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Tunisie: À Sidi Bouzid, cinq ans après la révolution, la désillusion s’enracine

Par Yacine Temlali
décembre 17, 2015
Tunisie: À Sidi Bouzid, cinq ans après la révolution, la désillusion s’enracine

La Tunisie, qui a réussi sa transition politique, fait figure de rescapé dans une région tourmentée. Mais son économie, elle, reste à l’arrêt. Au niveau national, le taux de chômage dépasse les 15%. Il atteint les 32% chez les jeunes diplômés, un chiffre qui grimpe à plus de 46% dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, une région de longue date défavorisée qui compte près de 400.000 habitants.

 

 

Un portrait géant de Mohamed Bouazizi surplombe le centre de Sidi Bouzid, où l’icône de la révolution tunisienne s’était immolé le 17 décembre 2010. Mais cinq ans après, la fierté a laissé la place au ressentiment, alimenté par la misère sociale et la menace terroriste.

« La révolution? Voilà ce qu’elle m’a apporté », lance Nessim, 20 ans, montrant ses poches vides sous les rires de ses amis. « Les études ne mènent plus à rien. Alors tu as le choix entre une filière professionnelle et devenir maçon. Dans les deux cas, tu seras toujours méprisé par la société », poursuit le jeune homme qui suit une formation en « froid et climatisation ».

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant de 26 ans excédé par la précarité et les brimades policières, s’immolait par le feu, déclenchant le soulèvement qui allait renverser en quatre semaines le dictateur Zine El Abidine Ben Ali puis susciter une vague de révoltes dans le monde arabe.

Jeudi, cinq ans jour pour jour plus tard, les autorités doivent poser la première pierre d’un « Musée de la révolution » à Sidi Bouzid.

La Tunisie, qui a réussi sa transition politique, fait figure de rescapé dans une région tourmentée. Mais son économie, elle, reste à l’arrêt.

Au niveau national, le taux de chômage dépasse les 15%. Il atteint les 32% chez les jeunes diplômés, un chiffre qui grimpe à plus de 46% dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, une région de longue date défavorisée qui compte près de 400.000 habitants.

 

Le wali de Sidi Bouzid : « Le citoyen a raison d’être déçu »

 

La liberté acquise avec la révolution, « c’est bien mais ça ne nous donne pas de quoi manger », insiste une quinquagénaire qui vend des vêtements usagés au marché et souhaite rester anonyme.

Comme beaucoup, Mohamed Azri regrette l’ère Ben Ali. « Je ne glorifie pas la personne mais on est obligé de le constater: c’était mieux avant », assène-t-il.

« Ma fille est diplômée en chimie fine, elle ne trouve pas de travail. Et moi je me retrouve parfois obligé de vendre une brebis pour payer la note de l’épicier. (…) Rien n’a changé, les prix ont juste augmenté », déplore cet agriculteur en réchauffant ses mains au-dessus d’un brasero.

Gouverneur de Sidi Bouzid, Mourad Mahjoubi assure comprendre la déception: « Le citoyen a raison. Il se dit ‘’j’ai fait la révolution (…) essentiellement à cause de l’inégalité entre les régions’’, et il ne voit toujours pas de changement. Mais il faut aussi prendre en compte les circonstances exceptionnelles de l’après-révolution », affirme-t-il à l’AFP.

Jusqu’à récemment, « on gérait le quotidien. Il était impossible de planifier et le niveau des revendications était très haut. (…) Cette année, on a recommencé à prévoir sur le court, moyen et long terme », plaide le responsable. Il évoque plusieurs grands projets, dont des autoroutes reliant Tunis et Sfax, la deuxième ville du pays, et s’efforce surtout d’insuffler de l’espoir. « D’ici deux à trois ans, nous sentirons le début d’un changement dans le gouvernorat », promet-il.

 

« Nous avons peur »

 

En attendant, au marasme économique s’ajoute désormais la menace sécuritaire, dans un pays frappé en 2015 par trois attentats majeurs revendiqués par le groupe Etat islamique.

Le 13 novembre, la décapitation d’un berger de 16 ans sur le mont Mghilla, près de Sidi Bouzid, a également horrifié le pays.

Des jihadistes se réclamant de l’EI l’ont accusé d’être un informateur et ont obligé son jeune cousin à ramener sa tête à la famille. « Il était mon soutien et le terrorisme me l’a pris », dit tristement sa mère Zaara, qui vit comme toute la famille dans une grande pauvreté à Daouar Slatniya, au pied de la montagne.

L’Etat est en train de lui construire une nouvelle maison, juste à côté des deux pièces sans eau courante où elle dort sur un mince matelas à même le sol.

Des travaux sont aussi en cours pour transformer en route la piste qui mène à ce hameau isolé, entouré d’oliviers et de figuiers de Barbarie.

« Nous avons peur, mais nous ne partirons pas », clame à l’AFP Jilani Soltani, un frère du berger.

Bien que l’armée ait installé un camion sur une colline voisine, Jilani a demandé un permis de port d’armes. Pour « se défendre si les terroristes descendent jusqu’aux maisons », glisse-t-il calmement.

 

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