“Les réserves ne servent pas qu’à importer des biens et services, mais aussi, et surtout, à payer nos dettes et autres engagements internationaux”, rappelle un expert.
Les réserves en devises de la Tunisie poursuivent leur tendance baissière, s’établissant, le 23 janvier 2018, à 12,3 milliards de dinars, ne couvrant plus que 89 jours d’importation, selon des chiffres publiés par la Banque centrale de Tunisie, sur son site officiel.
Pour Moez Labidi, professeur d’économie, “les réserves de change sont une sorte d’airbag, permettant de surmonter les périodes de pénuries de devises étrangères. Leur niveau actuel marque le franchissement de la barre symbolique des 90 jours d’importation, bien qu’historiquement la Tunisie ait connu des niveaux encore plus bas”.
Labidi pense “que les pressions baissières sur les réserves en devises s’expliquent essentiellement par le creusement du déficit courant. Un phénomène qui tend à s’amplifier ces derniers temps à cause de la forte hausse du prix du baril, qui retrouve des niveaux proches des 70 dollars, mais également, à cause du fléchissement des recettes en devises du tourisme, étant en période de basse saison”.
Soulignant l’impératif de freiner cette tendance baissière des avoirs en devises, qui pourrait “alimenter une dynamique spéculative sur le dinar”, Labidi estime que “l’inversion de cette tendance est étroitement liée à notre capacité d’inverser la tendance haussière du déficit courant”.
Cela nécessite, selon lui, “plus de détermination du côté du gouvernement, pour débloquer la situation de certaines entreprises exportatrices, car le blocage de l’appareil productif dans ces entreprises nous prive de recettes en devises et nous pousse vers davantage d’endettement. Il s’agit d’imposer l’ancrage aux normes de bonne gouvernance, afin de restituer la discipline et le respect de la loi dans l’administration et d’accompagner les entreprises tunisiennes sur les marchés étrangers. A ce niveau, il faut mettre en place une véritable politique commerciale agressive de prospection des marchés étrangers, à travers notamment la rénovation du cadre consulaire (surtout les attachés commerciaux) “.
Labidi plaide aussi pour “plus de dialogue et de concertation afin d’apaiser les revendications démesurées de hausse des salaires qui pèsent sur le budget, creusent le déficit budgétaire et gonflent la dette”, appelant à “rationaliser les importations, sans succomber à la pression de certains lobbys et de contenir la croissance du secteur informel”.
De telles mesures permettront, toujours selon notre interlocuteur, de rendre “le Site Tunisie” plus attractif pour les investisseurs étrangers, et partant généreront plus de réserves en devises, ce qui réduira les pressions baissières sur le dinar”.
“Bien que gérées par la Banque Centrale de Tunisie à laquelle on a souvent tendance à attribuer injustement, la responsabilité de la détérioration des réserves en devises, la santé de ces réserves dépend, plutôt, de l’état des fondamentaux de l’économie”, a-t-il conclu.
Agir sur le déficit commercial, une décision éminemment politique
De son côté, l’expert bancaire et financier, Achraf Ayadi, qualifie “d’inquiétant” le niveau actuel des réserves en devises, “car les réserves ne servent pas qu’à importer des biens et services, mais aussi, et surtout, à payer nos dettes et autres engagements internationaux”.
Ayadi explique cette situation par “la demande de plus en plus forte sur les devises. En effet, le glissement continue du dinar pousse les investisseurs à importer aujourd’hui et tout de suite des biens dont ils auront besoin bien plus tard. Les anticipations de glissement futur additionnel du dinar face aux principales devises accélèrent la chute de la monnaie nationale, et donc la pression sur les réserves de change”.
Toujours selon lui, “c’est bien sur le déficit commercial qu’il faudra agir pour réduire la pression sur les réserves de devises”. Reste que “cette décision est éminemment politique”.
Pour rappel, le déficit de la balance commerciale en Tunisie s’est aggravé à 15,5 milliards de dinars, à fin 2017, un niveau record jamais atteint auparavant par le pays.