Le tourisme médical connait depuis quelques années un essor important en Tunisie. Nombreux étrangers, attirés par des prix défiant toute concurrence, un séjour au soleil et des compétences affirmées, font le voyage pour être opérés à quelques heures de vol seulement de leurs pays d’origine.
Ce filon porteur se retrouve, néanmoins, victime de sa notoriété. Nous nous sommes entretenus avec le Docteur Borhane Belkhiria, spécialiste en Chirurgie esthétique et président du Syndicat national des chirurgiens esthétiques de Tunisie, qui nous a livré les dessous d’un secteur où règne la loi du gain, parfois au détriment du respect du praticien et de ses patients.
Chaque année, la Tunisie accueille des milliers de patients internationaux venus subir des opérations de chirurgie esthétique. D’après le rapport de la BAD en 2013, la Tunisie a accueilli 376,000 patients étrangers. La chirurgie esthétique représente 3% des spécialités, soit environ 11,000 patients par an. Selon le ministère de la Santé, 70% de ces patients sont originaires du Maghreb et 30% d’Europe et les chiffres ne cesseraient de croitre pour des prix toujours et encore plus bas.
Toutefois, ce secteur semble échapper au contrôle des autorités concernées et virer vers une vocation plus commerciale que médicale. En atteste le dernier scandale suscité par une publicité diffusée au mois de ramadan, pour une agence de tourisme médical low-cost.
Les prix bradés et les pratiques publicitaires jugées « dégradantes » par les médecins, ont suscité la crainte de voir ce marché, aux opportunités multiples, se transformer, comme cela l’a été pour le tourisme balnéaire, en tourisme de masse où la quantité cède la place à la qualité des services/soins offerts. Chose qui a amené les chirurgiens esthétiques à créer, le 24 novembre 2016, le Syndicat national des chirurgiens esthétiques de Tunisie (SNCET).
Ce Syndicat, nous a précisé son président Borhane Belkhiria, a vu le jour pour redonner à la chirurgie esthétique ses lettres de noblesse et pour empêcher les dérives constatées dans le secteur. Dérives qui sont dues principalement à l’émergence d’agences sans scrupules, qui font primer l’appât du gain sur le suivi des patients. « Au début des années 2000, les premiers spécialistes en chirurgie esthétique, alors peu nombreux, ont fait de la Tunisie une destination prisée en tourisme médical. Les étrangers venaient pour les compétences offertes, le prix évidemment et la météo qui rendait le pays fort apprécié des Européens notamment », a expliqué M. Belkhiria.
Dérives et manque de rigueur ont éclaboussé l’image de la médecine tunisienne
« Quelques années plus tard, le nombre de spécialistes a augmenté et avec, le nombre de pseudo-agences qui ramenèrent la clientèle étrangère. Le problème c’est que pour créer de telles structures et avec l’ère du numérique, tout ce qu’il faut faire c’est mettre « www » devant un nom et le site est lancé. Or en l’absence d’un cadre légal qui régit ce filon, ces agences bradent les prix, exploitent des médecins payés pas cher et des dérives se sont faites constater notamment sur des cas de complications qui ne sont pas convenablement gérées », a-t-il expliqué.
Le président du Syndicat national des chirurgiens esthétiques de Tunisie a précisé que ce manque de rigueur a parfois fini par éclabousser l’image de la médecine tunisienne comme peuvent en témoigner quelques réactions partagées sur la toile par des patients insatisfaits. Ce revers est dû, selon Borhane Belkhiria, à une « hypertrophie » des agences, qui occupent désormais le premier plan, reléguant le chirurgien à un simple poste d’exécutant, de « technicien », « un homme de l’ombre », que les patients découvrent physiquement souvent juste avant l’acte.
Aujourd’hui, ces agences contrôlent le secteur, abaissant de plus en plus les prix sous l’effet de la concurrence et établissant ainsi leur propre loi du marché. « Nombreux sont les praticiens qui se sont vus pris dans cette boucle infernale, qui sont devenus prisonniers d’agences sans lesquelles ils retomberaient dans l’anonymat » a confié M. Belkhiria.
« Payés au lance pierre, des chirurgiens opèrent à la chaîne les patients, tapis nuit et jour dans l’ombre des blocs opératoires. Des compétences dont la noblesse du métier a été avilie par des agences voyous qui ont dominé le secteur » a-t-il ajouté, soulignant que la mission première du Syndicat est d’unir et de protéger les chirurgiens contre ces dérives et toute forme d’abus.
Selon M. Belkhiria cette course effrénée au gain, initiée par les agences avec parfois la complicité de certains chirurgiens peu scrupuleux, pousse les praticiens à travailler plus, puisque moins cher, pour maintenir un niveau de vie convenable. « Un chirurgien qualifié ne peut opérer plus de trois patients par jour. Au-delà de ce nombre le plus compétent d’entre nous, sous l’effet de la fatigue, perd de sa concentration et donc de son expertise », a-t-il estimé.
Le Syndicat s’est donc donné pour seconde mission de maintenir les prix des prestations à un niveau qui ne dévalorise pas le métier. Il contrôlerait, aussi, en certifiant, les agences les plus sérieuses pour arrêter l’hémorragie de celles qui portent atteinte à un secteur qui a, pourtant, tant à apporter au pays.
La stagnation des prix, déjà bien inférieurs à la moyenne européenne, n’arrange pas les médecins, qui sont plus nombreux à dire que la qualité des soins et des services post opératoires offerte, vaut largement des prix plus élevés. Certains confient même qu’à la naissance du tourisme médical en Tunisie, des patients étrangers, fuyant l’exclusion sociale, acceptaient de payer plus cher qu’en Europe pour être pris en charge en Tunisie, par des médecins à la notoriété affirmée et bénéficier en plus de la discrétion d’un séjour au soleil.
« A cette époque, nous ne parlions même pas de brader les prix, car ce que nous voulions c’était d’offrir un service différent avec la même qualité qu’en Europe, la rapidité et le séjour au bord de l’eau en plus », a noté Borhane Belkhiria, soupirant à l’idée que la médecine tunisienne en soit arrivée à devenir une médecine d’épicerie, où les services sont marchandés pour 50 et 100 euros…
« Plus de 500.000 étrangers ont été pris en charge en 2016 par les cliniques tunisiennes, toutes spécialités confondues. Nous avons pour objectif de porter à 50.000 le nombre de patients qui viennent en Tunisie pour des opérations de chirurgie esthétique » a-t-il souligné, ajoutant, calculatrice en main, que pour une cinquantaine de chirurgiens, cela équivaut à une moyenne de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires et une manne en devises pour le pays.
« Nous devons miser sur cette matière grise qui tend de plus en plus à être marginalisée. Imaginez un peu, chaque chirurgien esthétique peut ramener au pays plus de onze millions de dinars chaque année, et au lieu de ça aucune volonté politique ne semble exister pour miser sur ce secteur porteur et pour le promouvoir comme il se doit. Nous, au niveau du syndicat, nous allons œuvrer pour que cela soit fait » a assuré le président du SNCET.
Le tourisme médical est un secteur qu’il serait intéressant de cultiver. Le nombre de cliniques et d’agences qui fleurissent en Tunisie ne peut qu’en témoigner. Le pack bikini-bistouri, comme l’ont appelé nos confrères de France 2, ne peut qu’être alléchant surtout et d’autant plus que les aptitudes sont là. Il est grand temps que le pays, pauvre de ressources naturelles, mette en avant son capital le plus précieux, la compétence et le savoir-faire de ses professionnels dont il a parfois tendance à sous estimer l’apport et l’intérêt.
(*) Article publié dans le journal électronique tunisien Business News.