Par El Kadi Ihsane
Le message officieux provenant d’El Mouradia selon lequel il est trop tôt pour parler de 2e mandat pour Abdelmadjid Tebboune, mérite d’être recoupé avec d’autres.
La haute hiérarchie de l’ANP ne veut pas reconstruire à l’identique le mécanisme de délégation de pouvoir au président de la république coopté dans l’urgence des évènements, Abdelaziz Bouteflika après la démission de Lamine Zeroual en septembre 1998 et Abdelmadjid Tebboune devant la déferlante populaire de 2019.
Eviter que l’expérience d’une grande autonomisation du pouvoir présidentiel face à une ANP désunie ne se reproduise est un souci constant sur la colline des Tagarins. Abdelaziz Bouteflika a réussi à le faire à partir de 2004, après avoir battu aux urnes Ali Benflis, le challenger soutenu par l’Etat Major mais pas par les services. Son autonomisation vis à vis de ceux qui l’ont amené en 1998-99 s’est accélérée avec l’émergence d’un réseau d’affaires, les oligarques naissants, le soutenant financièrement à partir de 2009 et son 3e mandat. L’arbitrage politique de l’ANP a encore reculé au début de 2014 lors de la délibération sur le 4e mandat avec un président fortement diminué par un AVC datant d’avril 2013.
Saïd Bouteflika détenait alors, déjà, les moyens d’influence pour imposer, en accord avec son frère président, une continuité de son exercice du pouvoir, même si le patron du DRS le général Toufik, n’était pas favorable à cette option, à l’inverse du chef d’Etat Major Ahmed Gaïd Salah. Le projet déraisonnable du 5e mandat est la dernière incarnation de l’inversion du rapport de force entre la présidence et l’armée au bout de 20 ans de pouvoir.
L’ANP était dirigée par un homme incapable de refuser une telle dérive. La suite a valu à l’ANP de voir son pouvoir quasi-patrimonial sur le choix de l’incarnation présidentiel être explicitement remis en cause par les Algériens dans le Hirak. Le risque d’une autonomisation de la présidence de Abdelmadjid Tebboune sur le modèle de celle de Abdelaziz Bouteflika n’est pas vraiment le plus considéré aujourd’hui par l’armée algérienne à deux années de l’échéance présidentielle de décembre 2024. D’abord parce que l’armée est décidée cette fois à empêcher une telle évolution, même si elle fait corps avec le président en exercice. Ensuite, parce que le pensionnaire d’El Mouradia a présenté tous les gages pour se cantonner dans un format différent de celui contre lequel s’est rebellé son défunt prédécesseur refusant d’être « un trois-quarts de président » en décembre 1999.
Des gages en pagaille
Le président Tebboune a inauguré mardi dernier la foire de la production nationale en débutant par le stand de l’industrie militaire, pour en faire les louanges. Scène ordinaire d’un partenariat politique présidence-état major de soutiens croisés. La revue El Djeich a tressé un bilan dithyrambique des trois années de présidence de Abdelmadjid Tebboune.
Le 02 juillet 2002, à deux ans de la fin du 1er mandat de Bouteflika, l’ambiance avec la présidence n’était pas similaire, lorsque le général Mohamed Lamari chef d’Etat Major a « vidé son sac » devant des journalistes incrédules à la fin de la cérémonie de sortie de promotion à l’académie inter-armes de Cherchell.
Tous les indicateurs montrent bien que Abdelmadjid Tebboune a rempli aux tests de loyauté et qu’il bénéficie du soutien de l’armée pour briguer un 2e mandat. Il n’a pas réellement cherché à construire une force politique propre à lui. Il exerce certes son pouvoir sur la quasi totalité des prérogatives que lui donne la constitution hyper-présidentielle du 1er novembre 2020, mais sans velléités de réduire l’exposition de l’ANP comme pilier du pouvoir politique en Algérie. Il n’a pas reconstitué une police politique puissante en face de l’Etat Major, bicéphalisme qui avait permis à son prédécesseur de jouer sur les divisions et de s’aménager un avantageux rôle d’arbitre.
Surtout, il ne s’avance pas sur le terrain des affaires pour laisser se développer un écosystème de capitaines d’industries alternatif à celui des oligarques – qui n’a jamais représenté tout l’entreprenariat algérien. Il se montre particulièrement prudent pour ne pas apparaître à la recherche d’un soutien financier autre que celui, politique, des dépositaires de la fonction présidentielle, une règle « régalienne » non écrite que les Bouteflika ont tenté d’outrepasser, et que le monde des affaires payent indistinctement à nos jours encore. La primauté aux entreprises publiques dans l’octroi de plans de charge qui peuvent tout autant être accessibles aux entreprises privées s’est fortement accentuée dans tous les domaines sous l’ère Tebboune.
Le président de la république continue de poursuivre les « oligarques » de 2e et de 3e rangs, quasiment comme au premier jour de Ahmed Gaïd Salah. Il ne veux pas laisser le sentiment d’un fléchissement sur le front de la lutte contre la corruption, allant jusqu’à ouvrir des dossiers du début de l’ère de Bouteflika comme dans le cas de l’ANEP.
Le scénario de l’échec pas évacué
Si à la tête de l’ANP les lignes d’un consensus se dégagent en faveur d’une candidature pour un 2e mandat de Abdelmadjid Tebboune en 2024, il s’agit du consensus du moment. Il est donc trop tôt pour en faire un feu vert opérationnel et s’emballer dans une pré-campagne improvisée comme cela en a pris la tournure à l’occasion du bilan des trois ans.
La présidence la fait savoir via des journaux. La hiérarchie de l’ANP n’en pense pas moins. Elle va, à la lumière des séquences précédentes, préférer prendre le temps de s’assurer de la fiabilité de cette option « naturelle » de la continuité. Elle ne redoute pas que le président s’émancipe après une réélection et devienne incontrôlable comme Abdelaziz Bouteflika. Elle redoute autre chose.
Un échec trop criard du premier mandat qui rende politiquement piègeux le soutien à un second mandat est loin d’être un scénario évacué. L’embellie des recettes extérieures est menacée d’être de courte durée en 2023 à cause d’un fort ralentissement de la croissance mondiale. La peur dans le milieu des affaires continue de différer les investissements. La balance entrée-sortie des capitaux étrangers en attendant un décollage, demeure négative sur la période. Le financement détourné des déficits par la création monétaire atteint son seuil inflationniste d’alerte. Les marges se réduisent et la conversion des derniers pétro-dollars expansifs pour changer de modèle économique n’a pas débuté.
Le FMI a prévenu qu’un rééquilibrage du budget était nécessaire. La gouvernance Tebboune a fait le choix inverse pour 2023, sans même privilégier la relance des investissements publics, allant jusqu’à susciter le vote du MSP contre la loi de finance, faute de lisibilité sur l’avenir. Le premier mandat de Abdelmadjid Tebboune a essentiellement reposé sur la répression du Hirak et le bâillonnement de l’expression et de l’activité politique, y compris d’ailleurs celle d’acteurs politiquement neutres ou loyalistes. La hiérarchie de l’ANP perçoit bien qu’il ne peut s’agir d’un mode de gouvernement définitif, tout au plus d’un sas de passage vers un mode de gouvernement qui emporte plus de libre adhésion citoyenne et moins de recours contraignants.
Une usure montante du sécuritaire
Les forces de sécurité sont sur la brèche depuis de longues années et le phénomène d’usure affleure. Le signalement de maltraitance et de cas de torture durant les gardes à vue se multiplient. Les déclenchements de procédures nouvelles s’accumulent et fatiguent les polices judiciaires. Les procédures à charge bâclées ont explosé avec l’article 87 bis et désabusent les magistrats. L’appareil sécuritaro-judiciaire travaille à pleine charge, sans parler des dispositifs maintenus dans l’espace public qui font ressembler le pays à un Etat de siège permanent.
Une sortie de l’impasse politique doit en principe survenir pour relâcher la pression sur les Algériens, soulager les forces de sécurité et les tribunaux, redonner de l’espoir aux citoyens entreprenants aujourd’hui candidats à l’exil. Même au milieu des années 1990 et de lutte contre le terrorisme, la piste de la solution politique n’était jamais tout à fait abandonnée, ne serait ce que pour donner une perspective de fin de crise aux acteurs engagés sur le front.
C’est l’incapacité, montrée jusqu’ici, de Abdelmadjid Tebboune à porter une telle perspective qui va inquiéter le plus au moment de confirmer l’assentiment pour un second mandat. Surtout si la parenthèse des hydrocarbures chers se refermait plus vite que prévu. Aucun président depuis l’indépendance n’a été reconduit en comptant uniquement sur l’effort des sécuritaires à tenir en joue la société algérienne pendant des années. Le politique doit revenir dans le jeu. Vouloir le maintenir cloitré est aussi déraisonnable que l’était le 5e mandat.