Le 14 eme vendredi des manifestations populaires a commencé de manière brutale, à Alger. Plusieurs personnes ont été interpellées dès le matin, du côté de la Grande poste, surtout, mais aussi dans les quartiers alentours.
Certains se faisaient happés par la police en descendant des bus et ceux dont la pièce d’identité indiquait un lieu de naissance en dehors de la capitale courait deux fois plus le risque de se faire embarquer. Les drapeaux et les pancartes, devenus subitement des objets suspects, menaient leurs détenteurs directement vers les fourgons de police.
Les policiers, plus nombreux que d’habitude, donnaient l’impression d’être prêts à tout pour empêcher la tenue des manifestations dans la capitale. Mais la pression imposée par les forces de l’ordre n’a duré que quelques heures. A partir de midi, des manifestants commençaient à se répandre dans les rues du centre-ville. Drapeaux sur les épaules, à la superman, des dizaines de personnes se sont rassemblées non loin de la Grande poste. Face à eux, des centaines de policiers anti-émeute, des véhicules de police et des clôtures de chantier bloquaient l’accès aux marches de la poste, lieu de rassemblement habituel des manifestants.
Peu avant treize heures, la foule rassemblée en face des policiers était déjà très nombreuse, mais on attendait encore le reste des « troupes ». Des milliers de personnes devaient arriver à partir de quatorze heures, dès la fin de la prière du vendredi. Du moins on l’espérait.
Entretemps, face aux forces de l’ordre, les manifestants patientaient. Des groupes se sont formés pour discuter de la situation politique du pays. On parlait surtout des élections présidentielles programmées pour le 4 juillet prochain, et du rôle que joue sur la scène politique le chef de l’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah et des atouts que le peule avait encore en main.
Se frayant un chemin à travers la foule, un homme souriant muni d’un pulvérisateur à pression aspergeait les manifestants avec de l’eau fraîche, dessinant un sourire sur les mines défaites et réduisant de quelques degrés la température des débats enflammés. Il osera même arroser quelques policiers plantés sur place, casqués et lourdement équipés.
La chaleur de ce vendredi de mai ne durera pourtant pas longtemps. Aux alentours de quatorze heures, le soleil s’est caché derrière les nuages et une brise fraîche envahissait peu à peu la ville. Elle ramena avec elle, une clameur lointaine, puis des slogans et des vagues de drapeaux portés par des milliers de manifestants. Ceux que l’on attendait depuis le matin étaient enfin là. De la place du Premier mai et de la Rue Didouche Mourad, des milliers de personnes se dirigeaient vers la Grande poste. La foule était plus nombreuse que celles des manifestations précédentes et ostensiblement plus déterminée. Les arrestations du matin avaient résonné sur les murs des pages Facebook et au lieu de faire peur, elles ont multiplié les mécontents et redoublé leur volonté.
Toutefois, les nouveaux-venus n’ont pas tenté de déloger les policiers de la Grande poste comme cela a été le cas le vendredi d’avant. Les marches de la Grande poste étaient réellement endommagées et les occuper n’était pas significatif politiquement, même s’il avait un sens sur le plan symbolique. C’est probablement pour cette raison qu’une partie des manifestants a pris le chemin des la Place des Martyrs, aux alentours de 16 heures. Comme il y a une semaine, les slogans étaient dirigés contre le chef de l’Etat-major de l’armée et les élections du 4 juillet.
A la Grande poste, une scène inhabituelle s’est produite. Les débats politiques que les manifestants ont pris l’habitude d’organiser ont inclus cette fois-ci des policiers. Policiers et manifestants se tenaient en terrain neutre, entre deux trottoirs, pour parler. On évoquait la dégradation des marches de la Grande poste, mais aussi la corruption qui a longtemps gangréné le pays ou encore le fait que la police ne soit sur place que pour faire son travail. L’entente ne durera pourtant pas longtemps. Une heure plus tard, des manifestants qui venaient d’arriver sur place se sont accrochés avec les policiers après leur avoir reproché d’avoir tabassé les étudiants, mardi dernier, lorsque ceux-ci s’étaient rendus au Palais du gouvernement.
Selon la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH) une nouvelle vague d’interpellations a été menée vers la fin des manifestations, aux alentours de 19 heures, au niveau de la Grande poste. La journée se sera donc terminée comme elle avait commencé.
Mais le moment le plus triste de ce vendredi était le décès d’un manifestant d’une crise cardiaque à la rue Amirouche. Depuis le 22 février, trois manifestants ont perdu la vue.
L’on retiendra, enfin, de cette journée, la grande détermination des manifestants à aller de l’avant en dépit des interpellations. Le Hirak a encore marqué un point.