Ce qu’il ne faut pas faire (et donc faire) à Annaba où a lieu, aujourd’hui, la 20è tripartite Gouvernement-patronat-UGTA, selon le Pr A.Mebtoul
Nous en sommes à la 20èle Tripartie et toujours une économie rentière 97/98% de recettes de devises provenant directement et indirectement des hydrocarbures. L’euphorie de la rente est terminée.
L’on devra éviter les solutions de facilité et démagogiques par un discours de vérité mobilisant toute la population algérienne autour d’un large front national de sortie de crise en respectant toutes les sensibilités.
Espérons que la Tripartie qui se tient à Annaba ce 06 mars 2017 apportera des solutions concrètes loin des discours démagogiques. Dans ce cadre, suite à mes précédentes contributions, je formule six recommandations
1.-Un comité de suivi
Je renouvelle ma proposition au gouvernement, faite en novembre 2014 (que de pertes de temps, du fait de l’illusion de la rente éternelle de certains responsables), lors de la conférence sur l’Industrie devant le Premier ministre et les membres du gouvernement.
Il faut créer un comité de suivi des décisions de la Tripartie, très souple, débureaucratisé, présidé par un expert indépendant, sous l’autorité du premier ministre, composé des représentants de départements ministériels, d’experts, du patronat et de syndicats représentatifs qui sera chargé de faire le constat et des propositions concrètes tous les deux mois.
La Tripartite doit être conçue comme une institution de contrôle des décisions prises, n’étant pas dans son rôle de formuler un programme, (rôle des partis politiques). Il appartient au gouvernement de venir avec un plan stratégique cohérent pour convaincre les partenaires sociaux, quitte à introduire quelques corrections émises par les partenaires, grâce à un véritable dialogue social élargie aux forces vives de la société.
2.-Une vision stratégique
Au moment où d’importantes mutations géostratégiques couplées aux nouvelles mutations mondiales s’annoncent au niveau de notre région, nous devons éviter à tout prix un pilotage à vue. Nous devons poser la problématique des relations dialectiques, rente/Etat/marché, afin de réaliser aussi bien la transition énergétique (Mix) que la transition économique. En liant efficacité économique et une profonde justice sociale qui n’est pas l’antinomie de l’efficacité permettant de mieux mobilier la population par un sacrifice partagé.
S’offrent deux solutions pour le gouvernement à court terme : soit le déficit budgétaire avec l’inévitable dévaluation du dinar dont la valeur est corrélée à 70% aux réserves de change via la rente des hydrocarbures; soit réduire les dépenses de fonctionnement (débureaucratisation) et mieux gérer les dépenses d’équipements en ciblant les segments à valeur ajoutée réelle, éviter des investissements de prestige, et assouplir la règle des 49/51% où l’Algérie supporte tous le surcoûts.
3 – Parler le langage de la vérité
Le langage de la vérité doit guider tout responsable. C’est un signe de la bonne gouvernance au vu de la situation financière difficile que traverse le pays. Nous devons également éviter la sinistrose et le dénigrement gratuit, mais également l’autosatisfaction déconnectée des réalités par des discours démagogiques. Personne n’a le monopole du nationalisme et de la vérité, tous les Algériennes et Algériens espèrent un avenir prospère pour l’Algérie. Le plus grand ignorant est celui qui croit tout savoir. Nous devons être animés par la critique positive et favoriser les débats productifs tenant compte de nos différentes sensibilités. En un mot être respectueux des idées d’autrui grâce à la tolérance.
4.- Sortir du monopole de la représentation syndicale
Il serait souhaitable à l’avenir de convier d’autres organisations syndicales autonomes avec lesquelles notamment les ministres du Travail, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Santé sont déjà en contacts permanents. La composante est la même depuis plus de deux décennies alors que l’environnement économique et social algérien a profondément changé. Ce qui explique pourquoi les anciennes Tripartites ont eu peu d’effets face aux tensions sociales. D’autres forces sociales et économiques sont apparues et on doit en tenir compte. Faute de quoi cela s’apparenterait à un monologue du pouvoir avec lui-même, sans impact pour la résolution concrète des problèmes économiques et sociaux.
5.- Ne pas être un lieu de partage de la rente
Eviter que la Tripartite soit un lieu de redistribution de la rente (parts de marché et avantages divers supportés par le Trésor public via la dépense publique en fonction d’intérêts étroits. Le gouvernement doit se démarquer d’une vision culturelle largement dépassée des années 1970, tant sur le plan politique, économique qu’en matière diplomatique.
Nous sommes en 2016 avec des mutations géostratégiques considérables d’ici à 2030 qui préfigurent de profonds bouleversements géostratégiques. On ne relance pas l’activité économique par décret ou des lois d’investissement sans objectifs stratégiques. Ni même par une volonté politique, (combien de codes d’investissement depuis l’indépendance politique) ou par le volontarisme étatique, vision de la mentalité bureaucratique rentière.
C’est avec l’entreprise libérée de toutes les contraintes d’environnement (la liberté d’entreprendre avec un rôle stratégique à l’Etat régulateur fort, mais fort de sa moralité), et son fondement, le savoir, au sein d’une économie de plus en plus mondialisée à travers des stratégies de segments de filières internationalisées que l’Algérie peut créer une économie productive à forte valeur ajoutée.
6.- Pas touche à l’autonomie de la Banque d’Algérie
Eviter les solutions de facilité en touchant à l’autonomie de la banque d’Algérie, pilier de la gestion monétaire, dépendante selon la Loi, non du gouvernement mais de la présidence de la République, la poussant à l’émission monétaire incontrôlée (planche à billets).
Cela ne peut que conduire à des tensions inflationnistes incontrôlées et donc des tensions sociales (nivellement par le bas des couches moyennes) sans résoudre les problèmes économiques qui supposent de profondes réformes structurelles. L’Algérie se retrouverait au même scénario vénézuélien, pays en faillite bien plus riche que l’Algérie (300 milliards de barils en pétrole certes lourd contre 10 pour l’Algérie) avec un taux d’inflation en 2016 de 300%.
7.- Intégrer l’informel sans recours aux solutions utopiques
Comme je l’ai suggérée depuis 2008, analyser objectivement l’essence de la sphère informelle, produit du manque de confiance, notamment par l’impact négatif de la bureaucratie et des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation avec un dualisme au niveau de la sphère économique (50% de la superficie économique) évitant des solutions utopiques comme le taux d’intérêt zéro, afin de l’intégrer au moyen de mécanismes économiques transparents
En résumé, l’Algérie qui a les moyens de ses ambitions de sortie de crise (réserves de change de 114 milliards de dollars fin 2016, dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars) doit impérativement éviter de réitérer le scénario des impacts de la crise de 1986 ou le scénario dramatique actuel de la faillite vénézuélienne.
Elle a toutes les potentialités pour devenir un acteur actif au niveau de la région euro-méditerranéenne et africaine. Évitons aussi bien l’autosatisfaction que la sinistrose, l’Algérie n’est pas en faillite et dispose d’un répit de trois années. Pour atteindre les objectifs, l’on devra mobiliser tous les acteurs de la société renvoyant à la moralité de la société et des dirigeants. L’éducation étant le pilier du développement, renvoyant comme je l’ai préconisé depuis 2009, à un grand ministère de l’éducation nationale, couplé avec un grand ministère de l’économie et à un organe de planification stratégique.
(*) Professeur d’Université –en management stratégique – Expert International