Cette contribution fait suite à celle parue dans le site Maghreb Emergent, le 26/11/2015 sous la titre « évitons la sinistrose : il n’y aura pas d’explosion sociale à court terme ». C’est que l’Algérie peut surmonter la situation difficile, sous réserve d’une bonne gouvernance, devant éviter tant l’autosatisfaction que la sinistrose gratuite.
Tensions sociales, sécurité, insécurité, et développement ou non développement sont indissociables, car ils entretiennent des relations dialectiques. Dans ce cadre je ferai six propositions pour rétablir la croissance et la confiance brisée Etat/citoyens sans laquelle aucun développement n’est possible.
Premièrement, il ya lieu de définir avec précision, le rôle de l’Etat dans le développement économique et social, notamment dans la nouvelle constitution, face aux nouvelles mutations internes et mondiales. La compétition dans une économie globale fait que chacun a le monde pour marché et tous les consommateurs pour clients. La traduction d’un monde ordonné autour de la production est largement dépassée. Et l’entrée en lice de l’Inde et surtout de la Chine dans le commerce mondial représente une vraie révolution, caractéristique de l’unification des conditions de production dont la valeur ajoutée augmente, mais dont les distances entre la production et la consommation diminuent avec la révolution dans le domaine du transport et des télécommunications. L’Algérie doit tenir compte de l’adaptation aux mutations mondiales irréversibles. Les négociations futures avec l’Organisation mondiale du commerce et les accords pour une zone de libre-échange avec l’Europe applicable depuis le 1er septembre 2005 doivent correspondre aux avantages comparatifs tant de l’Algérie que des pays du Maghreb dans leur ensemble. Car je pense fermement que l’Algérie ne dispose pas d’autres alternatives que l’adaptation à la mondialisation dont les espaces euromaghrébins, africains et euro-méditerranéens constituent son espace naturel. Prétendre que la mondialisation aliène le développement du pays et les libertés c’est ignorer une évidence : sans insertion dans l’économie mondiale, l’Algérie serait bien davantage ballottée par les vents des marchés avec le risque d’une marginalisation croissante. Les réformes structurelles seront douloureuses à court terme, car elle impose des changements et de fortes résistances des tenants de la rente, mais elle est bénéfique à moyen et long terme. Pour arriver à cette adaptation, la cohérence gouvernementale autour de grands ministères, sous réserve d’une planification stratégique s’avère nécessaire.
Deuxièmement, l’Algérie grâce à la rente des hydrocarbures vit sur un modèle égalitaire simple, l’Etat propriétaire gestionnaire régentant l’ensemble de l’activité économique et sociale : réduction des inégalités, développement des prestations sociales pour tous (les subventions généralisées à plus de 25 milliards de dollars en 2013) bien que certains contestent que ce modèle ait été équitable, assistant à une concentration des revenus au profit d’une minorité rentière. Mais d’une manière générale, ce compromis sera remis en cause tant par la baisse des recettes d’hydrocarbures entre 2017 et 2020 et avec l’évolution d’une société plus ouverte, plus individualiste exigeant des traitements plus personnalisés, avec comme toile de fond une croissance plus sélective, rendant urgent une meilleure articulation des rôles respectifs et complémentaires de l’Etat et du marché. De ce fait, cela remet en cause le traitement statistique global qui correspond de moins en moins à la réalité plus complexe, supposant d’ailleurs une structure indépendante du gouvernement comme l’atteste actuellement l’effritement du système d’information. La société de marché incitant naturellement à plus d’efforts et de dynamisme et la solidarité dans la compétition implique de cesser d’exclure sous peine de devenir une société de décadence. Ainsi, les problèmes doivent être abordés différemment et cela passe par une réflexion collective sur la justice au sens sociétal. L’universalité de la justice n’existant pas, elle dépend du moment daté et du mouvement historique. Une société dynamique en forte croissance offre des espoirs individuels plus grands en tolérant certaines inégalités qu’une société dont l’économie en stagnation où l’avenir est incertain. Paradoxalement, en dynamique, certaines inégalités à court terme profitent aux plus défavorisés à moyen terme si l’on respecte les droits fondamentaux, bien qu’il faille éviter une domination excessive de l’argent sur la vie sociale. Dans un tel contexte, il faut identifier les inégalités qui doivent être combattues (inefficaces et injustes) et trouver le niveau acceptable d’inégalités nécessaires pour assurer le dynamisme de l’économie
Troisièmement, en ce qui concerne l’emploi, la politique passée et actuelle a été de préférer la distribution de revenus (salaires versés sans contreparties productives) à l’emploi, c’est-à-dire contribuant implicitement à favoriser le chômage. Aussi, s’agit-il de modifier les pratiques collectives et réduire les à-coups sur l’emploi en accroissant la flexibilité des revenus et des temps de travail par une formation permanente pour permettre l’adaptation aux nouvelles techniques et organisations. Le rôle primordial pour l’emploi est d’introduire l’initiative économique de tout le monde et les capacités entrepreneuriales caractérisées par les prises de risques industriels et économiques. La solution la plus sûre est de s’appuyer sur la qualification, la professionnalité des salariés allant de pair avec la spécialisation de l’économie. L’avenir est dans les gisements importants d’emplois sur les activités de services, des emplois de proximité, ce qui impliquera le développement important dans les années à venir des services marchands rendus nécessaires par l’élévation du niveau de qualification. Pour cela, une place importante doit être donnée à la négociation collective où l’Etat se confinera à son rôle en matière de minima de salaires et de grilles de classifications professionnelles et d’introduire des incitations comme celui d’abaisser les cotisations sur les bas salaires afin de diminuer les coûts relatifs des emplois non qualifiés. Cependant, en allégeant les charges, il faudra mesurer le prix de cet effort de redistribution par les actions ciblées de solidarité nationale en évitant de décourager les activités économiques.
Quatrièmement, les fondateurs du communisme l’URSS et la Chine réalisent une transition maîtrisée vers l’économie de marché. Trois formules sont à adopter par l’Algérie. Premièrement, jeter les bases d’un véritable partenariat public-privé local et international et privé local-privé international. Deuxièmement, ouvrir les capitaux des entreprises publiques aux opérateurs privés qui ont le savoir faire. Troisièmement, démonopoliser (à ne pas confondre avec la privatisation qui est une cession d’actifs) certains créneaux en permettant au privé d’investir dans des secteurs où seules les entreprises publiques ont actuellement le droit d’investir. Mais, les représentants du secteur privé ne sauraient être les portes paroles du gouvernement représentant uniquement leurs adhérents, étant une force sociale parmi tant d’autres, qui pour s’imposer a besoin d’une cohésion et unification dans ses rangs évitant ces nombreuses organisations patronales pour des raisons de leadership. L’Etat a ses propres structures, représentant la conscience collective devant maximiser l’optimum social, conciliant efficacité économique et une très profonde justice sociale qui n’est pas l’antinomie de l’efficacité. Il faut être pragmatique car de parle monde n’existe pas de capitalisme sauvage. Comme l’étatisme bureaucratique rentier est une utopie néfaste devant concilier efficacité économique avec une très profonde justice sociale. Par ailleurs, il y a lieu de favoriser les réseaux avec la diaspora algérienne concernant surtout le savoir faire, en levant toutes les contraintes d’environnement, bureaucratie, système financier, système socio-éducatif et le foncier. C’est pourtant ce qu’ont fait de nombreux pays pour faire de leurs économies respectives de véritables économies de marchés concurrentielles productives en harmonie avec la cohésion sociale. L’on doit éviter les slogans idéologiques et miser sur l’efficacité économique, la règle des 49/51%, qui a selon nos enquêtes, a produit des effets pervers avec des surcoûts supportés par le trésor algérien, sans réaliser le transfert technologique et managérial, doit être assouplie pour les segments non stratégiques notamment les PMI/PME, en introduisant la minorité de blocage. Outre la déclaration de différentes entrepreneurs et responsables européens, asiatiques et américains qui ont affirmé durant les mois de septembre à novembre 2015 que les PMI/PME ne viendront pas avec cette règle démentent certains propos démagogiques., Nous avons réalisé quelques enquêtes montrant pour l’instant que le résultat est très mitigé. Une minorité d’étrangers ou d’algériens qui se targuent de la réussite sans faire de bilan depuis 2009, défendent en réalité des intérêts de rente. Or avec la baisse du cours des hydrocarbures, cela ne fera qu’accroître la baisse des réserves de change ou l’endettement. Où est alors l’indépendance économique nationale ?
Cinquièmement, loin du populisme qui ne peut que conduire à une perte de la souveraineté nationale, il faut être conscient que sans réformes structurelles, évitant les replâtrages, l’Algérie les tensions sociales sont inévitables horizon 2018/2020 devant avoir au minimum un taux de croissance de 8/9% face à un flux additionnel annuel de demande d’emplois entre 350.000/400.000, accroissant la demande sociale sous ses différentes formes. . L’Algérie a hérité d’un modèle calqué sur le modèle de l’Ex camp soviétique pour des raisons historiques où le slogan était la prépondérance du secteur d’Etat avec la distribution par le passé de bénéfices même à des sociétés déficitaires. Mais une Nation qui distribue plus qu’elle ne crée de valeur, des traitements et salaires sans contreparties productives, est vouée à la décadence. Vaut mieux un petit sacrifice à court terme à condition qu’il soit partagé qu’un choc violent par le retour au FMI avec des conséquences à la fois économiques, politiques, et sociales touchant surtout les couches les pus défavorisées. L’inflation joue toujours comme facteur de redistribution de revenus au profit des revenus variables et il appartient à l’Etat de concilier l’efficacité économique et équité qui n’est pas antinomique avec l’efficacité.
Sixièmement, les appareils d’Etat aux plus hauts niveaux doivent donner l’exemple dans la rigueur budgétaire, certains projets accusant 25/30% de surcoûts par rapport aux normes internationales, renvoyant d’ailleurs à la moralité de ceux qui dirigent la Cité. Car, une loi de finances n’est qu’une loi retraçant les recettes et dépenses annuelles de l’Etat. Elle ne saurait se substituer à l’urgence d’une vision stratégique qui fait cruellement défaut afin de réaliser cette transition difficile, mais à la portée de l’Algérie sous réserve d’un Etat de Droit et du renouveau de la gouvernance, d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures et tenant compte des nouvelles mutations managériales et technologiques mondiales avec le passage de l’ère de la matérialité (vision mécanique du passé) à l’ère de l’immatérialité. L’Algérie souffre de leadership. Pour éviter un scénario catastrophe, qu’aucun algérien ne souhaite, et le retour au FMI , l’Algérie, qui a d’importantes potentialités, a besoin de mobiliser tous ses enfants sans exclusive, de concilier efficacité économique avec une très profonde justice sociale et de démystifier l’apport du secteur privé national et international créateur de richesses conjointement avec un secteur d’Etat performant.
(*) Dr Abderrahmane MEBTOUL Professeur des Universités, expert international [email protected]