A Alger, le douzième vendredi de la révolte populaire devait être le plus difficile car coïncidant avec le cinquième jour du Ramadhan. Il a été, en fait, le plus surprenant. Surprenant par le nombre de manifestants et surtout par leur endurance pendant cette journée de jeûne brûlée par le soleil.
Ils étaient déjà quelques centaines aux alentours de 10 heures du matin, beaucoup moins que durant les vendredis précédents, mais c’est après la prière du vendredi que la foule a déferlé sur la ville. Des milliers de marcheurs sont arrivés dès 14h, sur les lieux. La surprise est venue au moment où beaucoup commençaient à avoir des doutes en voyant la place Audin et la Grande poste, dégarnies, occupées par une foule clairsemée, parfois hésitante.
C’est par la rue Didouche Mourad que le « renfort » est arrivé. Des groupes de manifestants, pancartes brandies et drapeaux flottants, est descendue le long de la rue Didouche Mourad pour gagner la Grande poste, point de ralliement incontournable. A leur passage, ceux qui étaient déjà à la place Audin s’enthousiasment, immortalisent le moment en prenant des photos. Devenus, eux-mêmes spectateurs pour quelques instants, avant de se laisser happer par la foule pour marcher à nouveau avec une énergie renouvelée.
Un peu plus tard, d’autres manifestants arrivent de la place du Premier mai, en passant par la rue Amirouche, pour se rendre à la Grande poste pour renforcer la marche qui tournait en cercle évitant le tunnel des facultés bouclé, des deux côtés, par les policiers alignés devant leurs véhicules.
Quatorze heures, c’était le moment clé de la marche de ce vendredi à Alger. C’était aussi le moment à partir duquel le soleil commençait à devenir plus pesant. La foule avançait lentement car, ce qui rendait la situation encore plus difficile. On se protégeait comme on pouvait, sous sa casquette, sous sa pancarte et même, pour certains, sous un parapluie. De grands drapeaux s’étaient transformés en abris couvrant les têtes de dizaines de marcheurs. Avoir soif sans pouvoir boire, marcher sous le soleil, crier, répéter des slogans, c’était l’épreuve qu’il fallait endurer pour faire le meilleur témoignage de sa détermination. Et au bout de quelques centaines de mètres, la vision d’un verre d’eau fraîche se confondait le rêve de la liberté.
Mais si on ne pouvait pas boire, on pouvait se rafraîchir. Des manifestants, bouteilles en main, offraient à ceux qui le voulaient, et ils étaient nombreux, de l’eau pour se laver le visage. Certains habitants des quartiers parcourus jetaient des bouteilles d’eau aux manifestants de leurs balcons. D’autres les arrosaient littéralement avec des tuyaux branchés à leurs robinets ou jetaient des bassines entières sur la foule. A la rue Didouche Mourad et à la rue Hassiba, les rafraîchissements étaient aux frais des riverains.
Des heures durant, les marcheurs ont livré bataille à la fatigue, à la soif et à la chaleur et comme dans toutes les batailles, il y avait des pertes. Certains n’en pouvaient plus, les personnes âgées surtout. Un secouriste bénévole, nous le confirme. « Nous avons pris en charge pas mal de personnes âgées ayant subi des malaises à cause de la chaleur, notamment des personnes atteintes de diabète », nous dit-il. Un témoignage qui reflète la difficulté de participer à une marche pendant le mois de Ramadhan, mais qui nous renseigne sur la détermination de certaines personnes dont l’âge avancé ne représente pour elles qu’un détail.
En parlant de pertes, il y avait aussi ceux qui ont perdu leur sang-froid. Des accrochages entre manifestants, à bout de patience, n’étaient pas rares. Mais d’autres étaient là pour calmer les esprits.
Malgré tout, la manifestation de ce premier vendredi de jeûne s’est bien déroulée. C’était surtout une épreuve pour les manifestants qui voulaient savoir si leur volonté était réellement à toute épreuve. Maintenant, ils le savent.