Les deux hommes d’affaires Chafik Jaraya et Yacine Channoufi ont été arrêtés « pour atteinte à la sureté de l’Etat » et mis en résidence surveillée, rapportent les médias tunisiens. Une affaire qui risque de conforter la tentation dominante au sein du gouvernement tunisien de faire une lecture complotiste des protestations sociales.
Chafik Jaraya, homme d’affaires controversé et ayant des liens avec les milieux politiques en Tunisie et en Libye et Yacine Chanoufi, ex-douanier devenu homme d’affaire et candidat aux présidentielles de 2014, sont accusés d’être impliqués dans les manifestations de Tataouine, dans le sud-est du pays.
La nouvelle a fait sensation en Tunisie où la tension est particulièrement vive en raison des protestations sociales à El-Kamour. Le site pétrolier où des chômeurs organisent un sit-in depuis plusieurs semaines a connu ses premiers débordements violents avec des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.
Le climat s’est alourdi à la suite de la mort d’un jeune manifestant à Tataouine tué «accidentellement » par un véhicule de la gendarmerie. Des milliers de personnes ont participé, hier, aux funérailles. Chafik Jarraya, arrêté dans un café des Berges du Lac, à Tunis, écrit un média tunisien serait accusé d’avoir «financé des groupes parmi les sit-tineurs d’El Kamour et des protestataires de Tataouine. ».
L’arrestation a été effectuée par une «brigade antiterroriste de la garde nationale» qui a fait l’objet de critiques après la mort du manifestant à Tataouine. Fait remarquable, le porte-parole du ministère public près le tribunal de première instance de Tunis, Sofien Selliti a indiqué à TAP que le parquet de Tunis près du Pôle financier et du Pôle de lutte contre le terrorisme «n’ont pas eu connaissance de l’affaire et n’ont pris aucune décision pour l’arrestation ou le placement en garde à vue. ».
Il a souligné qu’au regarde de la loi « une telle décision ne peut être prise qu’une fois le parquet a prononcé une ordonnance » a-t-il expliqué. Les deux hommes d’affaires sont placés en détention et leur « lieu de détention sera gardé secret » ont indiqué des sources anonymes qui ont prévu que d’autres arrestations auront lieu.
Lecture policière d’un conflit social?
Les responsables du gouvernement tunisien, en panne face à la grogne sociale et tentés par la manière forte en faisant intervenir l’armée, ont multiplié ces dernières 24 heures les accusations de «complot ». L’arrestation des deux hommes d’affaires viendrait ainsi étayer ces accusations puisqu’ils sont accusés d’être impliqués dans les évènements « d’El-Kamour, de corruption et d’atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Les autorités tunisiennes prennent un risque important en laissant entendre que la contestation sociale serait le fait de manipulation alors que la réalité sociale de l’arrière-pays tunisien, berceau de la révolution, est amplement suffisante pour l’expliquer. Tataouine et de nombreuses régions de l’intérieur du pays, déjà délaissés sous la dictature de Ben Ali au profit du littoral, ont connu au cours des six dernières années une réelle dégradation de la situation.
Les luttes sociales qui montent en Tunisie pour l’emploi, le développement et une meilleure affectation des ressources ne sont pas réductibles à un complot. Ce serait revenir aux réflexes de l’explication policière sous Ben Ali. Le gouvernement tunisien est très critiqué pour son projet de loi dite de réconciliation économique qui amnistie sous conditions les faits de corruption entrerait dans un terrain glissant.
Ces pauvres qui agacent les nantis
La Coordination nationale des mouvements sociaux avait directement mis en cause le président Essebsi en soulignant qu’il était responsable du décès du manifestant, « ce qui s’est passé à Tataouine et se passera dans d’autres régions, surtout après son discours » sur le recours à l’armée
Ainsi que le souligne Harrar Dora, dans un billet d’humeur décapant publié par Nawaat, intitulé « Ces pauvres qui agacent la Tunisie des nantis », les pauvres « agacent les falsificateurs de l’histoire, les promoteurs de la grandeur virtuelle de la Tunisie. Ils ne sont plus méritants et reconnaissants des bienfaits qui leur sont accordés. Voilà qu’ils se mettent à ne plus supporter leur misère, à revendiquer, à dénoncer les injustices, les abus de pouvoir et le déséquilibre du développement régional… »