Sur fond de grosse contestation sociale et de l’élargissement du rejet du projet d’amnistie partielle des faits de corruption (loi sur la réconciliation économique), les autorités tunisiennes ont engagé une opération « mains propres » ciblant des hommes d’affaires.
Une première vague d’interpellation a ciblé l’homme d’affaires connu Chafik Jarraya, l’ex-candidat à la présidence Yassine Chennoufi, l’homme d’affaires Nejib Ben Ismaïl et un officier des douanes, Ridha Ayari. Ces personnes, arrêtées non pas dans le cadre du régime du droit commun mais en vertu des dispositions de l’état d’urgence, ont été placées en résidence surveillée.
Une deuxième vague d’arrestation a touché dans la nuit du mercredi à jeudi trois hommes d’affaires. Il s’agit d’un des barons de la contrebande à Kasserine, Ali Grigri, recherché depuis 2012, qui a été arrêté dans un « guet-apens » tendu par les forces de l’ordre. Autre prise, les frères Adel et Fathi Jnayeh sont tombés à Mahdi et ils sont également accusés d’activités de contrebande portant notamment sur le cuivre.
Les aveux d’Imed Trabelsi fragilisent la loi sur la réconciliation économique
L’opération « mains propres » à la tunisienne semble directement liée à la grogne sociale dans le pays. Une contestation sociale qui renforçait le mouvement d’opposition au projet de loi dite de «réconciliation économique» défendue par le président de la République, Béji Caïd Essebsi . Ce dernier a musclé son discours contre les contestataires d’Al-kamour, dans le sud-est du pays et a décidé de faire intervenir l’armée pour « protéger » les sites de production de pétrole et de phosphates.
Une mesure vivement décriée par les opposants. La mort d’un manifestant tué « accidentellement » par un véhicule de la garde nationale a avivé les tensions. La démarche du gouvernement sur la question de l’amnistie des faits de corruption a été littéralement soufflée par les révélations d’Imed Trabelsi, neuve de Leila Trabelsi, lors des auditions de l’Instance vérité et dignité (IVD). Des aveux qui montraient l’ampleur du système de corruption. Des révélations qui enfonçaient aussi bien les hommes d’affaires que les politiques et les patrons d’institutions publiques comme les douanes.
Une nouvelle « nomenklatura » post-révolution
Sihem Bensedrine, président de l’IVD a enfoncé le clou en mettant en avant l’incapacité du nouveau Etat a « appliquer la loi » et la continuité du système de corruption. « Une nouvelle nomenklatura a émergé après la révolution et ils sont en train de se partager le gâteau et même les biens confisqués » a-t-elle déclaré.
En lançant l’opération « mains propres » – dont le caractère respectueux des droits reconnus par la nouvelle constitution du pays est problématique – le gouvernement de Youssef Chahed tente de reprendre la main en se présentant comme à la pointe de la bataille de la lutte contre le système de corruption et non comme son protecteur comme l’en accusent les adversaires, très déterminés, de la loi sur la « réconciliation économique ».
Est-ce un hasard si la commission parlementaire de la législation générale a décidé, jeudi, de reporter l’examen du projet de loi sur la réconciliation économique et financière? Officiellement ce report est dû à l’absence de son président qui se trouve à Tataouine. Le président de la commission, Taieb Madani, s’est même empressé de dire que le report n’avait aucun lien avec les arrestations en cours touchant le monde des affaires.
Mais les défenseurs du projet sont clairement fragilisés. Le gouvernement est même contraint désormais de se montrer comme en « en guerre contre la corruption » ainsi que l’a déclaré le chef du gouvernement Youssef Chahed dans une vidéo postée sur son compte Facebook.
« Dans la guerre contre la corruption, il n’y a pas de nombreux choix. C’est soit la corruption, soit l’État ; soit la corruption, soit la Tunisie. Et moi comme tous les Tunisiens, j’ai choisi l’État, j’ai choisi la Tunisie » a-t-il déclaré.
« Je voudrais rassurer tous les Tunisiens et leur dire que le gouvernement prend ses responsabilités et conduira une guerre -jusqu’au bout- contre la corruption. J’appelle tous les Tunisiens à être unis dans ce combat et à être debout pour la Tunisie ».