Depuis le début de la pénurie, les services de contrôle se sont livrés à une bataille contre la spéculation dans les divers points de vente.
Le lait se fait de plus en plus rare, depuis juillet dernier, sur les étalages des grandes surfaces comme dans les épiceries des quartiers à Tunis. L’Etat a annoncé qu’il va importer 10 millions de litres de lait de France, Belgique et Hongrie, pour pallier à la pénurie d’un produit subventionné. Reportage.
Dans un grand magasin à El Manar II, une seule palette chargée de paquets de lait demi-écrémé, d’une marque prisée est offerte à la clientèle. Avant midi, elle sera certainement vidée. Car, ce jour-là, il est permis aux clients de partir avec 6 litres au lieu des deux autorisés auparavant. Tout le monde cherche du lait et craint la disparition de ce produit vital, sans comprendre les coulisses de la crise.
Wifek Khamis, mère de deux enfants, demande à la caisse s’il y a du lait, avant de se précipiter vers les packs mis au fond du magasin. « Aujourd’hui, ils nous autorisent à prendre plus que deux boîtes, j’en profite », a-t-elle déclaré à l’agence TAP, en souriant.
Et d’ajouter « mes enfants ont besoin de lait. Nous tenons, mon mari et moi à en acheter tant qu’il est disponible. Heureusement, nous en avons tous les jours, même pendant ces derniers temps de pénurie ».
Comme elle, plusieurs clients qui font la queue aux caisses, sont partis avec des packs de 6 boîtes de lait.
A contrario, Samia, mère de trois enfants, habitant dans la Banlieue Sud de Tunis, n’a pas eu cette chance. « Il n’y a toujours pas de lait ni dans les épiceries, ni dans les grandes surfaces de proximité. Ça devient insupportable, mes enfants sont habitués à boire du lait au petit-déjeuner, je trouve du mal à les convaincre à prendre autre chose » .
La jeune femme a affirmé que son mari a été finalement, contraint d’acheter 12 pots de yaourts pour une seule boîte de lait.
Pour dissuader ces pratiques de vente conditionnée, les services de contrôle économiques se sont livrés, depuis juillet dernier à une bataille qui ne s’avère pas toujours efficace. D’après le directeur du contrôle économique, Houssem Touiti, « 200 infractions ont été enregistrées et 20 000 litres de lait ont été saisis durant les missions de contrôle entamées depuis juillet dernier ». Il s’agit de pratiques de spéculation, de vente conditionnée et de refus de vente.
En Tunisie, le lait demi-écrémé emballé (de longue conservation) figure parmi les produits subventionnés, étant considéré comme un produit de base pour les ménages. Il est vendu à 1,120 dinar le litre, un prix resté inchangé depuis 2015.
Pour les prix de vente à la production, le président de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP), Abdelmajid Ezzar, a estimé, dans une déclaration à l’agence TAP qu’il » faut des prix dynamiques pour suivre le rythme des coûts de production (fourrages, …) et aider à faire perdurer la filière. Le gouvernement a tardé à augmenter les prix à la production et ce retard a engendré la perte du 1/3 du troupeau. Car, beaucoup d’agriculteurs qui n’ont pas supporté le coût de production, ont décidé de renoncer à l’élevage et à la production du lait ».
D’après lui, le gouvernement n’aurait pas du recourir à l’importation. « La situation ne nécessite pas le recours à l’importation, car le lait existe toujours dans les grandes surfaces. Pourquoi encourager un produit d’importation au lieu de restructurer les prix sur le marché local et encourager la production locale? ».
A qui profite la crise!
Dans son bureau au fond de l’entrepôt d’un grand magasin, le gérant n’est pas très à l’aise pour parler du problème du lait. Agacé mais souriant, il déclare qu’il en a assez avec ce problème qui dure depuis des mois.
«Nous traitons avec la crise de lait sans rien comprendre de ses coulisses, ni à qui elle profite. Je ne comprends plus rien! Tout d’un coup, le fournisseur nous a dit qu’il ne pourrait plus nous fournir les mêmes quantités, sans donner d’explications » déclare t-il avec un sourire moqueur et des grimaces de dégoût.
«Quand nous avons demandé plus de quantités de lait, nous avons été contraints d’acheter d’autres produits de la même marque, sans en avoir réellement besoin », a-t-il lancé visiblement déçu, en poursuivant « ils ne nous imposent rien, mais c’est une vente conditionnelle déguisée. Quand nous achetons d’autres produits, ils acceptent de nous donner plus de boîtes de lait ».
D’après le responsable, les quantités de lait importées seront, bientôt, disponibles. «Le litre sera vendu au même prix comme avant, soit à 1,120 dinars », a-t-il dit, indiquant avoir déjà des confirmations à ce sujet.
Pas très loin de ce grand magasin, une épicerie a cessé de vendre du lait depuis des jours. Les gens y entrent, en demandent et ressortent bredouilles.
Ayech Younsi, propriétaire de cette épicerie depuis 20 ans, conseillent à ses clients d’aller chercher du lait dans les grandes surfaces.
«Pour moi, le lait n’a aucune valeur ajoutée. Je ne perds rien si j’arrête de le vendre aux clients. Pourtant, à chaque fois, les brigades économiques font des fouille chez nous, pour voir si nous cachons des stocks de lait, comme s’ils cherchaient de la drogue », déclare l’épicier vexé, en théâtralisant les gestes des contrôleurs.
Depuis le début de la pénurie, les services de contrôle se sont livrés à une bataille contre la spéculation dans les divers points de vente (épiceries, magasins, …).
Selon Younsi, les contrôleurs ne vont pas dans les véritables lieux de la spéculation et du monopole.
«Ils s’acharnent contre nous qui sommes en règle, alors que d’autres profitent de la crise. Et puis, c’est la mauvaise gestion de l’Etat, lui-même, qui est à l’origine du problème».
La spéculation et aussi la psychose!
Pour le directeur du contrôle économique au ministère du Commerce, Houssem Touiti, il y a une autre explication à cette crise du lait. « La spéculation n’est pas l’origine du problème, car il n’y a aucune intention d’augmenter les prix, pour les consommateurs. Il y a, une perturbation dans la distribution du lait et la situation a été aggravée par les inondations survenues, le 22 septembre dernier, à Nabeul. Elles ont touché les circuits du principal producteur et distributeur de lait en Tunisie ».
D’après lui, il y a aussi « une sorte de psychose » et une frénésie d’achat, ayant crée la pénurie. « Le lait est disponible, mais il existe des pratiques de spéculation et de vente conditionnelle au niveau de la distribution et aussi des cas de refus de vente, sauf aux clients fidèles. En plus, nous constatons des achats intensifs de la part des cafés, par exemple ».
Interrogé sur la décision d’importation du lait, Touiti a indiqué que « c’est pour remédier à une baisse de 7% de la production. C’est juste pour réguler le marché, réduire la pression et préserver nos marchés à l’exportation auxquels nous exportons le lait entier ». Il a par ailleurs, confirmé que les prix du lait importés seront les mêmes que ceux pratiqués pour les produits locaux.
Selon le président de la chambre nationale des centres de collecte de lait (relevant de l’UTICA), Hamda El Ifi, la Tunisie produit quotidiennement, près de 2 millions de litres pour une consommation variant entre 1,7 million et 1,8 million de litres par jour ». C’est pour dire que la production est loin d’être le problème de la filière laitière et que la bonne gouvernance des maillons de toute la chaîne est remise en question.
TAP