Au mieux, aujourd’hui, la Tunisie souffre du ver solitaire, ce ténia dont le traitement est pourtant anodin, mais dont la négligence peut aussi aboutir aux pires dégâts. Ce parasite de l’intestin grêle est cause d’infections provoquant des douleurs abdominales récurrentes du corps social que manifestent les derniers soubresauts populaires, et qui n’en finiront pas tant qu’on n’aura pas procédé au traitement. Or, le diagnostic est bien posé, mais on s’abstient d’en tenir compte, empêchant un soin rapide*.
Le fruit Tunisie est piqué des vers puisque sa législation, qui est son tronc et sa charpente, est vermoulue. Elle date, non seulement, de l’ordre de la dictature, déclarée déchue, mais aussi, dans de larges pans, du protectorat. Quel plus bel exemple d’un fruit en train de pourrir malgré le coup du peuple de 2011 qu’on a voulu non seulement le renversement du chef d’un régime dictatorial et de sa camarilla, mais aussi et surtout l’abolition des scélérates lois qui lui permettaient de gouverner. Ce sont bien elles qui incarnaient la dictature dont ne voulait plus le peuple au nom de qui se fit le coup érigé en révolution purement virtuelle et qui est restée un simple coup d’État.
C’est bien ce qu’on célèbre aujourd’hui, le septième anniversaire d’un événement majeur, mais sans nulle satisfaction des exigences populaires au nom desquelles il s’est réalisé. Et on ne parle même pas des plus lourdes à satisfaire : le droit au travail et à un salaire décent, mais des moins difficiles, quoique les plus stratégiques eu égard à leur symbolisme et leurs retombées sur les mentalités. Ce sont, bien évidemment, ces droits et libertés dont on continue à priver le peuple. Pourtant, les concrétiser ne suppose pas que des lois à voter; des textes administratifs suffisent pour amorcer la pompe en suspendant l’application des normes obsolètes, rendues nulles par la constitution. C’est ce qui rendrait effective cette constitution restée lettre morte et empêcherait que le pays soit gouverné par un droit non seulement injuste, mais aussi nul. Comment vouloir, dans ces conditions, que le peuple respecte un droit illégal ?
Le ténia de Tunisie
Au mieux, aujourd’hui, la Tunisie souffre du ver solitaire, ce ténia dont le traitement est pourtant anodin, mais dont la négligence peut aussi aboutir aux pires dégâts. Ce parasite de l’intestin grêle est cause d’infections provoquant des douleurs abdominales récurrentes du corps social que manifestent les derniers soubresauts populaires, et qui n’en finiront pas tant qu’on n’aura pas procédé au traitement. Or, le diagnostic est bien posé, mais on s’abstient d’en tenir compte, empêchant un soin rapide. Ce traitement consiste dans la rupture avérée, et non juste, fictive avec le passé et tout ce qui le représente, aussi bien celui des lois de la dictature que des pratiques politiques et diplomatiques.
Faute de recourir à ce traitement du dernier recours, qu’on a déjà détaillé à plusieurs reprises et qui sera rappelé ci-après, la santé de Tunisie risque le pire. En effet, malgré des signes trompeurs de santé, la majorité de sa population paupérisée est gravement contaminée; ce que laissent voir ses nausées à répétition et les manifestations allergiques au civisme, sans parler des troubles d’appétit aux aspects de pure forme d’une sous-démocratie dont on s’illusionne que les masses se suffiront, telles les élections vidées de sens qu’on s’active à préparer. Il s’agit des signes évidents d’une maladie en train de muer, la taeniasedu peuple de Tunisie virant en cysticercose, pathologie qui, bien que rare, est trop grave pour être négligée, où les troubles oculaires et neurologiques et les maux de tête finissent en crises d’épilepsie du fait de- la localisation du parasite au niveau du cerveau.
Or, le ténia de Tunisie est désormais bien localisé en plein cerveau de notre pays, étant manifeste chez ses élites au pouvoir et à travers les lois avec lesquelles elles gouvernent. Il est donc temps de traiter cette maladie en suivant le seul protocole de soin utile qui, s’il est correctement suivi, assurera la guérison du pays, son peuple et ses élites.
Historique de la maladie
Elle a une cause étrangère au pays, ayant commencé par le reniement par l’Occident, et à sa tête l’indéfectible ami américain, de son ancien ami, le dictateur Ben Ali. Concluant une alliance stratégique avec les ennemis islamistes d’hier, il a prétendu le faire au nom des droits et des libertés du peuple, rebondissant sur le malaise social, exploitant à fond la colère populaire. Or, leurs visées premières étaient le service d’ambitions hégémoniques en Syrie et ailleurs et le service du capitalisme. Et leur alliance avec l’Antéislam rigoriste permettait d’avoir à disposition et à volonté la chair à canon nécessaire, ces illuminés jihadistes qu’on encourageait à donner un sens à leur vie en faisant le coup de feu sur les sentiers d’un faux jihad, le seul vrai étant celui livré à soi, à ses pulsions.
Certes, l’Occident pouvait dire n’avoir pas été directement responsable de l’envoi ni surtout de l’endoctrinement de ces désaxés ou bandits qui, par un juste retour des choses, se dressent aujourd’hui contre lui. Ce sont des Arabes musulmans qui ont trompé nos jeunes Tunisiens qui se sont ainsi retrouvés les plus nombreux parmi les jihadistes; c’est qu’ils avaient, comme tout le peuple de Tunisie, faim de droits et de liberté pour accepter n’être pour un temps que les dès du jeu de supposés seigneurs, devenus saigneurs du monde. Or, cela est fini et bien fini!
En Tunisie, le peuple ne veut plus d’un jeu similaire, cette fausse démocratie qu’on estime bonne pour lui et il revendique, à bon droit, les mêmes droits et libertés qui ce qui c’est imposé en Occident à la faveur de l’État de vrai droit qu’il quête. Il sait qu’en leur absence, on n’a affaire qu’à qu’une « daimoncratie » ou « démoncratie », ce pouvoir abusif des démons de la politique, nationaux et internationaux. Ce qui veut dire, pour lui, une dictature recyclée. Aussi, quitte à ce que sa démocratie soit sauvage, il tient à ses droits et ses libertés, les revendiquant par tous moyens. Personne ne pourra plus l’en priver longtemps, car on est en postmodernité qui est l’âge des foules.
En effet, rien ne s’y opposera. Ni l’Occident qui pourtant parfaitement appliqué les leçons de Max Weber sur la nécessaire alliance du capitalisme naissant avec le protestantisme pour assurer sa domination, usant du besoin réel de spiritualité chez les masses; d’où son alliance avec l’intégrisme musulman aussi sauvage que le capitalisme le plus honni. Ni même nos islamistes qui jouent aux modérés tout en croyant appliquer la leçon d’Ibn Khaldoun qui soutient, dans ses « Prolégomènes », que « les Arabes ne gouvernent qu’à titre religieux en se basant sur le magistère d’une prophétie ou l’autorité d’un saint et, plus généralement, une aura spirituelle », vérité donnée en titre du chapitre 27 de l’introduction de son Histoire. Faut-il leur rappeler que notre sociologue ne parlait que des Arabes bédouins et que ceux de Tunisie ont une fibre amazighe, l’âme des hommes libres associée à la passion de la liberté arabe ? Et qu’en Tunisie, il est un islam sui generis qui ne sera jamais intégriste, étant une spiritualité soufie ?
Le protocole de soins
Voici la solution qui s’impose en ce monde globalisé où la Tunisie n’est l’abacule d’une mosaïque. Elle n’ignore ni les effets internes de la maladie ni ses causes externes; et si elle peut paraître relever du rêve, c’est ce qu’on dit Dom Helder Pessoa Câmara, archevêque d’Olinda et Récife (1964-1985), au Nordeste, plus pauvre région du Brésil : « Lorsqu’on rêve tout seul, cd n’est qu’un rêve, alors que lorsqu’on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. L’utopie partagée, c’est le ressort de l’Histoire ».
C’est ce que doit comprendre l’Occident, notre horizon incontournable, pour l’appliquer en Tunisie où il a joué une mauvaise carte. L’atout maître qu’il lui reste est celui de l’islam policé, guère plus policier; il est cette foi véritable au service d’une vraie démocratie manifestée par les droits et libertés du peuple. Aussi, il ne suffit plus à l’Occident, mais aussi à ses nouveaux alliés en Tunisie, de continuer à jouer aux faux-semblants en se limitant de se rabattre sur le plan B de 2011 consistant à transformer le pays en souk où tout se vend et s’achète au nom de ce capitalisme versant dans sa sauvagerie propre et celle de ses alliés, adeptes de l’Antéislam postmoderne.
Le monde ayant changé, on ne peut plus se satisfaire des concepts d’antan ayant déjà échoué à assainir le désordre issu de la Seconde Guerre mondiale. Il faut se rendre à l’évidence qu’une réelle solidarité est obligatoire entre les pays communiant dans les valeurs démocratiques. Envisager ce monde meilleur en une Tunisie déjà sur la bonne voie, suppose d’agir sérieusement à la réussite de son modèle; ce qui suppose moins de capitalisme sauvage, mais assagi, adossé à une spiritualité sincère. Le capitalisme doit donc y renouer avec sa vérité première de libéralisme respectueux de toutes les libertés, surtout politiques et sociales.
Comme ce ne sont que les actes qui comptent, des décisions doivent être prises dans tous les aspects de la vie, et des plus osés dans les domaines sensibles; ils sont parfaitement possibles y compris au nom de l’islam qu’on présente à tort comme un écueil à un tel courage de la vérité. En effet, il faut se persuader que la religion musulmane des origines est une foi libertaire, non ce dogme liberticide, oeuvre des jurisconsultes ayant reproduit ce que cette foi était devenue au déclin de sa civilisation et en réaction à l’impérialisme auquel elle était soumise, de l’extérieur et aussi de par ses élites au service de l’étranger ou par lui influencées. C’est moins l’intégrisme musulman qui est le véritable écueil, mais celui de l’Occident réveillé à son fonds dogmatique, ne voulant rien changer à un désordre mondial dont il profite, quitte à traiter le citoyen du Sud en non-personne.
Cela n’est plus possible, en Tunisie particulièrement, son coup du peuple ayant fait prendre conscience aux masses, comme le dit Sartre dans ses Lendemains de guerre, que « ce qui est terrible, ce n’est pas de souffrir ni de mourir, mais de mourir en vain », et que l’on peut parfaitement s’éduquer par la violence. Et la plus efficace des violences est celle de l’amour. Et ce sera l’amour de toutes les libertés qui doit être célébré en Tunisie.
Qu’est-ce à dire sinon que le temps est venu pour que le pays, qui souffre du poids d’une dette scélérate, n’ait plus à la rembourser, pour le moins pendant un certain temps moyennant un moratoire plus ou moins long; que son peuple brimé n’ait plus à être maltraité par la police et la justice appliquant des lois nulles qui doivent être abolies et immédiatement suspendues d’application, des arrêtés ministériels et même de simples circulaires y suffisant; que sa jeunesse doive pouvoir se déplacer librement sous visa biométrique de circulation; que ses femmes soient de suite déclarées égales de l’homme en tout, surtout en matière d’héritage.
C’est ce qui aidera à rendre son honneur au peuple de Tunisie et à son pays devant enfin renouer avec le legs de Bourguiba en osant non seulement établir des relations diplomatiques avec Israël afin de militer activement et efficacement pour la cause de Palestine, mais aussi nommer un ambassadeur en Syrie et déposer sa candidature à l’entrée à l’Union européenne en vue de transformer l’état actuel de dépendance sans droits en une dépendance avec les droits d’État membre qu’elle mérite bien plus amplement qu’une Turquie régressant en droits et libertés.
Ainsi, on guérira sûrement la Tunisie du ver actuel qui ronge ses intestins tout en éveillant au meilleur son peuple qui démontrera alors n’être pas piqué des vers. Et on verra assurément, en Tunisie, ce que Gide disait, à savoir que « tout Arabe, et si pauvre soit-il, contient un Aladdin près d’éclore et qu’il suffit que le sort touche : le voici roi. ». C’est ainsi aussi que le coup du peuple, en ce septième anniversaire, verra enfin le peuple dans le coup, donnant réalité à une nouvelle Légende des siècles sur sa terre, démontrant sa capacité, étant libéré de son mental avarié, à aller au-delà de l’utopie qui, en postmodernité, se situe au-dessus du possible.
Car c’est l’art de faire possible de l’impossible de conditions de non-vie imposées à la majorité du peuple qui fait ce qu’on n’a pas eu le tort d’appeler génie tunisien. C’est dans l’art de vivre, ou plutôt de survivre, du Tunisien du peuple qu’il se rencontre le mieux, il est une sagesse incorporée, ce bon sens inné au tréfonds d’une Tunisie dans laquelle ses élites doivent s’enraciner, afin d’étonner leur monde et le monde en prenant en exemple les Tunisiens de la rue et leur génie de la débrouille.
(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog sous le titre : « Sommet UE-UA d’Abidjan : Contre la clandestinité, pour le visa biométrique de circulation ».