Abdelmalek Sellal a annoncé des perspectives de croissance qui contredisent le FMI et la Banque Mondiale. L’écart est si important qu’il ôte tout crédit aux affirmations du premier ministre.
Ramadhan et Coupe du monde : pour l’Algérie, c’était virtuellement la double peine. Difficile de parler économie en de telles circonstances, à un moment où le pays tout entier plonge dans une douce léthargie, bientôt prolongée par les chaleurs et l’évasion du mois d’aout.
C’est pourtant dans cette période très improbable, que se livrait un match encore plus improbable, opposant Abdelmalek Sellal aux institutions économiques internationales, FMI et Banque Mondiale. Lorsqu’il avait présenté son plan d’action au parlement, au lendemain de la présidentielle du 17 avril, le premier ministre avait ouvertement défié les institutions de Bretton Woods. Il avait promis un taux de croissance de sept pour cent, pour faire de l’Algérie un pays émergent à la fin du mandat actuel du président Abdelaziz Bouteflika.
C’est un chiffre « brésilien », susceptible de doubler le PIB du pays en une décennie. Selon le premier ministre, le PIB par habitant devrait alors atteindre 7.200 dollars par habitant, contre 5.764 dollars actuellement. Dans le même temps, le FMI maintenait des prévisions de croissance beaucoup plus modestes pour l’Algérie. En 2014, le pays devrait réaliser une croissance de 4.5% (une prévision antérieure limitait ce taux à 3.7%), contre 4.1% en 2015, après un très modeste 2.7% en 2013. L’écart est énorme, et parait d’autant plus significatif que les prévisions du FMI elles-mêmes, ont souvent pêché par optimisme durant les dernières années.
Prudence de la Banque Mondiale
La Banque mondiale prévoit, de son côté, une croissance encore plus modeste. Un petit 3,3% pour en 2014, avant une légère hausse à 3,5% en 2015, et une stabilisation ensuite, à 3,6% en 2016. La prudence des deux institutions est justifiée par un constat dont elles partageaient les grandes lignes : l’économie algérienne est encore trop rigide, souffrant de trop de verrous, avec une règlementation obsolète, des pratiques paralysantes, une bureaucratie handicapante, et trop peu d’ouverture sur le marché et sur l’extérieur. Le FMI souligne aussi ce handicap majeur de l’économie algérienne : elle est trop peu diversifiée, et ne peut se s’émanciper des hydrocarbures.
En maintenant des prévisions de croissance très limitées, FMI et Banque Mondiale admettent implicitement que rien ne permet d’entrevoir des changements notables à court terme. Les deux institutions ont raison : pourquoi le président Bouteflika changerait-il de cap, et pourquoi M. Sellal ferait-il autre chose, lui qui présente des perspectives complètement farfelues et des chiffres très approximatifs ?
A en croire M. Sellal, quatre secteurs stratégiques seraient mobilisés pour atteindre ces résultats. Il n’a pas hésité à inclure le tourisme parmi ces leviers de la croissance. Qui peut aujourd’hui prendre au sérieux une telle affirmation ?
Approximations
Les chiffres de M. Sellal valent aussi le détour, tant ils sont approximatifs. Selon lui, le PIB serait actuellement de 5.800 dollars par habitant. Il passerait à 7.200 dollars en 2019, ce qui représenterait une augmentation de 35%, au total, soit sept pour cent par an. Cette méthode de calcul est pourtant erronée, car la croissance se calcule une année sur l’autre, et un taux de croissance de sept pour cent donnerait une croissance de 40%
Le PIB, calculé en dinars, serait passé de 11.991 milliards en 2010 à 17.520 en 2013, soit une progression de 46%. Mais en dollars, il serait passé de 161 milliards 220 milliards, soit une progression de 36% seulement. Le PIB hors hydrocarbures aurait augmenté de 55% durant la même période en dinars (7.811 milliards de dinars contre et 12.120 milliards), contre 44% en dollars (105 milliards contre 150). Le décalage serait du à une baisse de sept pour cent du dinar par rapport au dollar.
Interrogé sur cette question, un économiste a eu ce commentaire lapidaire : « la règle, c’est d’utiliser la même unité de référence, en dollars constants par exemple, pour obtenir des résultats significatifs. Autrement, cela devient de l’amateurisme, ou de la manipulation inutile », dit-il.
Des prix déconnectés du réel
A côté de cette volonté manifeste de faire dire aux chiffres ce qu’ils refusent d’exprimer, M. Sellal occulte un autre élément essentiel : l’économie algérienne est fortement déstructurée, avec des coûts et des prix largement déconnectés du réel. « Il est impossible d’avancer sans avoir rectifié au préalable ces distorsions », ajoute l’économiste. « Le marché de l’automobile est faussé par la subvention du carburant, qui déséquilibre toute la filière du transport », dit-il à titre d’exemple.
« La filière alimentaire est également déséquilibrée par la subvention du lait et du pain », ajoute-t-il, soulignant qu’il « ne s’agit pas de supprimer coûte que coûte les subventions, mais de faire en sorte qu’elles corrigent les inégalités, sans déséquilibrer des filières entières ». Un ancien ministre note, tranché : « le gouvernement obéit à une ligne directrice : acheter la paix sociale. C’est louable, mais c’est une vision à court terme, qui va encore aggraver la situation », dit-il. Il en conclut qu’il « n’y a aucun crédit à accorder aux intentions de M. Sellal », dont les propos lui paraissent « fantaisistes ». C’est peut-être de l’humour, tout simplement.