Abdelmalek Sellal a fait la blague de trop. Le directeur de campagne de M. Abdelaziz Bouteflika a dressé contre lui une partie de l’Algérie, outrée par son discours trash.
A peine intronisé, le nouveau premier ministre Youcef Yousfi est contraint de monter au front, pour tenter d’éteindre les incendies que son prédécesseur a allumés, ou qu’il n’a pas su éteindre. Ce qui suffit pour révéler le bilan particulièrement controversé de M. Abdelmalek Sellal, l’homme en qui le président Abdelaziz Bouteflika place une confiance rare, au point de lui confier, pour la troisième fois, la direction de sa campagne électorale. M. Yousfi a été contraint de se rendre à Ghardaïa, qui connait une dangereuse extension de la violence, puis à Batna, ville natale de Ali BENFLIS, principal concurrent du président Bouteflika, et de l’ancien président Liamine Zeroual, révoltée par les déclarations de M. Sellal concernant les chaouias.
Lors de sa nomination en septembre 2012, M. Sellal était pourtant attendu comme un homme pragmatique, doté d’un sens de l’humour et d’un langage populaire, susceptibles de séduire de larges franges de la société, pour contourner un « microcosme » supposé hostile au chef de l’Etat. L’homme a cependant confondu populisme et vulgarité. Il est rapidement apparu comme un personnage décalé, sans consistance, portant des jugements à l’emporte-pièce, et utilisant des formules qui feront date dans le langage politique algérien. Il était supposé avoir de l’esprit, en utilisant des formules choc. Il est apparu comme un spécialiste des brèves de comptoir, de formules trash, qui ont irrité toutes les franges de la société. La société traditionnelle, qui a un certain respect de l’autorité, ne l’a pas adopté. La classe moyenne, prête à se satisfaire de son discours simple, a rapidement découvert qu’il s’agissait d’indigence intellectuelle.
L’humour comme arme de communication
Le passage de M. Sellal au premier ministère, durant dix-huit mois, laissera peu de traces, à l’exception de son langage. A une journaliste qui lui demandait où en était le chef de l’Etat sur le plan de sa santé, il a répondu : « pourquoi, tu veux l’épouser » ? A un autre journaliste qui se demandait si M. Bouteflika pourrait être candidat, il a répondu : « « nennek » ne pourra pas s’y opposer. Dans ses discours improvisés, il a confondu poésie et Coran, tout en faisant preuve d’une étonnante indigence politique. Au lendemain de la sanglante prise d’otages de Tiguentourine, en janvier 2013, il a basculé entre l’humour et le populisme, alors que le moment était très grave.
Il a clôturé cette épopée la semaine dernière, en tenant le premier meeting électoral de soutien au président Abdelaziz Bouteflika, alors que la campagne électorale n’a pas encore commencé. En arrivant sur les lieux, il a donné l’accolade à un ami, en utilisant cette formule :« à Constantine, on dit, les chaouis, hacha rezk Rabbi », qu’on peut traduire par « les chaouis, sauf le respect qu’on doit aux biens que Dieu nous a offerts ». La télévision privée Ennahar TV, pourtant favorable au président Bouteflika, transmettait en direct l’évènement. Et les Algériens ont entendu cette formule, qui a aussitôt provoqué la colère des chaouias, mais aussi de la plupart des Algériens, outrés par un tel langage.
Confusion
Contraint de s’excuser, M. Sellal continue toutefois de diriger la campagne de M. Bouteflika. Il a déjà sillonné toute l’Algérie durant les trois derniers mois, se rendant dans les 48 wilayas du pays, où il distribuait de l’argent à flots. En 2004 et 2009, c’est le président Bouteflika lui-même qui effectuait ces tournées préélectorales. Son état de santé ne le lui permettant plus, M. Sellal l’a suppléé cette fois-ci, dans un mélange de genres qui ne le gêne pas outre mesure : président de la commission électorale, premier ministre, il devient, du jour au lendemain, directeur de campagne du chef de l’Etat, utilisant les moyens de l’Etat et s’appuyant sur l’administration.
Mardi, il a rencontré le Forum des Chefs d’entreprises (FCE), qui vient de perdre une partie de ses membres. L’organisation patronale, soumise à une forte pression pour soutenir le chef de l’Etat, a finalement succombé à la tentation : les patrons savent que le président Bouteflika, représenté par M. Sellal, est leur meilleur allié, car il distribue de l’argent sans se soucier des vrais enjeux économiques.
Incapacité à régler la crise du M’Zab
Pendant que M. Sellal menait la campagne électorale de M. Bouteflika, la vallée du M’Zab plongeait dans la violence. Une première tentative, maladroite, pour régler la crise avait tourné court, M. Sellal s’étant engagé à construire des logements et à distribuer des terrains. Il s’était ensuite rendu sur les lieux au début de l’année, lors du mawlid Ennabaoui, pour annoncer un plan de sortie de crise. Mais sa démarche n’avait aucune consistance, et la violence a repris, faisant trois morts en début de semaine, peu avant qu’il n’organise le premier meeting réunissant les comités de soutien de M. Bouteflika.
M. Sellal semble toutefois avoir fait « la blague de trop », selon un éditorialiste. Sa dernière déclaration sur les chaouias a provoqué une série d’actions de protestation dans plusieurs villes de l’est du pays, ainsi qu’une indignation dans toutes les régions du pays. Il sera difficile à M. Bouteflika de le garder au lendemain de l’élection présidentielle du 17 avril. « Ce sera perçu comme une provocation », affirme un analyste, pour qui M. Sellal « sera peut-être la dernière victime de son humour primaire ».