Alors qu’il était interrogé sur les raisons du refus de certains journaux de s’acquitter de leurs dettes vis-à-vis des imprimeries, le Chef de l’Etat Abdelmadjid Tebboune a fait, lors de sa rencontre périodique avec les journalistes vendredi soir, une digression pour s’attaquer, en termes à peine voilés, au journaliste incarcéré Ihsane El Kadi et ses médias Radio M et Maghreb Emergent.
Dans une allusion à Ihsane El Kadi, journaliste et directeur éditoriale de Radio M et Maghreb Emergent, dont les locaux sont sous scellés depuis le 24 décembre 2022, Tebboune, évitant de le citer nommément, l’a qualifié de « khabardji » (informateur) en assumant la fermeture des locaux des deux médias.
« Comment extraire les journaux des puissances de l’argent » ? », l’interroge un des journalistes. «Voyez-vous…un khabardj. Nous avons fermé une chose (médias) illégale et voilà que les avocats se réunissent je ne sais pas où (…), l’Algérie est visée », a déclaré Tebboune dans des sous-entendus qui semblent cibler Ihsane El Kadi, ses médias et son collectif international de défense.
Intervenant à l’occasion d’une conférence organisée mardi à Paris, sur le thème des droits de l’Homme en Algérie, à l’occasion du quatrième anniversaire du « Hirak », l’avocat Pierre Brunisso, membre du collectif international de défense du journaliste, Ihsane El Kadi, a renouvelé la demande de libération immédiate du directeur du pôle éditorial de « Radio M » et de « Maghreb Emergent » et la levée des scellés sur ces deux médias.
« C’est pour accréditer la thèse que les journalistes démocrates et accomplis sont en France et pas ici », a ajouté Tebboune.
Ce n’est pas la première fois que des officiels algériens s’attaquent à Radio M. L’ancien ministre de la communication Ammar Belhimer avait appelé en avril 2020, la presse nationale au « strict respect » du droit en matière de financements étrangers, en pointant du doigt Radio M.
« Cette radio a été lancée grâce à une addition de fonds issus éventuellement d’une collecte publique organisée dans le cadre d’une opération de crowdfunding et de dons en provenance de l’étranger, par le canal d’organismes se donnant pour vocation affichée de renforcer les processus dits de modernisation et de démocratisation », avait déclaré Belhimer.
Interface Médias, société éditrice de Maghreb Emergent et Radio M, n’avait pas mis trop de temps pour répondre au ministre de la communication de l’époque. Elle avait dénoncé, dans un communiqué, « les propos diffamatoires du porte-parole du gouvernement » et s’est réservé, de ce fait, « le droit de déposer plainte contre lui ».
«Le gouvernement algérien a reconnu ce lundi 13 avril 2020, à travers son porte-parole, le ministre de la communication, sa responsabilité dans la censure des deux sites d’information en ligne Maghreb Emergent et Radiom.info, en violation de l’article 50 de la constitution qui stipule que « la liberté de la presse écrite, audiovisuelle et en ligne est garantie et ne doit être restreinte par aucune forme de censure préalable ». Il n’a cependant rien trouvé de mieux, pour justifier un pur acte de répression de la liberté de la presse, que d’invoquer à postériori une infraction à la loi sur le financement étranger des médias », avait rappellé la société.
Non respect de la présomption d’innocence
Cette sortie d’Abdelmadjid Tebboune intervient à la veille de l’examen par la chambre d’accusation de la Cour d’Alger de la demande de liberté provisoire pour Ihsane El Kadi et au lendemain de l’annonce du collectif de défense du renvoi du dossier de leur client devant le tribunal. De quoi s’interroger si celà ne risquerait pas d’influer sur le travail de la justice.
C’est la troisième intervention d’Abdemadjid Tebboune dans des dossiers de journalistes incarcérés avant même leurs jugements, sans que la présomption d’innocence, comme l’exige la Constitution, ne soit respectée. Lors d’une de ses rencontres avec la presse en mai 2020, il avait accusé le journaliste Khaled Drareni « d’intelligence avec l’étranger » en le qualifiant de « Khabardji ».
Il s’était également exprimé sur le cas du journaliste Rabèh Karèche, dans un entretien accordé au magazine français « Le point », paru en juin 2021 en le qualifiant de « pyromane ». Une déclaration qui avait suscité la colère de ses avocats, lesquels ont dénoncé une « violation de la présomption d’innocence » et une « tentative d’influencer la justice ».
Le ministre de la Communication, Amar Belhimer, de son côté, s’était prononcé à maintes reprises sur le dossier du journaliste Khaled Drareni avant son jugement.
« Les déclarations de responsables assumant de hautes fonctions dans l’Etat avec qualité de ministre et de président de la république sur les affaires soumises à la justice constituent des jugements préétablis, une immixtion autoritaire directe et une pression sur le travail des juges, pratiques interdites par l’article 147 du code pénal », avaient dénoncé alors les avocats de Khaled.