L’auteur* de cette contribution propose de faire de ces mesures l’amorce d’un virage vers une économie productive moins dépendante des fluctuations des marchés pétroliers.
1. J’ai préconisé, il y a de cela plusieurs mois, de créer une cellule de crise regroupant un représentant de chaque département ministériel avec des experts indépendants sous la coupe du Premier ministre afin de prendre des décisions au temps réel.
2. Je souhaite que son Excellence M. le président de la République annonce solennellement une baisse des salaires des responsables de la Présidence, des membres du gouvernement et des hauts cadres de l’Etat. Certes, une telle décision sera à très faible impact financier, mais elle sera un symbole moral fort, si l’on veut mobiliser la population et atténuer les revendications salariales non justifiées comme celles des députés qui constituent une agression contre la société.
3. Pour une cohérence globale, je propose un grand ministère de l’Economie nationale et un grand ministère de l’Education nationale intégrant la formation socioprofessionnelle avec plusieurs secrétariats d’Etat techniques. A l’avenir c’est le système économique qui devra s’adapter au nouveau système socio-éducatif. Il doit investir surtout dans le primaire et les collèges pour avoir un enseignant de base de qualité et dans le supérieur, dans les filières dynamiques de demain (l’économie de la connaissance) car en ce XXIème siècle, l’on devra changer plusieurs fois d’emplois dans notre vie.
4. Revoir le fonctionnement de notre diplomatie en mettant l’accent sur la dynamisation de la diplomatie économique, au point mort, sans laquelle la diplomatie politique a un impact limité. Utiliser avec précaution les réserves de change, qui sont le support de la valeur du dinar (corrélée à 70% aux hydrocarbures) et un attrait pour l’investissement, ainsi que le Fonds de régulation des recettes mis en place pour corriger les variations inattendues des revenus des hydrocarbures. Il serait, cependant, souhaitable à terme, pour plus de transparence, que ce fonds soit supprimé, les lois de finances devant être élaborées sur la base du prix de brut moyen du marché, quitte à verser l’excédent dans un compte pour les générations futures.
5. Geler les projets non prioritaires, qui n’ont pas d’impacts économiques et sociaux, à l’instar des tramways dans les régions à faible densité démographique, l’autoroute des hauts plateaux, et axer sur le développement de l’entreprise, des segments au sein de filières internationalisées, en évitant le changement perpétuel de cadres juridiques qui ont un coût colossal. Une organisation est inefficace sans vision d’ensemble et il faut se poser cette question stratégique: quelle est la place de l’Algérie horizon 2020-2030 au sein de la mondialisation et notamment au sein du Grand Maghreb et de l’Afrique.
6. Eviter le chauvinisme qui fait voir l’ennemi extérieur partout alors que les réformes structurelles supposent une nette volonté politique interne de changement. Quel sera l’impact de l’Accord d’association avec l’Union européenne (plus de 60% de nos échanges) dont le dégrèvement tarifaire sera zéro en 2020 ? Quel sera aussi l’impact de l’éventuelle adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (85%e la population mondiale et 97% des échanges mondiaux)?
7. La majorité des importations proviennent de la dépense publique via directement les administrations et entreprises publiques ou via des commandes aux opérateurs privées. Le constat alarmant, occasionnant des sorties de devises importantes, est le nombre impressionnant d’équipements ou d’engins importés en panne (voir, par exemple, les hôpitaux). Il y a urgence de revoir ce mode de gestion en prévoyant des services de maintenance publics et privés qui peuvent, pour des raisons de rentabilité, être polyvalents et intervenir dans plusieurs secteurs.
8. Eviter que SONATRACH concentre ses investissements en s’autofinançant au détriment des autres secteurs de l’économie nationale accentuant la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Toute décision stratégique concernant l’énergie ne relève pas seulement de Sonatrach ou du ministère de l’Energie. Elle relève, selon la loi en vigueur, du Conseil national de l’énergie, présidé par le président de la République. Comment Sonatrach peut-elle annoncer un investissement de 100 milliards de dollars sans avoir eu l’aval même du conseil des ministres ?
9. Ne pouvant continuer à subventionner sans ciblage (les subventions et transferts sociaux représentant 60 milliards de dollars, soit 27-28% du PIB, et sont source d’injustice sociale). En attendant que le gouvernement mette en place un système d’information fiable, qui devient une urgence de l’heure, j’ai confié à un expert de haut niveau un travail où il proposera au gouvernement des actions concrètes pour réduire les subventions de l’électricité et des carburants qui constituent une grande part des subventions, et ce, sans toucher aux catégories défavorisées et au secteurs à valeur ajoutée que l’on veut impulser par des prix dégressifs en fonction de la consommation. Les subventions et transferts sociaux doivent être transitoires et devront être budgétisés au niveau du Parlement. Il faut éviter de continuer à créer des emplois dans les secteurs administratifs et ne plus imposer aux entreprises publiques des sureffectifs inutiles qui nuisent à leur gestion. Il faut en finir avec les prix administrés, l’Etat, à travers le filet social, devant supporter les subventions.
10. Une politique d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique permettrait d’économiser 20% de la consommation énergétique, notamment pour le BTPH et le transport. Ce sont là les conclusions d’une étude réalisée sous ma direction pour généraliser le GNW et le GPLc en 2008, étude présentée devant l’APN et que le ministère de l’énergie vient de découvrir. On ne peut continuer à construire des millions de logements avec les anciennes méthodes de construction source de gaspillage de ciment et d’électricité. L’optimalisation de l’efficacité énergétique permettra le prolongement de la durée de vie des gisements conventionnels, de même que l’extension de l’usage de l’énergie solaire, la construction de centrales électriques hybrides (gaz-solaire) destinées aux besoins du marché interne.
11. Redynamiser la privatisation comme facteur de développement et réhabiliter l’image du secteur privé national et international créateur de richesses, assimilé par les rentiers à un secteur-prédateur. Le but doit être de densifier le tissu productif , y compris les services marchands qui sont créateurs de valeur et tisser avec tous les partenaires étrangers des co-partenariats gagnant-gagnant misant essentiellement sur une balance positive pour l’Algérie tant en devises qu’en termes de transfert technologique et managérial.
12. Bien gérer nos ressources financières afin de rationaliser les dépenses, de lutter contre les surcoûts, et de ne programmer que les projets qui auront un impact durable sur la croissance. L’étude de la Banque mondiale remise aux autorités algériennes en 2009 a montré clairement des surcoûts de projets pour cause de non-pilotage et de non-maturation allant jusqu’à 30% du coût initial, loin des normes internationales. L’Etat peut continuer, en fonction de ses moyens financiers, à investir dans les logements et les infrastructures utiles (on devrait interdire aux municipalités de refaire les trottoirs chaque année), mais il doit également utiliser la technique du BOT, bon nombre de projets devant être réalisés par le marché (commercialité relations banques-entreprises).
13. Revoir la gestion des ports. Il est scandaleux de voir des dizaines de bateaux en rade au niveau des ports d’Alger, d’Oran, d’Annaba : l’Algérie paye annuellement des surestaries se chiffrant en millions de dollars. Ce phénomène, d’ailleurs, existe depuis plus 30 ans.
14. Réformer d’urgence le système financier afin qu’il soit un véritable partenaire économique pour les entreprises. Il faut imaginer d’autres modes de financement comme le leasing, le crédit-bail et lever la contrainte du foncier et les contraintes à la mise en œuvre d’affaires par une lutte sans merci contre la bureaucratie et la corruption.
15. Tout en se conformant aux règles internationales, le marquage fiscal peut être utilisé temporairement au moyen d’un étiquetage indélébile et soumis à impôt indirect par le biais d’une « taxe intérieure de consommation » ne devant concerner que les produits tels que le tabac, les boissons, les produits nocifs à la santé et ceux de la contrebande. Pour les importateurs, il faudrait imaginer une taxe par valise quitte, par la suite, à faire une taxe progressive suivant le contenu. Il faut prévoir un impôt forfaitaire pour les habitations de 100 à 200 mètres carrés habitables et un impôt résidentiel pour celles de 200 mètres carrés habitables, ces impôts devant être variables selon les quartiers.
16. Délivrer des registres de commerce à partir d’une taxe forfaitaire annuelle pour l’ensemble des marchands ambulants, que l’on nomme improprement « trabendistes » alors qu’ils sont de véritables entrepreneurs (étude marché, coût de transport, cours des devises …). Le paiement de l’impôt direct est le signe d’une plus grande citoyenneté, les impôts indirects étant une solution de facilité. A ce titre, tous les fellahs doivent payer un impôt forfaitaire en attendant l’instauration d’un fichier national pour leurs livraisons aux grossistes qui prennent souvent la plus grande marge.
17. Le crédit à la consommation ne doit financer que les produits qui ont un taux d’intégration (matières premières notamment) de 40 à 50% ou une balance devises excédentaire. Cela peut concerner les nouvelles unités dont le taux d’intégration varie entre 10 et 15% , dans le court terme, mais dont le résultat d’exploitation prévisionnel est positif, sous réserve d’un engagement écrit d’arriver au maximum, au terme de quelques années, à un taux d’intégration de 40% ou d’avoir une balance devises excédentaire pour les exportateurs. Le taux d’intégration, tant des entreprises publiques que privées, ne dépasse pas 15% (le poste « matières premières » a dépassé les 11 milliards de dollars en 2013).
18. Limiter le nombre de séminaires et de rencontres qui coûtent une fortune sans impacts réels et capitaliser la forte épargne algérienne de la sphère informelle (50% de la masse monétaire en circulation) au moyen de mécanismes économiques transparents, ainsi qu’à l’épargne de l’émigration. Il faut assouplir la règle des 49-51% uniquement pour les secteurs non stratégiques qu’il s’agit de définir avec précision, notamment les PMI-PME, avec toutefois une minorité de blocage de 30% pour éviter les délocalisations sauvages, l’objectif stratégique étant une balance devises excédentaire et le transfert technologique et managérial. Comme je l’ai proposé depuis 2010, il s’agit de ne plus inscrire cette règle dans un Code d’investissement : ce serait là le signe d’une mentalité bureaucratique qui croit qu’une simple loi peut résoudre les problèmes. L’Algérie étant un Etat souverain, toute décision pour les grands projets doit être prise en conseil des ministres afin d’éviter des débats stériles.
19. Dans le même esprit, concernant la fiscalité, il faut revoir les modalités d’application de la taxe sur les superprofits contenue dans la loi sur les hydrocarbures de 2013 et ce, afin d’attirer les investisseurs étrangers : à un cours de 70-80 dollars, elle n’est plus attractive. Il faut également prévoir une ouverture maîtrisée au privé des petits gisements et des canalisations dont le taux de profit est en moyenne inférieur à 20-25% par rapport à l’amont (le départ des Chinois d’Adrar doit être médité).
20. La sortie de devises depuis 2011 du poste « services » au niveau de la balance des paiements fluctue entre 11 et 12 milliards de dollars. Il s’agit, en partenariat avec les étrangers, de favoriser la création de bureaux d’études d’engineering nationaux, complexes pluridisciplinaires. Sans de tels bureaux, il sera impossible à la fois d’avoir un développement interne durable et d’atteindre le taux de croissance souhaitable de 9-10% sur plusieurs années, taux nécessaire pour éviter des tensions sociales à terme.
(*) Abderrahmane Mebtoul est professeur des Universités et expert international en management stratégique.