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Trois raisons qui empêcheront Ahmed Ouyahia de faire avec Bouteflika le « coup » de Benali avec Bourguiba (Analyse)

Par Maghreb Émergent
août 17, 2017
Trois raisons qui empêcheront Ahmed Ouyahia de faire avec Bouteflika le « coup » de Benali avec Bourguiba (Analyse)

 

 

Officiellement, l’agenda du «nouveau» Premier ministre, est d’abord économique. L’arrière-pensée de la succession présidentielle est pourtant partout. Revue des possibilités.

 Ahmed Ouyahia sera très probablement en poste au palais du gouvernement lorsqu’à la fin de l’été prochain devra se décider formellement la question de la candidature « officieuse » du système à la présidence de la république en avril 2019.

 Son rôle dans cette délibération peut devenir plus important que celui d’un premier ministre «habituel » dans la gouvernance algérienne. L’option d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika est encore celle qui arrive en premier. Elle bénéfice toujours d’un soutien, certes plus faible, mais réelle au cœur du système. C’est d’abord le choix d’Abdelaziz Bouteflika lui=même. Il veut être président au moment de quitter la vie.

 C’est ensuite l’option « naturelle » pour son premier cercle, son frère Saïd, c’est aussi le cas pour le patron du FLN, premier parti du pays, Djamel Ould Abbes, et pour Ali Haddad le président du FCE, principale organisation patronale. Le vice de la défense et chef d’Etat-Major Ahmed Gaid-Salah se gardera bien de se mettre en travers de ce projet de 5e mandat s’il était mis sur la table au moment des arbitrages.  Il a déjà été un acteur pressant dans l’emballage du 4e mandat à l’automne 2013. Il doit à sa fidélité à Bouteflika, sa longévité à la tête de l’opérationnel dans l’ANP. Reste le premier ministre, chef au quotidien de l’exécutif. 

 Une ressemblance qui s’accentue avec la Tunisie de 1986-87

 Abdelmalek Sellal a joué tous les rôles dans l’avènement du 4e mandat. Celui de lièvre d’abord, puis celui de porte-parole et grand maitre de cérémonie de la candidature du président absent. C’était à l’hiver-printemps 2014. Avant le contre choc pétrolier et l’entrée en crise des finances publiques algériennes. Ahmed Ouyahia va-t-il jouer la même partition dans un peu plus d’une année ?  Les scénarios sont ouverts. Car l’option du 5e mandat est, de toutes, celle qui est la plus menacée par le temps. 

 La présidence par délégation de pouvoir à produit cet été son plus grave bug-système depuis le 27 avril 2013, date de l’AVC de Abdelaziz Bouteflika, qui a affecté ses capacités personnelles. Le dispositif s’est, avec Abdelmadjid Tebboune, trompé de Premier ministre du point de vue de ses intérêts et de sa feuille de route. Cette dégénérescence du mécanisme décisionnel par délégation risque de s’aggraver dans les mois qui viennent.

 Le président ne parle pas, son frère ne peut pas être l’unique détenteur-interprète de sa volonté, et l’appareil de l’Etat doit rendre des arbitrages tous les jours face aux périls qui montent sur le front économique et social. Même si le tableau clinique est différent avec Abdelaziz Bouteflika, la ressemblance politique est devenue frappante avec la situation tunisienne de 1986-1987 et l’aggravation de la démence sénile du président Habib Bourguiba.

 Les premiers ministres Mohamed Mzali puis Rachid Sfar étaient en conflit ouvert avec Saida Sassi, la nièce du président devenue, au palais de Carthage, la dépositaire de sa volonté supposée. Le scénario d’une mise à l’écart d’Abdelaziz Bouteflika de l’échéance d’avril 2019, va devenir, dans ce contexte un scénario pressant de survie politique du système. Il faudra alors le transformer en actes institutionnels. Ahmed Ouyahia, incarne depuis deux décennies, la continuité « politico-sécuritaire» de l’Etat Profond Algérien.

 Au poste de Premier ministre tous les regards « amis » se retourneront vers lui pour envisager son « mouvement du 7 novembre 1987 », de Zine El Abidine Benali dans une mouture algérienne soft. Il s’agirait juste de dissuader Abdelaziz Bouteflika de se porter à nouveau candidat à la présidence de la république, et de rassurer son clan sur l’avenir de ses intérêts. Conséquence, Ahmed Ouyahia aura, pour cela, à se vendre comme le candidat d’un 5e mandat de Bouteflika sans Bouteflika. Dans l’intérêt vital de la continuité du système autocratico-marchand algérien. 

 Ce scénario va se nourrir de l’évolution des nombreux paramètres, l’incapacité présidentielle, la conjoncture économique, les tensions sociales, le climat politique, l’appréciation des partenaires étrangers. In fine, il devra, s’il advenait, se concrétiser par un « coup », une interdiction négociée ou imposée d’une nouvelle candidature Bouteflika.  C’est ce « coup » qu’Ahmed Ouyahia ne pourra pas faire.

 Bien sûr, Ahmed Ouyahia y pense

 Entendons-nous tout d’abord sur ceci. Ahmed Ouyahia prétend à la magistrature suprême. Il estime même que, pour l’ensemble des services rendus au système autocratico-marchand, elle lui revient légitimement. En janvier 1996, surpris par la proposition que lui a faite le président Zeroual de succéder à  Mokdad Sifi au poste de chef du gouvernement  il a hésité une demi-journée avant de lâcher devant des amis : « J’y vais. Après tout si Réda Malek l’a fait pourquoi pas moi ».

 La formule se veut sarcastique, elle dit surtout la hiérarchie des valeurs chez le jeune personnage : entre action et analyse, tactique et vision, l’ordre est vite établi. Cela cristallise une suffisance dense qui l’amène à ne douter devant aucun challenge, y compris celui de succéder à Abdelaziz Bouteflika en contexte de crise économique, « si lui l’a fait avec un AVC… ». 

 Autre postulat à considérer, Ahmed Ouyahia, le moment venu, se détachera sans état d’âmes du soutien à un nouveau mandat de Bouteflika, ligne de conduite qu’il a pourtant tenu depuis 18 ans.  Le groupe des généraux janviéristes Mohamed Lamari et Khaled Nezzar en particulier, s’est considéré trahi par le protégé de l’ANP en 2004 lorsqu’à la tête de son parti, le RND, il a choisi de soutenir le second mandat de Abdelaziz Bouteflika face à la candidature de Ali Benflis.

 Il aura eu tout le loisir de rétorquer à la haute hiérarchie de l’armée qu’elle devait d’abord accorder ses violons en interne. Son soutien à Bouteflika était alors conforme à celui de sa véritable maison mère, le DRS du général Toufik.

 Se placer dans la succession, facteurs contraires

 Mais alors si le nouveau Premier ministre, contrairement à ses deux prédécesseurs, porte une véritable ambition présidentielle, et qu’il a déjà « trahi » par le passé, pourquoi ne serait-il pas, dans quelques mois, l’homme du « coup » à la Zine El Abidine Ben Ali  face à Bourguiba ? Trois raisons devraient l’en empêcher.

 La première est Abdelaziz Bouteflika.  Il s’en est accommodé sans jamais l’apprécier. Jusqu’au bout il ne souhaitera pas le voir lui succéder. Le président a toujours eu recours à Ahmed Ouyahia, comme un pis-aller pour les passages à gué. 

 En 2012, après la nomination de Sellal à sa place, Ouyahia constatait désabusé « le président a autorisé en quelques semaines plus de décisions du premier ministre que pour moi durant quatre ans ». Pas de confiance.

 Les choses ont échappé des mains présidentielles au profit de son frère ? Si le nouveau premier ministre veut exister politiquement en vue d’incarner un prochain chef d’Etat, il devra faire du « soft Tebboune », se démarquer de Saïd Bouteflika ou en donner l’illusion. La cohabitation entre les deux hommes ne peut pas reproduire le standard de celle avec Abdelmalek Sellal.

 Deuxième obstacle, son agenda de Premier ministre. Ahmed Ouyahia est de retour pour tenter un auto-ajustement économique. Sa loi de finance pour 2018 va être très impopulaire. Il aura à se déployer politiquement pour justifier une austérité qui va toucher plus largement les algériens sans que les effets d’un autre modèle de croissance n’arrivent d’ici longtemps, années perdues sous Sellal et les lignes rouges de Bouteflika en matière de réformes.

 Zine El Abidine Benali est arrivé au poste de premier ministre en octobre 1987, comme « un homme neuf ». Il a fait son « coup » en novembre puis a engagé un plan d’ajustement structurel pour solder les déficits extérieurs de la Tunisie et relancer la croissance sur de nouvelles bases. C’est la ligne de vie à rebours d’Ahmed Ouyahia. Il n’est pas neuf et il a déjà ratiboisé l’économie algérienne sous programme FMI. Il aura fort à faire au palais du gouvernement pour espérer avoir la marge de se donner une stature politique de président « prêt à l’emploi », dans l’après Bouteflika.

 Compter aussi avec le retour des Algériens vers la politique

 La troisième raison qui empêchera sans doute Ahmed Ouyahia de devenir l’instrument interne d’un « coup » du système contre la folie de la présidence à vie de Abdelaziz Bouteflika est la plus importante. Il lui faudra pour cela gagner un consensus large dans le système en course pour préserver sa survie en l’état.

 Le contexte politique en voie de dégradation des 20 prochains mois qui séparent les Algériens de l’élection présidentielle du printemps 2019, joue contre lui. Ahmed Ouyahia  va devenir encore moins le recours rassurant pour l’avenir.

Visage placide des années de guerre civile (plusieurs milliers de disparus pendant son gouvernement), incarnation de la paupérisation violente du plan d’ajustement structurel (1995-1998),  protecteur docile de la délinquance en col blanc des années Bouteflika  (Khelil, Bouchouareb- Ghoul, ect…)… Exécutant impersonnel du contre ajustement (anti-printemps arabe) avec l’explosion des dépenses publiques de fonctionnement en 2011-2012  (cause aujourd’hui d’un budget insoutenable),  le dernier Premier ministre de Bouteflika est même, sans doute,  la plus belle promesse pour aider la colère populaire montante à trouver une incarnation politique à ses frustrations. 

 Au moment des arbitrages sur la succession, cela comptera aussi.  Dans les situations de crise, le système a toujours cherché à surprendre avec des hommes reconnus mais peu pratiqués récemment par l’opinion : Boudiaf en janvier 1992, Bouteflika à l’automne 1998. Ahmed Ouyahia sait lire le code interne de L’Etat Profond.

S’il sent que sa candidature (Bouteflika sans Bouteflika) ne diffuse pas le sentiment de sécurité recherché pour continuer le système, il fera son travail de Premier ministre et rentrera à la maison. Comme il l’a déjà fait par trois fois. A la fin des années Bouteflika il y aura une élection présidentielle et si le vieux président malade n’y figure pas, les Algériens pourraient bien y décréter leur retour vers la politique.

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