Dans cette contribution, le professeur Abderrahmane Mebtoul, dresse un état des lieux du groupe Sonelgaz avec une dette intenable et des contraintes majeures (gel des tarifs, créances impayées…). Il constate que les solutions lui échappent car elles relèvent du politique.
Le 30 aout 2017 a été installé le nouveau PDG de Sonelgaz. Tenu d’assurer la continuité du service public et la couverture de la demande, Sonelgaz devra consentir d’importants investissements. La mobilisation des financements risque d’être un exercice on ne peut plus compliqué dans un contexte de contraction des ressources.
Avec la baisse des recettes en devises provenant directement et indirectement des hydrocarbures à 97/98%, la rigueur budgétaire à tous les secteurs, face à une situation de déficit structurel dû en grande partie à une politique des prix qui lui échappe en grande partie, quelle sera la marge de manœuvre de l’actuelle direction de Sonelgaz ?
Une restructuration, pourquoi?
-Selon l’APS, en date du 12 février 2017, Sonelgaz a procédé à une nouvelle restructuration. Annoncée en 2015, cette restructuration avait un but de rationalisation avec une réduction de ses filiales à 16 sociétés dont la Holding Sonelgaz assurera le contrôle direct. L
La nouvelle organisation répondait ainsi à la nécessité d’une plus grande performance et efficience du management en matière de conduite des projets, de génération de revenus et de valeur ajoutée avec un minimum d’investissement.
Cette reconfiguration a permis de ramener le nombre d’opérateurs activant dans le métier de production d’électricité à six (6) sociétés en comptant SPE (société de production d’électricité), SKTM (Shariket Kahraba oua Takat Moutadjadida), SKH (Sharikat kahraba Hadjret Ennous), SPP1 (Hybride gaz-solaire de Hassi R’Mel) et Karama (Production combinée d’électricité et de dessalement d’eau de mer d’Arzew).
En matière de distribution de l’électricité et de gaz, l’Assemblée générale a approuvé l’absorption des sociétés de distribution de l’électricité et du gaz de l’Est (SDE) et de l’Ouest (SDO) par la Société de distribution de l’électricité et du gaz du Centre (SDC) à laquelle seront cédées les actions détenues par Sonelgaz dans la Société de distribution d’Alger (SDA).
Avec cette configuration, on se retrouve avec une (1) seule société activant dans le métier de distribution de l’électricité et du gaz avec SDA comme filiale.
Pour les activités industrielles, de prestations de service et de sûreté interne, l’Assemblée générale de Sonelgaz a approuvé le maintien en l’état des sociétés créées avant la restructuration de Sonelgaz avec transfert des actions qu’elle détient dans Ceeg, Mpv, Sopieg, Sat-info, Amc, Rouiba Eclairage, MEI, Transmex, Swat, Sat, Sar, Sah, aux sociétés des cœurs-métiers à savoir SPE, GRTE, GRTG, SKTM et la Société de distribution de l’électricité et du gaz SDC.
Cette restructuration avait été déjà annoncée en 2015 par la DG Sonelgaz pour qui «la conjoncture actuelle marquée par une réduction drastique des revenus de l’Etat exige de trouver des réponses pérennes à la question de la disponibilité financière».
Une mission qui devra s’appuyer sur plusieurs axes.
Premièrement : revoir l’organisation du groupe afin de recentrer sa mission, de réaffirmer les responsabilités, de consolider et renforcer l’encadrement. Deuxièmement : choisir les actions à même de générer des plus-values avec le minimum d’investissements. Troisièmement : amorcer un exercice « d’évaluation systématique, continu et responsable» des actions du groupe. Quatrièmement : une nouvelle restructuration pour défaire des filialisations coûteuses et de regrouper les activités afin de bénéficier d’économies d’échelle.
Cinquièmement : , une nouvelle réforme de la loi sur l’électricité et le gaz datant de 2002 afin de permettre de réévaluer le rôle du régulateur, à savoir la CREG. Celle-ci ne s’est pas, pour l’heure, totalement appropriée ses missions, notamment en ce qui concerne le volet lié à la gestion des appels d’offres pour la réalisation de centrales électriques.
Une situation financière intenable
La situation financière négative de Sonelgaz est devenue intenable. Sans endettement extérieur, elle doit forcément recourir annuellement au Trésor via la rente des hydrocarbures.
Lors de l’installation du nouveau PDG de Sonelgaz le 30 aout 2017, il a été mis en relief que les dettes estimées en 2015 à 86 milliards de dinars sont aujourd’hui, de l’ordre de 56 milliards de dinars». Même si l’on enregistre une baisse, la situation reste intenable.
Pourquoi cette situation négative ? Lors d’un Forum à El Moudjahid, l’ex ministre de l‘Énergie, a déclaré officiellement que le groupe Sonelgaz, a besoin de plus de 5000 milliards de dinars, soit au cours actuel plus de 45 milliards de dollars, pour investir à l’horizon 2025 dans des projets hors énergies renouvelables.
Cela donnerait un montant supérieur à 80/100 milliards de dollars avec les énergies renouvelables pour les objectifs prévus 2030 couvrant 40% de la consommation locale. Ainsi, le niveau d’investissement annuel dont a besoin le groupe se trouve bien au-dessus de ses revenus.
Le gel des tarifs et les créances impayées
Il faut rappeler les causes essentielles des difficultés financières de Sonelgaz.
Un : Le gel des tarifs génère un déficit de trésorerie Les déficits les plus importants sont générés par les sociétés de distribution de l’électricité et du gaz en raison de la faiblesse de leurs revenus comparée à l’importance de leurs charges..
Même si les rapports de Sonelgaz ne le disent pas ouvertement, ils suggèrent, d’une façon à peine voilée, une augmentation des tarifs ou alors le gouvernement doit mettre la main à la poche.
L’augmentation souhaitable des tarifs selon le rapport Sonelgaz devrait être de 11% par an pour pouvoir financer les investissements de Sonelgaz induits par l’augmentation de la capacité de production.
Sonelgaz propose de procéder par étapes en augmentant, dans un premier temps, la tarification pour les gros consommateurs ce qui induira une hausse des prix des produits et par là l’inflation.
Toujours selon le rapport de Sonelgaz, les besoins en gaz de Sonelgaz pour la seule génération électrique sont passés de 12 milliards de mètres cubes en 2000 à 27 milliards en 2014. Ils pourraient bien dépasser les 60 milliards de m3 à l’horizon 2030 et les100 milliards vers 2040.
Deux – Le groupe peine à recouvrer ses créances qui dont la moitié est à l’actif des entreprises publiques, 20 % à l’actif des entreprises économiques, et 30 % ont été générés par des clients physiques.
Parmi les plus importantes, le précompte TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et le préfinancement des programmes publics. A cet effet, le groupe Sonelgaz compte solliciter une nouvelle fois les pouvoirs publics pour le règlement définitif du dossier d’assainissement financier et pour la mise en œuvre effective du statut fiscal spécifique à ses sociétés
Ces dossiers des créances impayées ont constitué des facteurs aggravants qui ont maintenu la situation financière du groupe dans un déficit structurel. Pour certains responsables des sociétés de distribution, il est impossible de couper l’électricité à certaines institutions, notamment les écoles ou les hôpitaux.
Des pertes de près de 20% à cause des branchements anarchiques
Trois – Avec des branchements anarchiques, le taux de pertes de l’électricité a été 19,52% pour 2016. Sonelgaz, perdant annuellement plus de 10 milliards de dinars à cause de la fraude.
L’électricité et le gaz sont des éléments fondamentaux tant au développement économique que pour les citoyens et donc un segment engageant la sécurité nationale. Selon Sonelgaz plus deux millions de consommateurs utilisent l’énergie, pour la seule année 2017, les besoins en énergie ont augmenté de 11%.
Il faut rappeler que le plus grand gisement d’économie d’énergie concerne l’efficacité énergétique touchant tous les secteurs industrie-agriculture BTPH (il est aberrant de construire selon les anciennes techniques et avec d’anciens matériaux de construction, très consommateurs d’énergie), les administrations. Il réside également dans un nouveau comportement des consommateurs
La question centrale du modèle de consommation énergétique
Inévitablement se pose la question stratégique du modèle de consommation énergétique pour l’Algérie horizon 2025/2030 qui n’est pas encore élabore. Or, dans 16 ans, le pays aura épuisé son pétrole et son gaz et il devra tenir compte des mutations énergétiques mondiales avec un nouveau profil de croissance.
Encouragée par les subventions généralisées, la forte consommation intérieure, représentera selon la CREG horizon 2030 l’équivaillent des exportations actuelles qui peinent à atteindre 55 milliards de mètres cubes gazeux.
Pour les énergies renouvelables, il a été signalé que 500 mW en énergies renouvelables sont déjà sur le réseau et que la production de 4.000 mW est en préparation avec une intégration locale importante. Il faut signaler qu’il y a matière à débat car il n’existe pas d’unanimité des experts au sujet du choix à faire entre le thermique et le photovoltaïque.
Ce n’est qu’à travers un changement notable de la politique énergétique, que l’Algérie arrivera à construire un environnement adéquat pour produire 30 à 40% de son énergie à partir de sources renouvelables à l’horizon 2030.
Pourtant, avec un ensoleillement annuel moyen évalué à 2 000 heures et un territoire composé à 86% de désert saharien, la puissance solaire de l’Algérie est estimée à environ 1700 KWh/m²/an dans le nord du pays et 2 650 KWh/m²/an dans le sud. Cela correspond à une capacité électrique huit fois supérieure aux réserves de gaz naturel du pays.
Selon le ministère de l’Energie, l’objectif est de disposer à l’horizon 2030, d’une puissance installée totale de 22 000 MW, dont 13 575 MW de solaire photovoltaïque et 2 000 MW de solaire thermique.
Cependant, il existe des contraintes de financement, de rentabilité, bien que le coût mondial ait baissé de plus de moitié.
Tout dépend de la future stratégie énergétique mondiale des firmes qui doivent produire à grande échelle pour réduire encore les coûts. A cela s’ajoutent les pesanteurs politiques en Algérie où Sonelgaz ne fixe pas le prix de l’électricité et ne peux décider seule de ses investissements et ne dispose pas de marge de gestion.
C’est que la décision finale relève surtout du politique et notamment du Conseil national de l’énergie (CNE), seul habilité à définir les choix stratégiques.
Nous l’avons préconisé depuis 2007, il faut une gestion transparente de Sonelgaz mais aussi des autres entreprises dont Sonatrach. Il faut appliquer progressivement le tarif du marché et pendant une période transitoire ne dépassant pas deux à trois ans d’appliquer un prix différencié en distinguant les gros consommateurs des petits consommateurs. Cela doit s’appliquer également aux carburants.
Dans un audit réalisé sous ma direction avec l’assistancedes cadres du Ministère de l’Énergie, des dirigeants de Sonatrach et du bureau international Ernest Young sur le prix des carburants au sein d’un modèle concurrentiel (10 volumes Ministère Energie 2007/2008), il a été préconisé la mise en place d’une chambre nationale de compensation. Elle sera chargée d’un système de péréquation intra -secteurs , intra- socioprofessionnelle et intra- régional afin de soutenir les segments à valeur ajoutée et protéger le pouvoir d’achat des citoyens.
Toute subvention devra être budgétisée au niveau du parlement et le montant structuré inscrit clairement dans la loi de finances annuelle.
(*)Professeur des universités, expert international
NB-Dr Abdrrahmane MEBTOUL a été ancien directeur des études au Ministère de l’Energie de 1974/1979- 1990/1995-200/2007