Tahar Benaïcha, l’homme qui se revendiquait communiste et musulman - Maghreb Emergent

Tahar Benaïcha, l’homme qui se revendiquait communiste et musulman

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Tahar Benaïcha, décédé samedi 2 janvier dans la soirée, à l’âge de 90 ans, a été inhumé dimanche dans son village natal de Guemar, dans la wilaya d’El-Oued. Abed Charef propose un portrait de ce spécialiste de la civilisation musulmane. Tahar Benaïcha constituait un véritable paradoxe.

Marxiste militant, il se présentait comme « le dernier des communistes algériens », les autres ayant tous, de son avis, abdiqué. Mais dans le même temps, il vouait une admiration sans bornes à la civilisation islamique, dont il se réclamait fortement. D’un caractère difficile, il s’est retrouvé, à la fin de sa vie, en guerre à la fois contre les communistes et contre les islamistes algériens.
Dès son enfance, à Guemar, dans la wilaya d’El-Oued, dans les années 1920, Tahar Benaïcha se trouve plongé dans la culture islamique traditionnelle, avec fréquentation de l’école coranique et acquisition des rudiments de savoir qu’elle offre. Son adolescence et sa jeunesse sont un véritable chaos. Il découvre, d’un côté, les brillants mathématiciens, physiciens, astrologues et autres illustres médecins musulmans, que lui offrent ses lectures, poursuivis plus tard à la Zitouna. Et d’un autre côté, il constate la déchéance d’une société musulmane engluée dans l’ignorance et les pratiques absurdes. D’autres que lui ont prôné des solutions radicales : retour aux sources du wahabisme, relecture de l’Islam des réformistes, puritanisme religieux, laïcs qui veulent se projeter dans la modernité à l’image d’Atatürk. Tahar Benaïcha préfère une autre piste : faire le grand bond en avant, pour rattraper et dépasser les sociétés occidentales capitalistes qui utilisaient science et savoir pour dominer le monde.
Sa pensée se construit progressivement, en parallèle au développement du mouvement national, que son statut d’intellectuel atypique lui permet de suivre de près. Il a en effet connu, de près ou de loin, la plupart des dirigeants du nationalisme algérien, sur lesquels il a un jugement souvent expéditif. Il fréquente la Zitouna où il rencontre notamment Abdelhamid Mehri, et il anime, plus tard, des meetings avec Mostefa Benboulaïd : ce sont quelques rares personnalités qui trouvent grâce à ses yeux.

La religion, une Rissala

Tahar Benaïcha a aussi polémiqué avec Cheïkh Bachir Ibrahimi et Abderrahmane Djillali, il a débattu avec Houari Boumediène et Mouloud Kassim, tout en occupant une place à part au sein des milieux de gauche. Mais peu à peu, Tahar Benaïcha s’est coupé de la gauche sur des bases dogmatiques mais surtout linguistiques. Lui-même accordait une place quasi-exclusive à la langue arabe, adoptait une méfiance radicale envers tout ce qui traite du berbère, et finissait par rejoindre un cercle défendant une pensée aussi carrée que primaire. Il excommuniait tous les adeptes de la diversité, les classant dans un fourre-tout baptisé « franco-berbère ».

Toutefois, son principal combat, Tahar Benaïcha l’a mené contre les islamistes, qu’il accusait d’être les premiers ennemis de l’islam. Pour lui, la religion doit mener vers la liberté et l’épanouissement, non vers l’enfermement et la restriction de la pensée. Il insistait sur le contraste entre les grandes valeurs prônées par l’islam – égalité, justice, liberté, solidarité- et ce que prônent les courants islamistes comme interdits.

Grand amateur de jeu de domino, parleur infatigable, Tahar Benaïcha accordait peu d’importance aux rituels religieux. Il préférait ce qui constituait, selon lui, l’essence des religions, le message de justice et d’égalité qu’elles véhiculent. Il a effectué le pèlerinage à La Mecque, mais n’en pas tiré de conclusion significative. Il se sentait profondément musulman, privilégiant, dans ce mot, l’appartenance civilisationnelle.

La fin de l’Union soviétique

Tahar Benaïcha a aussi acquis son statut de spécialiste des sociétés musulmanes en prédisant, bien avant Hélène Carrère d’Encausse, la dislocation de l’Union soviétique. Au cours d’un voyage effectué dans les républiques de l’ex-empire soviétique, il avait réalisé pour la télévision algérienne, où il a fait toute sa carrière, un reportage célèbre révélant la force de l’héritage islamique. Sa connaissance encyclopédique des grands acteurs historiques de cette région lui a permis de comprendre que ces sociétés se détacheraient tôt ou tard du modèle communiste soviétique, qu’il considérait non viable, pour retrouver une vitalité acquise des siècles auparavant. Et c’était le communiste Tahar Benaïcha qui le prédisait.

Il a aussi effectué, dans les années 1980, un long périple en Afrique subsaharienne, du Mali au Nigeria, où il en passant par le Sénégal et le Niger, où il a étudié les rivalités économiques et sociales, aiguisées par les grands mouvements de population, et leur probable évolution vers des mouvements politiques. Ansar Eddine, Boko Haram, mouvements touaregs, tout cela, du point de vue du marxiste Tahar Benaïcha, constituait une double dérive : des groupes sociaux qui se révoltaient contre leur marginalisation par des pouvoirs centraux, sans pouvoir donner un contenu politique à leur démarche ; des groupes issus d’un nord musulman opprimés par des pouvoirs dominés par des chrétiens ou des animistes.

Cet admirateur de Fidel Castro ne prenait jamais de boisson américaine, ni ne fumait de cigarette américaine, dans un respect dogmatique du boycott des produits fabriqués par les multinationales américaines.

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