Tunisie, Egypte, salafisme, éradication. Des mots très chargés ont dominé le CPP de mercredi 1er juillet, qui a émis une fetwa : parler des distributeurs de billets de banque ne constitue pas une politique économique.
Après l’attentat de Sousse, en Tunisie, et la montée du terrorisme en Egypte, le CPP de mercredi 1er juillet menaçait d’être lugubre. Il n’en fut rien. Le Café Presse Politique de Radio M a été d’une grande intensité, soulignant que si l’Egypte est bien partie pour s’installer dans un engrenage de la violence, la Tunisie, elle, reste accrochée à une matrice démocratique, malgré les attentats qui l’ont ensanglantée.
« La société politique tunisienne est unie contre le terrorisme », souligne Saïd Djaafar. Il relève « une réaction éradicatrice à la marge », mais « le consensus antiterroriste reste fort ». Par contre, il déplore, en Egypte, « une volonté d’éradiquer le mouvement des Frères musulmans, au lieu de mener une politique inclusive ». « Vouloir éliminer du champ politique le parti qui a gagné les élections, c’est grossier, c’est une vraie violence ».
En Tunisie, « le consensus maintient le rêve d’une transition », estime Adlène Meddi, alors que Abed Charef relève que la Tunisie reste dans « une démarche très sereine, très posée », malgré « la fièvre » qui entoure les périodes d’attentats. Cette ligne de conduite était en vigueur même quand Ennahdha était au gouvernement. Il suggère que ce parti islamiste est peut-être en train de faire le chemin parcouru par la démocratie chrétienne au 20ème siècle et émet l’espoir que son leader, Rached Ghannouchi, puisse « aller vers la modernité et entraîner avec lui de pans de la société tunisienne ».
La Tunisie pas prête sur la plan sécuritaire
El-Kadi Ihsane souligne, toutefois, « l’extrême précarité du système sécuritaire tunisien ». Le tourisme, en Tunisie, c’est l’équivalent des champs de pétrole pour l’Algérie. Un homme seul a réussi à y faire autant de morts qu’à Tiguentourine ». Abed Charef va plus loin pour affirmer que « l’attitude des policiers tunisiens est choquante ». Pour lui, ces hommes avaient « une minute très importante dans leur vie, ils pouvaient sauver des vies humaines et sauver leur pays, ils ne l’ont pas fait ».
Autre avantage de la Tunisie, « le débat sur la place de la religion a été posé dans un cadre institutionnel », rappelle Adlène Meddi. « Dans les discussions sur la Constitution, il y a eu un débat, les choses ont été dites de manière claire, dans une enceinte publique ». Ce qui l’amène à penser « qu’on n’assistera à la même dérive qu’en Algérie ».
El-Kadi Ihsane et Abed Charef ont, pour une fois, convergé pour déplorer que l’expérience algérienne n’ait pas servi à l’Egypte. « Quand le maréchal Sissi a pris le pouvoir, mis en prison le président élu Mohamed Morsi et l’a fait condamner à mort, j’étais très triste de voir que l’expérience algérienne n’a servi à rien », déclare El-Kadi Ihsane. Pour lui, l’Algérie a, au moins, « montré ce qu’il ne faut pas faire ». Pourtant, « on connaissait le film, le scénario, et l’épilogue », note Abed Charef, qui avoue : « Je me sens bête de discuter de l’Egypte. Ça me donne l’impression que nous vivons dans une sphère où les gens sont incapables d’être intelligents. »
Des expériences qui ne servent à rien
Le plus grave, pour El-Kadi Ihsane, est que « nous-mêmes, nous sommes en train d’oublier cette expérience ». Il cite à ce propos les salafistes qui reprennent « leurs agressions contre la société », parallèlement à des réactions comme celle de l’écrivain et journaliste Kamel Daoud, qui veut « faire la guerre au nom de la société ». En Algérie, « l’islamisme devrait être diabolisé pour très longtemps, parce qu’il a commis des crimes innommables. Certes, le pouvoir a commis des crimes, des disparitions, c’est un autre débat », reconnaît-il, mais il s’interroge : « Pourquoi ce retour du salafisme ? » « Kamel Daoud n’aurait pas écrit ce qu’il a écrit si l’Etat jouait son rôle », poursuit El-Kadi Ihsane.
Kamel Daoud a-t-il fait une erreur en affirmant qu’il faut se battre sans compter sur l’Etat ? insiste Khaled Drareni. Le salafiste Hamadache « a dit des âneries scandaleuses », rappelle Saïd Djaafar. « C’est de l’apologie du terrorisme », et c’est « passible des tribunaux », estime Abed Charef, qui déplore aussi que Kamel Daoud « prône l’autodéfense en dehors de l’Etat ».
« L’absence d’Etat, ce n’est pas juste, mais l’absence d’Etat, c’est la plus grande des injustices », affirme Saïd Djaafar. Abed Charef souligne, toutefois, que Kamel Daoud est un écrivain, qu’« il fonctionne sur l’émotion », et « a droit à des excès », mais Saïd Djaafar tempère en relevant que « quand on devient une icône, le discours doit être politiquement intelligent ».
L’aveu de Adlène Meddi
Adlène Meddi rappelle qu’il a parcouru beaucoup de chemin depuis qu’il était un « éradicateur forcené ». Mais il souligne, à la décharge de Kamel Daoud, qu’il y a des « phénomènes ostentatoires qui ne sont plus supportables ». Il ajoute que « le vivre ensemble pose problème », à cause d’un « conservatisme et d’une bigoterie ostentatoires. Des jeunes n’arrivent plus à vivre dans certains quartiers».
El Kadi Ihsane clôt le débat en rappelant une « hiérarchie des indignations » : « Le courant islamiste a causé des dizaines de milliers de morts, Kamel Daoud n’a pas fait plus qu’une déclaration inappropriée. »
Les distributeurs automatiques ne font pas une politique économique
Comment, après de tels échanges, parler du ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, et de l’obligation d’utiliser le chèque pour les transactions supérieurs à un million de dinars ?
Au vu de la conjoncture, M. Benkhalfa était « l’homme le plus attendu du gouvernement Sellal. Il était attendu sur de grands choix économiques et stratégiques. Il a parlé des distributeurs automatiques », a déploré Abed Charef. Il se demande s’il s ‘agit d’une mesure « pour faire baisser la pression », ou si c’est tout ce qu’il y a. « Il faut attendre M. Benkhalfa sur la Loi de finances complémentaire, pour savoir si cette mesure définit un cap ou si c’est juste pour lancer quelque chose ».
Saïd Djaafar relève que la mesure a été déjà annoncée à deux reprises et reportée. Il souligne aussi qu’elle « fait partie des obligations internationales de l’Algérie » et que même l’Arabie Saoudite a pointé du doigt l’Algérie sur ce dossier ». El Kadi Ihsane se réjouit de cette mesure qui « oblige certains courants à se dévoiler ». Il parle des députés FLN qui se sont publiquement exprimés pour la critiquer. Ils expriment, selon lui, l’informel qui ne veut pas intégrer les circuits officiels. Est-ce une tentative de blanchir l’argent sale ? se demande Adlène Meddi. « On parle de succession. Est-ce une volonté de nettoyer la sphère économique ? ». El-Kadi Ihsane y voit plutôt une quête du gouvernement, qui cherche de l’argent là où il se trouve, après la baisse des recettes de l’Etat.