A une semaine de la date de clôture des dépôts de dossiers de candidature pour l’élection présidentielle du 12 décembre prochain, les nuages s’amoncellent sur la tête du chef de l’Etat-major. Sa stratégie du passage en force s’enlise. Évaluation.
La démarche de l’Etat-major de l’ANP pour mettre au pas le mouvement populaire du 22 février a évolué depuis le début de l’été et le recours à la division avec l’affaire de l’étendard amazigh, puis l’intermède du panel de Karim Younes. Elle a conforté la re-légitimation de la fonction présidentielle comme cap stratégique, fixé une date à sa réalisation et défini des instruments pour y parvenir. Ces instruments participent à affaiblir, puis isoler le Hirak pour se soustraire à sa pression pour un changement radical du système.
Ces instruments sont la répression directe du mouvement à tous ses niveaux de représentation symboliques, figures nationales comprises ; la disparition des images du Hirak aux yeux des Algériens qui ne sortent pas, la mise hors champ des initiatives politiques en dehors de celle de la présidentielle du 12 décembre 2019. Le bilan d’efficacité de ces 4 instruments est mitigé. Il n’est pas loin de ressembler à un échec. Reste un point de bilan qui tient la route. Dans son bras de fer avec le pouvoir, le Hirak a réussi à bloquer toute candidature plus ou moins sérieuse lors du rendez-vous du 04 juillet. Cette fois ci il a échoué à empêcher moralement celle de Ali Benflis. C’est un succès pour Ahmed Gaïd Salah. Maigre et momentané.
Réprimer directement le Hirak et ses figures
Cette option bat son plein depuis juin dernier et s’est étendue aux figures nationales populaires au sein du mouvement depuis un mois dans le but de réduire l’élan de la mobilisation qui a survécu aisément au creux estival. Elle a donné raison à l’intuition populaire selon laquelle, il ne fallait pas doter le mouvement de représentants reconnus.
Le caractère horizontal du Hirak , ajouté à sa détermination politique, ont permis d’absorber les micros chocs des arrestations et de maintenir les mobilisations, notamment le vendredi dans les grandes villes d’Algérie, largement suffisant pour peser lourdement sur toute solution politique qui ignore la volonté de changement des Algériens.
L’échec de cette option est d’autant plus patent qu’il a rapidement réintroduit le cas algérien dans les enceintes et chez les ONG internationales sous l’angle d’un Etat autoritaire réprimant ces citoyens pacifiques. A la pression interne va s’ajouter une pression morale des partenaires économiques du pays.
Cacher le Hirak aux Algériens qui ne sortent pas ou plus
C’est l’instrument le plus utilisé ces dernières semaines. Les manifestants qui sortent leurs smartphones avant que la foule ne soit dense, sont interpellés, à Alger mais encore plus systématiquement ailleurs en Algérie. Cela s’est étendu aux journalistes. Le harcèlement des médias et des reporters s’est intensifié. Pas de vidéos des différentes mobilisations.
Les journalistes et les journaux électroniques les plus suivis sont régulièrement intimidés. Al Magharibiya a été retiré d’Eutelsat sous la pression d’Alger ; des administrateurs des pages les plus proches du Hirak sont sous contrôle judiciaire après interrogatoire. Le résultat de cette campagne est là aussi mitigé.
Une partie des Algériens – seniors – absents des réseaux sociaux et de l’information digitale a perdu de vue la réalité des mobilisations. Ils n’en voient pas les images sur les télévisions. Mais la diffusion des images et de l’actualité du Hirak se trouve de nouveaux relais parmi les citoyens. Il reste visible sur les réseaux sociaux en dépit de tout et, à moins d’ imaginer que l’Etat-Major ne décide de couper Facebook et les autres RS comme en Chine, cette prétention à cacher le Hirak aux Algériens est une cause perdue.
Figer les modes d’expression populaire
Cette action visait à limiter l’expression populaire territorialement et dans ses modes d’expression, notamment l’intention prêtée au Hirak de recourir à la désobéissance civile. Elle est illustrée par le siège sécuritaire mis sur la capitale tous les vendredis, la traque contre les forums de débat organisés dans l’espace public et la répression musclée de toute entrave de l’opération électorale au niveau local. Autre échec spectaculaire là aussi.
Le recours à la désobéissance civile n’a pas pris la forme attendue. Il s’insinue dans la vie publique par l’engagement nouveau des citoyens à bloquer un projet de loi (Hydrocarbures) et depuis ce jeudi, par la convergence de fait des mouvements sociaux et des revendications politiques à travers le mot d’ordre de grève générale lancée par la Confédération des syndicats autonomes (CSA).
La solidarité avec les détenus d’opinion a également produit un appel à la protesta en faisant du bruit pour eux tous les jeudi à 20 h, appel qui a connu une première manifestation ce jeudi. Le Hirak est partout en week-end et en semaine, inventif et imprévisible, 8 mois après son déclenchement.
Réduire les initiatives politiques à la seule élection du 12
Les autorités avaient accordé des autorisations pour la tenue des deux réunions du 06 juillet (Ain Benian) et du 24 août (Société civile – et politique à la Safex). Ils les ont refusé au pôle pour l’alternative démocratique (PAD) qui ne s’inscrivait pas dans un agenda présidentiel. Depuis il a forcé le trait. Aucune réunion publique n’est permise pour discuter de l’avenir. Le but est clairement affiché.
Rester rivé sur le processus électoral du 12 décembre et avorter toute autre feuille de route, déjà formulée ou nouvelle. Là, également l’évaluation du procédé ne donne pas de résultats probants. Certes le processus du 24 août (à l’initiative de la conférence du 15 juin) a marqué le pas en attendant une décantation vis à vis du 12 décembre. Mais une autre initiative vient d’apparaître autour de 20 personnalités politiques et de la société civile qui se reconnecte directement avec l’expression populaire.
Aucune élection ne peut être sérieusement envisagée sans réunir les conditions de liberté et d’équité qui supposent un renoncement au passage en force en cours. La réflexion sur l’après 12 décembre se poursuit même au sein des élites intellectuelles liées au mouvement. Nabni a présenté cette semaine une plate-forme Yatnahaw Ga3 avec 50 mesures articulées par secteur pour éviter que le système ne se régénère.
Diviser le camp de la non-candidature du 04 juillet
La somme de quatre échecs opérationnels peut-elle donner un succès sur un autre front ? Il faut bien se résoudre que oui, car les échecs ne sont jamais tous complets. La répression, la traque des images, la censure des autres feuilles de route, le climat de terreur diffusé ont fini par laisser penser que le mouvement populaire ne pouvait plus imposer ces revendications. Notamment celle des garanties précédents tout retour aux urnes.
C’est sans doute ce sentiment qui a laissé Ali Benflis penser que son heure présidentielle était cette fois-ci arrivée (« l’horizon dégagé » dans la semaine de l’arrestation de Karim Tabou). Les autres pré-andidatures, Tebboune, Mihoubi, sont quasi anecdotiques du point de vue du Hirak. Elles incarnent le système dont il demande le changement.
Ali Benflis pouvait échapper à cette catégorie depuis son compagnonnage avec l’opposition politique dans le processus de Mazafran. Il est la seule conquête symbolique de Ahmed Gaïd Salah dans le dispositif qu’il a mis en place pour faire rentrer les Algériens chez eux. Sans lui, le processus du 12 décembre serait identique en termes d’offre électorale à celui, mort né, du 04 juillet dernier. Ali Benflis a rompu le rang du refus de la candidature dans une Algérie plus fermée politiquement que jamais (Voir les 4 premiers points). C’est donc un succès pour l’Etat-major. frêle et peut-être temporaire.