L’ancien ministre au Trésor algérien aux gouvernements Ghozali I et II, Ali Benouari, a critiqué les dernières prévisions économiques de la Banque Mondiale (BM) vis-à-vis de l’Algérie, publiées dans son rapport de suivi de la situation économique en Algérie, daté d’Avril 2020.
Ces prévisions basées sur un prix du pétrole moyen de 30 dollars le baril, qui entraînera une baisse de 21,2% des recettes fiscales totales de l’Algérie et un déficit budgétaire qui augmentera à 16,3% du PIB, malgré les coupes dans les investissements publics (-9,7%) et la consommation publique (-1,6%). Une forte baisse des exportations (-51%) qui devrait se traduire par un déficit de balance des paiements courants à un record de 18,8% du PIB en 2020. Quant au PIB lui même, il devrait baisser de 3% (contre +0,7% en 2019).
Le rapport indique aussi que « sans l’adoption de mesures supplémentaires pour réduire encore davantage les importations, les réserves de change seront ramenées à 24,2 milliards de dollars à fin 2020 », soit l’équivalant de 6 mois d’importations. La BM établit, par contre, des prévisions qu’elle juge plus favorables pour 2021 et 2022 (PIB à +1,1% en 2021, puis +1,8% en 2022, taux d’inflation à 3% pour les deux années, contre 4,0% en 2020).
Ali benouari s’étonne, en effet, que l’institution de Bretton Woods ait gardé intactes ses projections macroéconomiques pour les deux prochaines années, alors qu’elle vient de revoir celles de 2020. Il explique « qu’elles sont basées sur une hypothèse aléatoire, qui est le prix du pétrole, qui exerce une influence déterminante sur notre équilibre budgétaire et sur notre balance des paiements. » Il ajoute que « toutes les autres hypothèses de travail sont donc influencées par cette variable, ce qui devrait conduire à fortement relativiser la signification et la portée économique de telles projections.»
« La BM affirme que l’ampleur et la progression rapide des déficits budgétaires et de la Balance des paiements courants exigent une action urgente, car la dette publique augmente, et les réserves de change devraient s’épuiser en 2021. Imagine-t-on assez ce que cela signifie? Les experts algériens n’ont pas attendu 2020 pour lancer cette alerte. Cela fait longtemps qu’ils tirent la sonnette d’alarme, qu’ils soulignent que nos difficultés ne sont pas de nature conjoncturelle, que notre économie est trop vulnérable aux chocs externes, etc. » S’étonne-t-il.
Par ailleurs, l’expert estime que « Les multiples conséquences de la baisse du pétrole et de la crise sanitaire actuelle amènent à penser, en particulier, que le rétablissement des équilibres financiers seront certainement plus compliqués pour notre pays que pour les pays qui ont une économie diversifiée, d’autant plus si d’autres problèmes récurrents, qui concernent l’environnement microéconomique dans lequel baignent nos entreprises, sont pris en compte». « les entreprises déjà fragilisées par un environnement défavorable, souffriront encore plus de la double crise actuelle qui accentuera leurs difficultés de financement et d’approvisionnement. »
Face aux prévisions « optimistes » de la Banque Mondiale, l’ancien ministre met davantage le curseur sur l’ampleur des réformes à entreprendre au niveau de l’économie nationale. « Cette institution ne peut pas se substituer aux politiques des pays membres. Son rôle de conseil se limite au strict domaine technique.» déclare-t-il. Et d’ajouter « Dans notre pays, ces contraintes sont liées à la diversification de notre commerce extérieur, à la révision de notre systeme de subvention, à l’amenuisement des surplus de gaz et de pétrole pour l’exportation, à la faiblesse de notre épargne intérieure, à la raréfaction prévisible de nos moyens de paiement extérieurs et, pour finir, à l’augmentation de nos besoins sociaux et économiques qui vont de pair avec notre accroissement démographique (dans les 3% par an). Ces besoins nous condamnent à la nécessité d’avoir un taux de croissance à deux chiffres pendant au moins une dizaine d’années.»
« Le chantier est vaste, mais seules de vraies réformes de structures permettront de construire une économie innovante et productive. »
Parmi les préconisations avancées par Ali Benouari, figure la question des réformes à « grand spectre » ou structurelles, destinées, d’après lui, à faciliter l’investissement et la création de richesses, à rompre avec la corruption, le marché noir et la bureaucratie qui étouffent notre génie créateur, entre autres.
Pour le fondateur du parti Nida El Watan, « les réformes ne sont néanmoins pas simples car elles touchent à tout ce qui conditionne l’acte d’investir et de créer des richesses. Elles renvoient donc à l’organisation et au mode de fonctionnement de l’ensemble de notre économie. »
Il prend en exemple le climat des affaires qui, selon lui, ne peut pas être dissocié d’une justice efficace, diligente et indépendante. « Le processus de création de richesses dépend également de la disponibilité de ressources humaines en nombre et convenablement formées. D’où la nécessité de revoir le système d’éducation et de la formation. Ce processus dépend enfin de la révision des politiques budgétaire, douanière, financière et monétaire. » Assure-t-il.
Concernant les mesures à prendre de manière endogène vis-à-vis de ce cadre général, Ali Benouari voit d’un bon œil l’instauration d’une politique de planification, qu’il pense essentielle dans ces réformes, « en tant que colonne vertébrale qui fixe le cap et stabilise l’effort de développement. Ce qui induit une planification des objectifs de développement de chaque secteur (à long et à moyen terme) et une planification des moyens humains et financiers pour les atteindre. »
D’autre part, il considère qu’il faut encore « inventer de nouvelles méthodes de gestion, qui devront être assises sur de nouveaux instruments et mécanismes adaptés à l’économie de marché. Ils permettront d’optimiser et de fluidifier la circulation des marchandises et des capitaux, de mobiliser l’épargne nationale et étrangère, réhabiliter l’effort et le travail productif. »