jusqu’à un certain niveau, ces notions sont très largement usitées à l’encontre les contrevenants, ceux qui permet la récupération de sommes importantes pour le Trésor Public (saisi du corps du délit et amendes dissuasives), sans toutefois recourir à l’incarcération (sauf pour des crimes liés aux stupéfiants et autres produits illicites). « Comparaison n’est pas raison », me diriez-vous avec raison mais tirer des enseignements utiles d’expériences étrangères n’est pas interdit si elles permettent une amélioration de notre système judiciaire et si elles rétablissent un rééquilibre entre la sanction carcérale et celle pécuniaire. La combinaison des deux sanctions semble la plus appropriée mais c’est justement, à cet endroit, que le problème réside ! Sur quelle base conceptuelle trouver un équilibre instable entre les deux parties composantes de la même sanction et laquelle des deux composantes privilégier, pour quelle soit dissuasive car là est le but recherché (16) ? A l’heure où les procès pour corruption s’accélèrent, dans notre pays, il me paraissait utile d’ouvrir ce débat, qui, me semble-t-il, est enfoui dans l’inconscient collectif de nos concitoyens, avec une forte propension à la vengeance. Ne dite-t-on pas qu’une « justice exemplaire est forcément partiale » ? MG
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(1) Le droit français, à l’origine, avait une forte connotation à la religion catholique que la papauté a imposée au cours des siècles. La révolution française va jouer un rôle prépondérant dans la séparation de l’église et de l’état, ce qui va se traduire, plusieurs siècles après, par la loi du 9 Décembre 1905, qui modifier son essence même avec la création du droit positif (positum), opposé du droit naturel. Les réformateurs protestants, J. Calvin (1509-1564) et M. Luther (1483-1546), vont jouer un rôle fondamental, en la matière et produire une source de droit nouveau, que l’on nomme, aujourd’hui, « anglo-saxon » et qui va introduire des flexibilités, morales et matérielles, aux règles de commerce, en général.
(2) Des verrous exorbitants vont fleurir dans notre législation, pour confiner le droit de propriété, de celui d’entreprendre, pour établir la toute puissance des entreprises publiques, sur celles privées nationales et internationales. L’étatisation de l’activité économique et financière sera le caractère dominant de la source du droit dans notre pays et l’exception la règle. Le démantèlement de tout ce dispositif va être entrepris par étapes et surtout de manière homéopathique et parcimonieuse.
(3) L’ordonnance n° 75-59 du 26 septembre 1975, relative au Code de commerce, peut être considérée, comme sa base législative et réglementaire. Tous les autres amendements, compléments et abrogations, vont être de circonstance et répondre aux besoins politiques du moment et notamment après la constitution de 1989.
(4) Les amendements apportés à cet texte sont très importants, puisqu’ils élargissent l’action public aux actifs des personnes physiques et à ceux de leur famille (ascendant et descendent). A titre illustratif, il est assez intéressant de constater que la plupart des oligarques ont construit des sociétés au nom des membres de leur propre famille.
(5) Le concept de mondialisation, n’est perçu, dans notre pays, que sous l’angle économique, oubliant celui juridique. Le cas typique de l’arbitrage nous permet d’en mesurer la consistance. Le tribunal de New-York, pour les affaires financières et celui de Genève pour celles commerciales, sont pourtant des exemples concrets, de son existence.
(6) Le tribunal des infractions économiques de Médéa, juridiction d’exception, a été dissous, après avoir rendu plusieurs sentences de peines capitales, qui ont été exécutées.
(7) L’exemple le plus flagrant est contenu dans le programme des privatisations du secteur public « non stratégique » et son échec patent.
(8) Dans les sociétés par actions, les administrateurs encours des « sanctions, civiles, pénales et pécuniaires », au cas où ils ne remplissent pas leurs prérogatives fixées par la loi.
(9) Le décret, fixant les conditions d’exercice de la profession, dresse les droits et obligations des Commissaires Aux Comptes et notamment celui d’informer le Procureur de la République, en cas d’observation, dans le cadre de l’exercice de leurs diligences, d’infractions à la législation en vigueur, au sens le plus large.
(10) L’exemple, le plus cité, est sans contexte, celui du Japon qui, après le krach financier de 1997, a enregistré les faillites de la maison de titres Sanyō Securities, de la banque Hokkaido Takushoku, de la maison de titres Yamaichi Securities et surtout de la Tokuyō City Bank. « Nationalisées » les banques incriminées puis redressées, elles ont été, de nouveau, privatisées ! On peut également citer les affaires du Crédit Lyonnais et de la Société Générale, en France, dans la même veine.
(11) Il semblerait (à vérifier), qu’une association internationale de lutte contre la corruption (FLCPDU) a déposé plainte et se porte partie civile, dans différents pays (Algérie, Suisse, France…), pour le gel des avoirs dilapidés et leur restitution.
(12) A titre d’exemple illustratif de cette situation, A. Haddad vient d’être condamné à six (6) mois de prison ferme et à … 60.000 DA d’amende (soit 230 Euros, sur le marché parallèle) pour l’affaire des doubles passeports !
(13) A ma connaissance (à vérifier) le maximum encouru pour ces crimes et délits, est de dix (10) ans d’emprisonnement. C’est à la fois, peu et beaucoup, selon les différentes opinions mais les sanctions financières subséquentes sont dérisoires pour tous !
(14) L’Agent Judiciaire du Trésor (AJT) ne dispose que de moyens très limités (humains, matériels et financiers) devant l’ampleur du phénomène et du montant des préjudices causés. Les avocats de renom et les experts judiciaires de qualité, refusent de travailler avec lui, du fait des honoraires dérisoires qu’il leur propose.
(15) Aucune étude bilancielle n’a été publiée, à ce jour, sur le volet des dépenses occasionnées pour le fonctionnement de l’appareil judiciaire et celui carcéral. Cependant, nous pouvons l’approcher par le budget dévolu au secteur et aux investissements consentis, comme, par exemple, la construction d’une cinquantaine de centres de détention programmé pour les vingt dernières années.
(16) J’exclus, de mon raisonnement, la peine capitale, (qui a été longtemps utilisée par le tribunal des infractions économiques de Médéa), par principe car son maintien ou son abolition n’a pas démontré statistiquement son efficacité sur le niveau de criminalité, de par le monde.