Pour la première fois dans le monde arabe, le takfirisme est considéré comme un acte répréhensible par la nouvelle loi antiterroriste tunisienne. Cette grande avancée non trop médiatisée n’éclipse pas la restauration de la peine de mort et d’autres atteintes aux droits de l’homme prévus dans la loi du 24 juillet. La société civile tunisienne bouillonne.
La nouvelle loi antiterroriste adoptée en Tunisie ne cesse de susciter débats et mécontentements au sein de la société civile et des défenseurs des droits de l’Homme dans le pays. Adoptée le 24 juillet par le Chambre des Représentants du Peuple à la majorité écrasante, cette loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent prévoit dans son article 15 la réinstauration de la peine capitale pour les auteurs des actes « terroristes ». Retour en arrière, atteinte aux principes de la révolution tunisienne et aux droits de l’homme, menaces pour les libertés individuelles…, la société civile se mobilise pour réagir. Contacté par Maghreb Emergent, le président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme, Me Abdessatar Ben Moussa qualifie cette loi de « répressive » et estime que son rejet est une « question de principe ». « Il est inadmissible d’introduire la peine de mort après la révolution, alors qu’elle ne figurait pas dans la loi antiterroriste de 2003 », affirme-t-il. De son coté Mme Helima Jouini, vice présidente de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l’Homme, pense que cette loi, outre le fait qu’elle soit une violation des droits de l’homme, est inutile, car elle estime qu’« on ne peut ni arrêter ni réduire les actes terroristes par la peine de mort ». L’autre point fortement décrié par la société civile, est celui du maintien du suspect pendant 15 jours sans avocat, ce qui pourrait laisser la porte grande ouvertes à la torture et autres abus. « Nous luttons pour toute forme de respect des Droits de l’homme, et tout en condamnant le terrorisme, nous militons pour le droit au procès équitable », affirme Mme Jouini.
Ambigüité sur la définition du terrorisme
Il est également reproché à cette nouvelle loi de ne pas être précise sur la définition du terme « terrorisme » et des actes « terroristes », car Il n’ya pas assez de précision et « de garde fous » sur le contrôle et le suivi des suspects. Mais à la place, il ya des mesures juridiques qui pourraient s’appliquer à des personnes n’appartenant pas à des groupes terroristes, estiment de nombreux observateurs. « Il n’ya pas de détermination de terrorisme dans cette nouvelle loi. Est-ce que descendre dans la rue dans une manifestation pacifique pourrait être considéré comme un acte terroriste », s’interroge Mme Jouini. « Certaines notions sont très vagues. Par exemple la publication de rumeurs, d’informations erronées, falsifiées est passible de 20 ans de prison. Mais qui peut juger l’authenticité des informations ? Cela conduirait à de graves atteintes aux droits de la presse », estime-Me Abdessatar Ben Moussa. Certains articles qui prêtent à équivoque ouvriraient, selon lui, la voie aux dépassements, à la confusion, aux règlements de comptes. Mme Jouini se dit très inquiète, car les dépassements des forces de l’ordre n’ont pas cessé après la révolution, et cette loi permettrait plus de dépassements. « Nous sommes habitués aux dépassements et cette nouvelle loi risque d’aggraver cette question sans qu’on puisse la contrôler ». En effet, l’ambigüité règne aussi sur les articles relatifs aux poursuites sur la base de confrontations et de témoins. « Ces articles devraient prendre en considération les faux témoignages et les calomnies. Les injustices et les atteintes aux droits humains pourraient foisonner », estime Me. Ben Moussa, également juriste et ancien membre du Bâtonnat de Tunis.
Pression pour réclamer son amendement
Cette nouvelle loi tunisienne sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent a introduit des points positifs, notamment l’article 35 prévoyant le respect du secret professionnel pour les journalistes. Et aussi et surtout, l’article 13 relatif à la criminalisation du takfirisme, une première dans le monde arabe, mais qui n’a pas été trop relayée dans les médias malgré sa plus haute importance. « Nous nous réjouissons de la considération du takfirisme comme acte terroriste par cette nouvelle loi. Car le takfirisme est responsable de propagation de haine comme il est incitateur à la liquidation de ceux considérés comme « Koufars ». Cette avancée a pourtant été obscurcie par les articles « rétrogrades », selon nos interlocuteurs et contre lesquels la société civile tunisienne se dresse aujourd’hui. Un texte de protestation rédigé par un collectif d’association de défense des droits de l’Homme fut adressé cette semaine à l’Assemblée Nationale, nous informe Mme Helima Jouini. Mais la pression pour la demande de son amendement reste la seule solution pour le président de la Ligue de défense des droits de l’Homme : « Il est nécessaire d’amender cette loi. Pour le faire, il faudrait aller devant la Cour Constitutionnelle, mais elle n’existe pas encore, et les dossiers sont soumis à une instance intérimaire. Nous nous ne sommes pas habilités à nous présenter devant cette instance, car seule la réunion de 30 députés pourrait être acceptée. Or, nous avons vu lors du vote de cette loi qu’aucun député ne s’y été opposé. On exclut par ce fait, cette réunion de 30 députés. La seule solution pour son amendement est la fédération de toutes les coalitions et alliances de la société civile pour réclamer son amendement, ce que nous avons déjà commencé à faire avec l’Alliance de la justice électorale, la Coalition nationale contre la peine de mort, la Coalition nationale contre la torture ».