Le développement d’une industrie de montage automobile dans notre pays ne soulève pas seulement un problème technique de « taux d’intégration ». Il renvoie aussi à un enjeu relativement méconnu et encore peu médiatisé : celui de la nature de l’actionnariat des nouvelles entreprises créées au cours des dernières années et donc de l’identité exacte de leurs propriétaires. Une question pas forcement très transparente.
En Algérie, de nombreux partenariats, de nature en réalité assez diverse, ont été conclus ou sont encore en cours de négociation dans le but d’ installer des usines de montage automobile.
Les débats médiatiques très animés des dernières semaines se sont focalisés essentiellement sur la question du caractère « industriel » ou non des usines de montage déjà installées ou programmées à travers le prisme de leur « taux d’intégration ».
Une autre facette du processus en cours d’industrialisation de la filière automobile dans notre pays est restée relativement dans l’ombre et n’a pas pour l’instant donné lieu aux mêmes questionnements. Il s’agit du problème de la nature de l’actionnariat des entreprises nouvellement créées dans le secteur.
Le cahier des charges, qui fixe les conditions établies dans ce domaine par le ministère de l’Industrie n’a pas encore fêté son premier anniversaire. Il date d’avril 2016 et prévoit que le protocole d’accord ou l’accord de partenariat, doit préciser «le processus de maturation du projet, son planning ainsi que le rôle de chaque partie». Il stipule également que «la production ou le montage de véhicules particuliers, dans le cadre d’un nouveau partenariat industriel est subordonné à une prise de participation du constructeur dans le capital social de la société de projet».
Renault ouvre une brèche
Le premier partenariat conclu en Algérie dans le domaine de l’industrie automobile est antérieur à l’élaboration de ce cahier des charges. Le 25 mai 2012, un « « Memorandum of Understanding » a d’abord été conclu entre le groupe Renault et le gouvernement algérien pour l’ « implantation progressive d’une filière automobile en Algérie ». Il ouvre pour la première fois une brèche dans le front uni des constructeurs invités depuis plusieurs décennies à investir dans le montage automobile en Algérie. Cet accord de portée générale s’est concrétisé dès le 19 décembre 2012 par la signature d’un pacte d’actionnaires entre Renault, la Société Nationale de Véhicules Industriels (SNVI) et le Fonds National d’Investissement (FNI) en vue de la création d’une coentreprise (49% Renault, 34% SNVI et 17% FNI). Il a été suivi le 31 janvier 2013 par la création de la société « Renault Algérie Production ». Les travaux de construction de l’usine de Oued Tlelat ont démarré le 25 septembre 2013 et elle est entrée en production en septembre 2014.
Ce premier accord de partenariat est d’une facture très « classique »dans la mesure où il correspond à un modèle largement répandu depuis le début de la décennie en cours. Conclu dans le cadre du 51 /49 , il associe, dans des conditions de relative transparence, des partenaires publics majoritaires à un partenaire étranger privé auquel a été confié le management opérationnel de la nouvelle joint venture. Même s’il n’éclaire pas complètement le rôle des actionnaires algériens qualifiés fréquemment de « sleeping partners »par certains commentateurs, le projet semble actuellement évoluer conformément à son planning et donner satisfaction à la fois au groupe Renault et au gouvernement algérien si on en juge par les déclarations récentes de MM .Sellal et Bouchouareb. En décembre dernier, à l’occasion de la dernière foire de la production nationale , le Premier ministre a invité l’entreprise à « augmenter sa production et diversifier la gamme de ses modèles produits en Algérie ». Selon les déclarations des responsables de Renault Algérie, la production de l’usine de Oued Tlelat devrait atteindre 60 000 unités en 2017.
Volkswagen partenaire (très)minoritaire de Sovac Production SPA
Le constructeur automobile Volkswagen a annoncé le 27 novembre 2016 l’officialisation d’une joint-venture avec la SOVAC, le concessionnaire de sa marque en Algérie, pour le lancement au deuxième semestre 2017 d’une usine d’assemblage de véhicules. « Cette décision représente pour nous, une avancée logique dans la perspective de faire croître la vente de nos véhicules en Algérie. Le groupe Volkswagen a opté pour cette participation dans le capital de SOVAC Production, compte tenu du partenariat long et rentable qui nous uni depuis des années.», a déclaré à cette occasion M. Joseph Baumert responsable de la production et de la logistique chez Volkswagen.
Aux termes du premier pacte d’actionnaire conclu dans le secteur entre une entreprise privée algérienne et un constructeur étranger la nouvelle entreprise ne s’appellera pas Volkswagen Production Algérie mais Sovac Production SPA et aura une capacité de montage de départ de 100 véhicules par jour. Elle produira, outre les marques Volkswagen, des Seat et des Skoda.
L’actionnariat de la nouvelle entreprise n’affiche pas les mêmes conditions de transparence que le projet précédent conclu avec Renault. On sait que Volkswagen a bien pris une participation minoritaire dans la joint-venture. Les détails du montant de son engagement financier n’ont pas été donnés. Le groupe allemand a déjà précisé, qu’il fera de « gros apports pour la formation des ressources humaines et le développement technologique ». L’identité précise des actionnaires algériens limitée, ou non, aux propriétaires du groupe Sovac n’est pas non plus connue.
Hyundai reste hors du capital de la Tahkout Manufacturing Company
La création de la Sarl Tahkout Manufacturing Company (au capital social de 100 000 000, 00 DA) s’est effectuée en un record au cours de l’année 2016. Le tour de table de la nouvelle entre prise est composé exclusivement de personnes physiques répondant au nom de Tahkout et de la Sarl CIMA matériels automobiles (Compagnie industrielle de matériel automobile). La participation du constructeur, en l’occurrence Hyundai, n’apparaît pas parmi les associés comme l’exige le cahier des charges publié en avril 2016. L’usine, installée à Tiaret, doit produire dans une première phase pas moins de 30.000 véhicules /an pour élever sa capacité à 100.000 unités par an en 5 ans. Ce projet, inscrit dans le cadre d’un partenariat entre ce groupe privé et le constructeur sud-coréen Hyundai vise un taux d’intégration atteignant les 40% dans les cinq années qui suivront la mise en production de l’usine.
Dans une déclaration reprise par plusieurs médias nationaux, un cadre coréen de l’entreprise confirmait voici à peine 48 heures que « l’usine est détenue à 100% par TMC mais que la qualité est garantie par Hyundai Motors ». Le même cadre coréen ajoutait que « lorsque nous entrerons en CKD avec la fabrication de la tôle, coque du véhicule, et peinture de la carrosserie, Hyundai entrera en 51/49 ». Il indiquait également que « le premier véhicule CKD devrait sortir en avril 2018, précisant qu’il s’agira de la dernière génération de l’Accent ».
Avec Peugeot , les « discussions continuent »
L’installation du constructeur français Peugeot en Algérie devait faire l’objet de la signature d’un accord au mois d’avril 2016, lors de la « réunion de haut niveau Algérie-France » qui, comme on s’en souvient , n’a pas vraiment connu un franc succès . Elle a finalement été reportée pour des raisons inconnues.
Les choses n’ont pas beaucoup avancé depuis cette date. « Le projet ne sera réalisé que si Peugeot accepte nos conditions » déclarait le 5 janvier dernier Abdeslam Bouchouareb, à la chaîne de télévision Ennahar TV. Quelles conditions ? Le Ministre ne le dit pas. De nouveau interrogé sur le projet Peugeot par la radio nationale le 12 mars dernier , M. Bouchouareb a eu cette réponse : « Les discussions continuent entre les différentes parties. Dès que les positions se rejoignent, nous l’annoncerons. Mais pour l’instant, on n’est pas encore dans ce cas ».
Pendant ce temps, les dirigeants du constructeur automobile français PSA répètent à qui veut l’entendre qu’il « ont accepté toutes les conditions posées par les autorités algériennes ». Peugeot a lancé une offensive médiatique en Algérie pour tenter de faire avancer son projet. Pas moins de 100 000 véhicules de quatre modèles (Pick-up, 208, 301 et Citroën C-Elysée) devraient sortir à terme de l’usine qui doit employer plus de 1000 personnes et être installée également dans la région d’Oran. La production sera, dans une première étape de 25.000 véhicules avant d’être portée à 75.000 unités annuelles en 2020. Peugeot annonce de surcroit qu’il ne ramènerait pas moins de 7 équipementiers internationaux dans ses bagages. Une vingtaine de sous-traitants locaux seraient également prévus.
On connait donc les propositions de Peugeot mais pas les « conditions » de l’Algérie que M.Bouchouareb ne juge pas utile de porter à la connaissance de l’opinion nationale. Pourquoi tous ces mystères ? Le taux d’intégration réclamé à terme par les autorités algériennes n’est manifestement pas en cause. S’agirait-il d’une question d’actionnariat ? Deux partenaires privés algériens, parmi lesquels figure le groupe Condor, sont associés au projet de Peugeot en Algérie. Ils restent à l’heure actuelle remarquablement discrets sur l’évolution de ce dossier bien qu’ils en soient les actionnaires majoritaires au terme de la loi algérienne.