La chronique de El Kadi Ihsane sur El Watan cherche une cohérence à l’action économique du gouvernement sous influence de la feuille de route de feu la task force.
L’influence de feu la task force auprès de feu le gouvernement Sellal ne s’est pas totalement dissipée sous le gouvernement Ouyahia deux années après. Deux des nombreuses pistes de réponses au contre choc pétrolier suggérées par les experts de la task force travaillent la conjoncture économique de 2018 : le maintien d’un niveau de commandes publiques soutenu et le financement du déficit budgétaire par le recours à la Banque d’Algérie. La première recommandation est nourrie par le scénario de 1987. Le gouvernement Abdelhamid Brahimi avait coupé sèchement dans les dépenses d’équipement après la chute des cours du brut en décembre 85. Explosion du chômage en 1987. La suite est connue.
La deuxième recommandation a une généalogie voisine. La planche à billet et l’inflation qui va avec et qui peut réduire mécaniquement les importations, plutôt que l’endettement extérieur qui abimera à terme le solde de la balance des paiements. Sur ces deux grands leviers de croissance, la commande publique et le financement non conventionnel, le gouvernement actuel applique la feuille de route de la Task Force. Il a augmenté de près de 50% le budget de l’équipement dans la loi de finance pour 2018 et projette d’en accélérer le décaissement avec le Projet de loi de finance complémentaire PLFC 2018.
La détente s’est déjà fait ressentir sur une partie des entreprises des BTP au premier trimestre de l’année. La seconde permet au trésor public de faire face au déficit de la caisse nationale des retraites CNR pour l’année en cours et aux paiements des écarts tarifaires de Sonatrach (Gaz et carburant) et de Sonelgaz (électricité et gaz) à hauteur global de 1800 milliards de dinars. Jusque là tout va bien.
Tout cela ne crée pas une économie
Mais ou se trouve le reste des recommandations de la Task Force pour basculer vers un nouveau modèle de croissance basée sur la diversification des exportations ? La réduction du périmètre public dans l’économie pour l’ouvrir à plus de concurrence du privé (Banques, institutions financières, transports aériens et maritimes, universités, valeur ajoutée IT sur le backbone d’Algérie Télécom, gestion des infrastructures, médias lourds… etc) est en panne. La réforme de la relation entreprise-Etat n’est pas engagée, la discrimination public-privé perdure, la relance de l’attractivité des capitaux étrangers est reportée, les incitations à l’exportation sont toujours étranglées par les directives de la Banque d’Algérie sur la législation des changes.
A cela s’est ajouté l’écrémage de l’investissement stratégique des grands groupes privés par niveau de proximité avec la famille Bouteflika, comme l’illustre l’affaire de Cevital bloqué à Bejaia pour le projet de la trituration des graines oléagineuses au profit du groupe rival Kouninef ami de la famille présidentielle. Le recours à la substitution aux importations mettra de nombreuses années pour produire son effet. L’intégration n’étant jamais acquise d’avance.
Les barrières à l’entrée jamais durable. La preuve, le PLFC 2018 est contraint d’envisager de changer de barrières en passant du contingentement à la surtaxation. Tout cela ne crée pas une économie de substitution au modèle de la croissance molle par la dépense publique forte. Idéalement, une autre task force devrait venir reprendre la feuille de route et l’adapter à la conjoncture piégeuse qui s’installe. Celle de la stagnation. « C’est mieux que la dégradation » arguent les amis du 5e mandat. Et c’est pour cela qu’il faut s’en alarmer.
Sonatrach en mode acquéreur
Dans ce contexte macro-économique ou le pilotage du gouvernement s’apprête à reproduire le schéma classique de la croissance subventionnée, un homme détonne complétement. Il n’est pas au gouvernement. Il est à la tête de Sonatrach. Abdelmoumene OuldKaddour a défrayé la chronique des affaires l’autre semaine en annonçant dans les Echos, l’acquisition par Sonatrach auprès d’Exxon Mobil d’une raffinerie en Sicile et de deux terminaux pétroliers qui lui sont liées.
Il est très difficile de critiquer d’emblée cette opération. L’Algérie traine un gap de 3,5 millions de tonnes de carburants par an qui lui coute plus d’un milliard de dollars en moyenne annuelle en importations. Le gouvernement a décidé sous Youcef Yousfi, il y a déjà plus de trois ans, de combler ce déficit en construisant trois nouvelles raffineries. Coût total présumé de l’investissement environ 6 milliards de dollars. Plusieurs voix avisées privilégiaient le rachat d’actif à l’extérieur, dont celle du professeur Mourad Preure favorable à l’acquisition de la raffinerie de Fos sur Mer en décote il y a quatre ans déjà. Le calcul économique est vite fait.
Les deux paramètres qui rendent le business plan d’une raffinerie du sud de l’Europe rentable pour Sonatrach sont garanties : la fourniture du brut et le marché cible à la sortie. Reste la négociation de la transaction. Les prédécesseurs d’ Ould Kaddour n’ont même pas envisagé de l’engager. Lui l’a fait et l’a conduit jusqu’au bout. Il s’est peut-être trompé sur son capex, le coût de mise à niveau de l’équipement. Mais il faudra sans doute attendre pour juger. La requête en dépollution du terrain par les collectivités locales, info rapportée par Maghreb Emergent, a-t-elle été intégrée dans le prix de la transaction ? Une chose est plus ou moins acquise.
Le programme boulimique qui voulait installer deux nouvelles raffineries à Tiaret puis à Biskra après celle de Hassi Messaoud est sans doute mis sous l’éteignoir pour le moment. Grâce à la transaction d’Augusta en Sicile. La balance devises du pays, et la trésorerie de Sonatrach y gagneront. L’audace de ce chef d’entreprise publique serait tout à fait anodine si tous les PDG publics avaient carte blanche comme lui pour faire avancer leurs business au mieux des intérêts de leurs actionnaires.
Abderrahman Ould Kaddour a sans aucun doute raison de prendre les risques de gestion qu’il prend pour résoudre l’équation de l’importation des carburants au moindre frais en devises. Comment un tel management proactif, dont on a perdu l’habitude dans le secteur public algérien depuis si longtemps, peut-il entrer en résonnance avec une politique publique qui vient à son appui ? Par la poursuite de la baisse progressive de la subvention implicite des carburants en Algérie. Consommations contenues, importations éliminées, investissements évités. Il y a tellement mieux à faire dans la transition énergétique.