Abdelhak Lamiri : "Si nous ratons la concertation les prochains mois, j’ai peur pour l’avenir de l’Algérie" - Maghreb Emergent

Abdelhak Lamiri : “Si nous ratons la concertation les prochains mois, j’ai peur pour l’avenir de l’Algérie”

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L’Algérie est pied au mur. Ou elle adopte un plan de développement, ou elle sombre, avertit l’économiste et président de l’Institut international de management (INSIM), Abdelhak Lamiri, dans son livre : «La décennie de la dernière chance : émergence ou déchéance de l’économie algérienne», paru aux éditions Chihab.

 

  L’Algérie a investi près de 25 % de son PIB en 15 ans et pourtant le pays ne fait toujours pas partie des pays émergents. Pourquoi ?

Nous avons dépensé quelque 500 milliards de dollars en plans de relance divers. La somme engloutie est colossale. Il est vrai que nous avons opéré un rattrapage important dans de nombreux domaines comme les routes, le logement, les barrages etc., mais nous avons oublié d’investir dans des infrastructures stratégiques, comme les ports. Avec de telles ressources, on aurait pu être un pays émergent. Que s’est–il donc passé ? Les experts de la nouvelle équipe gouvernementale avaient pourtant fait un excellent diagnostic en 1999. En résumé, il stipulait que nos administrations sont lourdes et bureaucratisées, nos entreprises nettement sous gérées, les ressources humaines pour la plupart sous qualifiées, le pays n’avait pas de vision sur son devenir et le mode de gouvernance de nos institutions induisait le laxisme, la corruption et l’immobilisme. Nous étions passés par une décennie de violence et de destruction. Le diagnostic était superbe. Sauf que le schéma thérapeutique dans la sphère économique était en parfaite contradiction avec le diagnostic. Il consistait à inonder d’argent ces entreprises et ces administrations pour développer des infrastructures. Mais par quel miracle ces entreprises et institutions allaient-elles utiliser efficacement ces ressources ? C’est l’équivalent d’un père qui donnerait beaucoup d’argent à son fils alcoolique en lui disant : « Je compte sur toi pour utiliser cet argent pour te désintoxiquer et non pour boire ». On a été leurrés par la beauté d’une théorie keynésienne. Tous les experts internationaux savent qu’elle n’est pas valable pour les pays en transition ou en développement. En plus nous sommes une économie ouverte ; c’est le reste du monde qui a profité de notre relance.

 Le constat posé, vous avez cherché à comprendre la situation. Quelle a été votre méthode d’analyse ?

Ma méthode est simple. Pour comprendre un phénomène – ici, la relance dans les économies non développées – il faut répondre à trois questions : Que dit la science sur le sujet ? Quelles sont les expériences internationales dans ce domaine ? Quelles sont les leçons retenues ? En ce qui nous concerne, les réponses prouvent que nous nous sommes trompés, au-delà de l’imaginable. Tout le monde, ou presque, en partage la responsabilité. Quand les pouvoirs publics ont annoncé au début des années 2000 leurs plans, tout le monde a applaudi : les syndicats, le patronat, les centres de recherche nationaux, nos éminents économistes (sauf pour des détails de ciblage où la question du comment on va financer ces infrastructures). Il est facile maintenant de critiquer les pouvoirs publics mais il fallait le faire à temps. C’est tout le pays qui partage, en quelque sorte, la responsabilité des erreurs du passé.

 Si l’Algérie a échoué dans sa transition économique, d’autres pays ont réussi. En quoi peuvent-ils inspirer notre pays ?

Les réponses aux trois questions, détaillées dans mon ouvrage, permettent d’affirmer que la plupart des pays qui ont réussi à émerger se sont, non seulement inspirés les uns des autres, mais aussi, de ceux qui ont réussi auparavant. La plupart des facteurs clés de succès de l’émergence sont identifiés. On sait même comment les transposer dans un contexte culturel différent. Des pays comme la Malaisie ou l’Indonésie doivent nous inspirer plus que la Corée ou la Chine. Bien que chaque cas soit différent dans les détails, il existe de grandes similitudes pour les décisions les plus importantes. Par exemple, le rôle moteur de l’Etat est commun à tous ces pays. Les pouvoirs publics ont développé une vision partagée qui rend les citoyens fiers de contribuer à l’émergence de leur pays. Par ailleurs, on constate des politiques d’utilisation de l’intelligence de tous les citoyens, d’un meilleur partage du revenu et de la professionnalisation d’un secteur économique public et surtout privé.

Que faut-il pour que l’Algérie aille vers l’émergence ?

L’Algérie doit travailler sur plusieurs axes pour se développer. Tout d’abord, on doit privilégier la mise à niveau des ressources humaines donc créer toute une industrie du recyclage pour booster ces activités. On doit également hisser la qualité des formations universitaires et professionnelles aux standards mondiaux avec des partenariats internationaux lourds. On doit moderniser le management de nos entreprises et institutions à but non lucratif à un niveau international. Nous devons investir dans une économie productive diversifiée et privilégier les industries du futur, libérer les initiatives et ne pas faire de différence entre entreprise publique et privée. Nous devons aussi décentraliser plus : avoir des plans de développement locaux, régionaux et nationaux. Nous devons arriver à 1,5 millions d’entreprises de bonne taille, au lieu des 680.000 actuellement, afin de stimuler les exportations hors hydrocarbures et baisser la facture des importations. C’est cela créer une économie hors hydrocarbures : ne plus donner d’argent aux entreprises et aux administrations qui ne savent pas l’utiliser mais les rendre efficaces, les désintoxiquer, avant de leur donner de l’argent.

Votre livre sort à quatre mois des élections présidentielles. Est-ce un appel aux différents candidats ?

J’essaye d’aider mon pays à voir plus clair. Je ne suis pas le seul. Des think tanks algériens se mobilisent, comme “Défendre l’entreprise”, le “Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise” (CARE), le collectif “Notre Algérie bâti sur de nouvelles idées” (NABNI), etc. Nous avons une formidable diaspora dotée de compétences appréciables qui peut collaborer. Il faut rétablir une confiance entre les décideurs et les experts dont beaucoup ne cherchent pas de postes politiques mais veulent simplement contribuer. J’espère qu’il y aura de meilleures concertations dans les prochains mois pour concevoir le plan de développement de la dernière chance. Si nous ratons les prochains mois, j’ai peur pour mon pays.

Le 18 janvier prochain, vous interviendrez dans le cadre du programme TEDx Casbah à Alger. Quel sera votre message à ces jeunes Algériens ? Ce travail de “vulgarisation” de la pensée économique vous semble-t-il important ?

Le message aux jeunes est qu’ils peuvent réussir dans leur pays même si l’environnement semble hostile. Il est beaucoup plus facile de réussir à créer une micro entreprise et réussir en Algérie plutôt qu’à l’étranger. Il est beaucoup plus facile d’affronter une administration bureaucratisée qu’un marché super professionnalisé et super compétitif. On va expliquer cela techniquement à nos jeunes.

Enfin, je dirais que personne ne détient à lui seul toute la vérité. Le prochain gouvernement, quel que soit sa coloration, doit mener une discussion avec tous les Algériens pour concevoir ensemble un projet d’émergence dont nous serons tous fiers d’y participer. Chaque Algérien est intelligent à son niveau et à sa place. Si ce plan est concerté – y compris avec la diaspora – et finalisé par nos meilleures compétences, je ne vois pas pourquoi l’Algérie ne deviendra pas le dragon de l’Afrique, un pays émergent, respecté et admiré où les citoyens seront fiers d’y vivre et de contribuer à son développement. Les pays qui réussissent font revenir leur diaspora (Chine, Inde). Les pays qui échouent envoient leurs jeunes mourir en pleine mer. Nous devons faire partie de la première catégorie.

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