Plus riches et moins peuplés que l’Algérie, les pays du Golfe ont pris des mesures d’austérité bien plus sévères. Sont-ils plus « rigoureux » que l’Algérie? Des économistes algériens répondent.
Les prix des carburants qui ont augmenté, en début d’année, de moins de 9% en Algérie, ont connu une hausse de 30% au Qatar et de 50% à Bahreïn. L’Arabie Saoudite, elle, a décidé de réduire 80% de ses subventions sur les produits pétroliers. Des subventions touchant d’autres produits ont été réduites, impliquant une hausse de prix.
Des économistes interrogés Maghreb Emergent sur ce paradoxe estiment que l’Algérie maintient comme priorité politique la paix sociale, préférant ne pas prendre des mesures économiques nécessaires mais impopulaires.
Pour Khaled Menna, économiste au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) les autorités algériennes hésitent à prendre des mesures d’austérité drastiques pour des considérations purement sociales.
« Nous avons un lourd héritage socialiste, ce qui n’est pas le cas des pays du Golfe et il est difficile de prendre de telles mesures sans craindre des remous « , explique-t-il. D’autre part, les pays du Golfe, influencés par la culture anglo-saxonne, maîtrisent l’outil de la communication, ce qui n’est justement pas notre point fort, en Algérie, pense le chercheur.
« Les pays du Golfe communiquent évidemment pour rassurer leurs partenaires internationaux plutôt que leurs populations, mais le fait est qu’ils savent passer leurs messages », ajoute-t-il en relevant que l’Algérie aurait dû agir bien avant la baisse des prix du pétrole de 2014.
« Notre pays aurait dû être attentif aux signaux lancés dès la baisse de notre production en 2006 et prendre les mesures qui s’imposaient dès l’année 2009, à la faveur justement de la fameuse LFC (loi de finances complémentaire) qui, au final, n’a pas traité les problèmes de fond dont souffre l’Algérie ».
Pour l’économiste, des mesures d’austérité supplémentaires, dans le cadre de la loi de finances 2017 sont nécessaires. « Des mesures inévitables, puisque le FRR (Fonds de régulations des recettes) sera épuisé en 2017 et n’aura donc plus le rôle d’outil de régulation budgétaire. Dorénavant, les recettes pétrolières seront budgétisées et les déficits seront réels » conclut-il.
« Notre capacité de résilience est à sa limite«
Pour Mohamed Achir, professeur d’économie à l’université de Tizi-ouzou, l’Algérie est loin d’avoir la capacité de résilience des pays du Golfe, qui ont « fait des choix courageux et impopulaires » alors que « l’Algérie a fait plutôt un choix politique, celui d’entretenir la paix sociale ».
« Nous avons, bien sûr, pris un certain nombre de mesures tels que la dévaluation du dinar. C’est une mesure douloureuse mais malheureusement conjoncturelle. Il nous faudra engager des réformes profondes et intervenir sur les fondamentaux de notre économie », souligne-t-il.
« Notre capacité de résilience est à sa limite » estime-t-il avec le tarissement du fonds de régulations et la baisse des réserves de changes dégringolent. « Il est urgent de prendre des mesures fermes nécessitant une mobilisation générale », affirme-t-il.
Un système d’information qui fait encore défaut
Pour le Pr. Abderrahmane Mebtoul, le système de subvention algérien est bien plus vaste que l’on serait tenté de le croire d’où la difficulté de prendre des mesures aussi draconiennes que celles prises par les pays du Golfe.
« Les subventions de l’Etat, ce ne sont pas uniquement celles qui touchent le pain, le lait et d’autres produits alimentaires de première nécessité. En Algérie, le champ de la subvention est très large. Il va des repas des étudiants, dont le prix n’a pas changé depuis les années 1970, au soutien accordé à de grandes entreprises telles que la SNVI (Société nationale de véhicules industriels) ou encore au complexe d’El Hadjar ».
Le Pr Mebtoul pointe un autre problème important en Algérie, celui de l’absence d’un système d’information permettant d’identifier les différentes couches sociales du pays pour pouvoir cibler les subventions.
« A l’heure actuelle, ce système n’existe pas et chaque ministère dispose de ses propres normes, d’où la difficulté de prendre des mesures ciblées. Dans les pays du Golfe ce système ne fait pas défaut et c’est ce qui fait toute la différence » note-t-il tout en relevant qu’i existe une volonté en Algérie de mettre en place un système d’information dans un avenir proche.
Le professeur estime néanmoins que même dans les pays du Golfe, les politiques d’austérité pourraient mener à des remous sociaux. Pour lui, le vrai souci en Algérie est celui de la gouvernance.
» Nous n’avons pas de vision stratégique. Depuis vingt ans, l’Algérie n’est ni dans une économie de marché ni dans une économie administrée. Il est temps d’avoir une vision claire sur ce que nous voulons » souligne-t-il en suggérant de s’intéresser de près au cas du Venezuela qui se trouve au bord de la faillite en raison d’une politique de subvention débridée.
Une culture d’assistanat enracinée et valorisée
L’économiste, Abdelhak Lamiri évoque pour sa part l’enracinement d’une culture d’assistanat valorisée par tous les pans de la société. Il note à cet effet que « beaucoup de rendez-vous politiques pointent à l’horizon » et que ce ne sera pas « le moment idéal de faire des réformes du point de vue politique ».
Pour Lamiri qui trouve pertinente la tendance des pays du Golfe à aller vers plus d’austérité à condition qu’elle soit bien réparti, l’Algérie doit concevoir un plan de communication pour expliquer aux citoyens et procéder progressivement à des politiques plus rigoureuses.
Mais, met-il en garde, « si le mode de fonctionnement de l’administration et des entreprises ne s’améliore pas, la rigueur ne va pas suffire… Il nous faut un plan stratégique pour mettre de l’ordre dans l’économie (…) Il nous faut de l’austérité mais elle seule ne suffit pas ».
Pour Abdelmalek Serrai, les pays du Golfe sont dans une situation totalement différente de celle de l’Algérie. L’Algérie, soutient-il, a une bonne politique sociale mais elle doit impérativement revenir à la réalité des prix.
« Ce sera évidemment un choix difficile » admet-il. Mais, affirme-t-il, les pays du Golfe ont plus à perdre que l’Algérie si la baisse des prix du pétrole persiste, en raison notamment de la perte de future gros contrats.
L’Algérie aurait pu atténuer l’impact de la crise pétrolière si elle avait engagé des démarches pour diversifier son économie, il y a une vingtaine d’années quand on a commencé à évoquer plus ou moins sérieusement le sujet.
« Nous devons diversifier l’économie en misant principalement sur l’agriculture que nous pouvons développer très rapidement. Il nous faudra trois à quatre ans pour remettre l’industrie sur les rails et cinq à six ans pour développer le tourisme » affirme-t-il avec un certain optimisme.
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