Dire qu’en période de disette, il faut élargir l’assiette fiscale, mieux mobiliser l’épargne, envisager d’emprunter pour faire face au déficit budgétaire et maintenir ainsi un taux de croissance acceptable ne suffit pas pour faire un candidat au Nobel d’économie. Cela montre seulement à quel niveau était arrivé la pensée et la pratique économiques au sein d’un pouvoir auquel appartient M. Benkhalfa depuis de longues années.
« La dette n’est pas une maladie ». En prononçant cette sentence, mardi dernier, le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, n’a pas innové. Il a simplement rappelé un principe de bon sens. Investir massivement quand un pays dispose de revenus financiers importants ne révèle pas d’exploit, c’est à peine une utilisation efficiente de l’argent. Par contre, trouver de l’argent quand la liquidité se fait rare, mobiliser l’épargne en temps de crise, c’est là que se révèle la gestion performante.
Car investir, réaliser des performances, prendre des risques, c’est travailler avec l’argent des autres. C’est ce que font les entreprises américaines qui ont fait le grand bond du pétrole de schiste par exemple. Elles produisent quatre millions de barils par jour, grâce à des investissements dont une part très réduite provient de fonds propres. Le reste provient de prêts bancaires. Ces entreprises ont réussi à convaincre les banques de les suivre sur un créneau qui semblait peu attrayant il y a cinq ans à peine.
Il en est de même de la consommation. En Europe, aux Etats-Unis, au Japon ou en Australie, personne n’achète une maison ou une voiture en payant cash. Le crédit est la règle. Est-il nécessaire de rappeler tout ce que cela offre d’avantages économiques, pour le producteur comme pour le consommateur ? Est-il nécessaire de réinventer les concepts de base de l’économie ?
Mauvaise question
Faut-il donc emprunter ou pas? That is not the question, répond M. Benkhalfa, qui paraît décalé par rapport aux membres de l’exécutif.
Le ministre des Finances parle de la nécessité de regarder les choses autrement. Plutôt que de s’engager dans une polémique inutile sur la nécessité d’emprunter ou pas, il préfère poser la question autrement : que faut-il faire pour assurer un bon niveau de croissance?
Il faut donc convenir avec M. Benkhalfa que la dette n’est ni une maladie ni un tabou. Ce qui ne fait pas pour autant du ministre des Finances un grand innovateur en matière économique. Au mieux, on peut lui concéder qu’il tient un discours ordinaire, de bon sens. Il a même admis que le prix du pétrole est une donnée « exogène » et a proposé de l’oublier.
Mais devant à l’indigence de la pensée économique dominante et les méthodes rudimentaires prônées par ailleurs, cela suffit pour le présenter comme un champion du changement : il y a peu, le gouvernement mettait en exergue le paiement anticipé de la dette, le présentant comme un haut fait d’armes, avant d’affirmer aujourd’hui que s’endetter n’est, tous comptes faits, pas si mauvais!
Pensée rudimentaire
Dire qu’en période de disette, il faut élargir l’assiette fiscale, mieux mobiliser l’épargne, envisager d’emprunter pour faire face au déficit budgétaire et maintenir ainsi un taux de croissance acceptable ne suffit pas pour faire un candidat au Nobel d’économie. Cela montre seulement à quel niveau était arrivé la pensée et la pratique économiques au sein d’un pouvoir auquel appartient M. Benkhalfa depuis de longues années.
Ce pouvoir a-t-il changé, pour laisser apparaître quelques idées apparemment novatrices? En fait, la pression de la conjoncture a ramené M. Benkhalfa, et poussé à ce discours qui se veut nouveau. Mais le fonds est intégralement maintenu. Le pouvoir a toujours recours à des recettes typiquement bureaucratiques, comme l’augmentation des taxes et impôts, auxquelles il ajoute un discours de circonstance.
Dans son élan, M. Benkhalfa n’a pas hésité à dire que son objectif est de transformer l’Algérie en Mecque des investissements étrangers. L’or, l’immobilier et les devises achetées au noir constituaient jusque-là les placements favoris des Algériens. Il se propose de changer cette situation pour orienter résolument les Algériens vers l’investissement. Quelles mesures a-t-il engagé pour porter aussi loin les ambitions économiques du pays ? Mystère.
Décalage
M. Benkhalfa ne se rend pas compte d’une autre réalité, beaucoup moins souriante : à part des mesures bureaucratiques, il n’a prise sur rien. Il peut augmenter une taxe, mais il ne peut faire fonctionner une administration. Sa politique est une suite d’effets d’annonce.
Dès sa nomination, il avait promis un bond en avant spectaculaire de la monétique et du paiement électronique. Le secteur n’a pas avancé d’un pouce. La mise en conformité fiscale, une amnistie à 7%, a donné des résultats décevants. L’emprunt obligataire qu’il envisage de lancer en avril ne devrait guère faire mieux. Il redoute d’ailleurs un échec et il a refusé d’avancer un objectif : pourquoi les Algériens prêteraient-ils à l’Etat quand ils peuvent obtenir beaucoup plus ailleurs ?
Concrètement, entre mars 2016 et mars 2017, par exemple, l’euro devrait largement dépasser les 200 dinars et pourrait même atteindre 250 dinars. Pourquoi gagner cinq pour cent auprès de l’Etat, avec une inflation qui est proche de ce seuil, quand on peut en gagner deux à quatre fois plus?
Cela ramène M. Benkhalfa à sa véritable dimension : un homme qui sait faire des discours de circonstance et adopter des postures séduisantes. C’est suffisant pour en faire un héros, quand la pensée économique est au niveau zéro.