Les mesures tant de l’obligation de paiement par chèques que de l’invitation naïve de déposer l’argent de la sphère informelle au niveau des banques algériennes, ont ignoré le fonctionnement de la société algérienne, d’où les résultats mitigés pour ne pas dire échec.
Qu’en sera t-il de la nouvelle opération de l’emprunt obligataire qui sera lancé le 17 avril 2016 pour une période de souscription de six (6) mois, à titre nominatif ou au porteur (anonyme), les obligations étant librement négociables, pouvant être revendues à des personnes physiques ou morales. Ces obligations auront une valeur de 50 000 dinars et pourront être souscrites auprès de la Trésorerie Centrale, la Trésorerie Principale, les Trésoreries de Wilaya, les Recettes d’Algérie Poste ainsi que les agences bancaires, et les succursales de la Banque d’Algérie. Les futures obligations associées à l’emprunt national comporteront 2 échéances à 3 ans et à 5 ans avec respectivement des taux d’intérêt de 5 et 5,75 %. Les intérêts perçus au titre de cet emprunt sont exonérés d’impôts, et les montants sont payables à la date anniversaire de la souscription du titre. A l’échéance de la durée du titre, c’est le porteur de la quittance qui récupérera le montant dû et le remboursement par anticipation des titres souscrits est possible, mais un souscripteur ne peut demander ce remboursement qu’après écoulement de la moitié de la durée globale du titre et après avis du Directeur général du Trésor. Je recense huit conditions pour sa réussite.
Premièrement, éviter l’illusion de croire que la réussite de cet emprunt sera l’œuvre d’entrepreneurs privés localisées dans la sphère réelle qui dans leur majorité sont endettées vis-à-vis des banques. devant concerner uniquement les entrepreneurs privés qui n’ont pas de découvert vis à vis des banques, certains pouvant jouer sur la distorsion taux d’intérêt banques/taux de l’ emprunt se livrant à des actes spéculatifs. Le tissu économique est constitué selon l’ONS par 83% de petits commerce/services, plus de 97% sont des entreprises personnelles ou SARL. Le secteur industriel représente 5% du produit intérieur brut et sur ces 5%, plus de 97% sont des PMI/PME peu initiées au management stratégique et à la concurrence internationale, souvent endettés vis à vis des banques et même les grands entrepreneurs se livrent à des emprunts importants tant pour leurs investissements que pour leur exploitation. Les plus grosses fortunes en Algérie ne sont pas forcément dans la sphère réelle mais au niveau de la sphère informelle notamment marchande avec une intermédiation informelle à des taux d’usure. Ici existe des données contradictoires, le Premier ministre annonçant pour 2014, 37 milliards de dollars et le nouveau ministre des Finances dans plusieurs déclarations publiques avant sa nomination entre 40/50 milliards de dollars. Selon Deborah Harold, enseignante américaine de sciences politiques à l’université de Philadelphie et spécialiste de l’Algérie, se basant sur des données de la banque d’Algérie, l’économie informelle brasserait 40/50 % de la masse monétaire en circulation soit 62,5 milliards de dollars soit plus de deux à trois fois le chiffre d’affaires de toutes les grandes entreprises du FCE réunies. Ces données sont corroborées par un document du Ministère du commerce algérien de 2012 pour qui existeraient 12.000 sociétés écrans avec une transaction qui avoisinerait 51 milliards d’euros au cours de 2012 soit 66 milliards de dollars au cours de l’époque. Cette sphère contrôle au niveau de la sphère réelle 65% des segments des produits de première nécessité : fruit/légumes, marché du poisson, marché de la viande blanche/rouge et à travers des importations informels le textile/cuir, avec une concentration du capital au profit de quelques monopoleurs informels. Cette sphère liée à la logique rentière tisse des liens dialectiques avec des segments du pouvoir expliquant qu’il est plus facile d’importer que de produire localement.
Deuxièmement, rétablir la confiance supposant un Etat de Droit et une bonne gouvernance. en l’Etat. On n’impose pas par la contrainte des mesures, mais de rétablir la confiance sans laquelle aucun développement n’est possible. Lorsqu’un Etat veut imposer des règles qui ne correspondent pas au fonctionnement réel de la société, celle –ci enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner qui ne sont pas celles codifiées par l’Etat, beaucoup plus solides car le contrat reposant sur la confiance entre l’offreur et le demandeur ( voir étude Institut Français des Relations Internationales IFRI décembre 2013 du professeur Abderrahmane Mebtoul sur la sphère informelle au Maghreb ). Il s’agit d éviter les erreurs des décrets de 2005 et 2011 d’imposer le chèque qui n’ont jamais vu le jour, de séparer la fonction bancaire du contrôle fiscal qui ne devra se faire qu’après une exécution judiciaire (cas de recyclage de l’argent de la drogue par exemple) pour la vérification des comptes, les contrôleurs fiscaux ou services de sécurité n’ayant pas à s’immiscer dans la gestion bancaire normale. L’insertion de la sphère informelle au sein de la sphère réelle implique la refonte du système financier, la dynamisation de la bourse des valeurs, et la délivrance des titres de propriétés (réactualisation et informatisation du cadastre) qui auront un impact important sur les rentrées fiscales futures.
Troisièmement, le taux d’intérêts doit être supérieur au taux d’inflation, réel et non fictif corrigé par les prix des produits subventionnés. Sinon les ménages se réfugieront dans l’achat de devises fortes, de l’or ou de l’immobilier afin de préserver le pouvoir d’achat de leur épargne. Car c’est faire œuvre d’infantilité d’invoquer le nationalisme économique. Ce qui est enseigné en première année d’économie, tout entrepreneur qu’il soit chinois, américain, européen, algérien ou arabe est mu par la seule logique du profit. Comme tout consommateur est rationnel et se prémunit contre la détérioration de son pouvoir d’achat. L’économie de marché ne signifie pas anarchie mais un rôle stratégique à l’Etat régulateur chargé comme un chef d’orchestre, de concilier les coûts sociaux et les coûts privés.
Quatrièmement, il y a lieu d’éviter le dérapage accéléré du dinar qui a indirectement un impact à la fois sur l’inflation importée, renforçant la méfiance en la monnaie et donc les coûts de production des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% et sur le pouvoir d’achat des ménages dont les besoins dépendent à 70% de l’extérieur, un dinar dévalué de 30% du fait des taxes fiscales arrivant aux consommateurs avec une augmentation de plus de 50%.
Cinquièmement, pour que cet emprunt éventuellement se transforme en investissement, cela ne doit pas concerner les entreprises publiques souvent endettés vis à des banques (plus de 60 milliards de dollars d’assainissement entre 1971/2014 et 70% sont revenues à la case de départ) ou les banques publiques qui sont souvent recapitalisées par l’Etat mais les citoyens et les opérateurs privés tant dans la sphère réelle que dans la sphère informelle. Il ne doit pas concerner le financement de rémunérations improductives et des activités rentières (idem pour l’emprunt extérieur). Il s’agira pour dynamiser l’investissement à moyen et long terme d’éviter l’illusion de l’ère mécanique des années 1970. L’on devra synchroniser la sphère financière avec la sphère réelle et prendre en compte les nouvelles mutations mondiales à l’approche de la quatrième révolution industrielle. Sous réserves d’objectifs stratégiques précis, il est souhaitable un grand ministère de l’économie pour éviter les dysfonctionnements ainsi que le primat de l’économie de la connaissance d’où aussi l’importance d’un grand ministère de l’éducation nationale et de la recherche scientifique.
Sixièmement, cet emprunt doit s’inscrire dans le cadre d’une plus grande rigueur budgétaire, évitant de dépenser sans compter et une moralité sans faille de ceux qui dirigent la Cité. Comment demander aux algériens de souscrire des emprunts alors que certains font fuir leurs capitaux. En effet, l’emprunt obligataire de l’Etat, comme je l’ai suggéré au gouvernement plus de trois ans est une dette garantie par l’Etat mais supportée par les générations futures. La question qui se pose la suivante suscitant la méfiance : face à l’importance du déficit budgétaire, cet emprunt concerne les dinars en circulation n’a t-il pas pour but de combler le déficit budgétaire en cas d’épuisement du fonds de régulation des recettes prévu au rythme de la dépense actuelle courant 2017, au vu du déficit important de la loi de finances 2016 ?
Septièmement, éviter l’illusion monétaire, inefficace sans réformes structurelles. Dans une économie productive, toute dévaluation du dinar aurait dû entraîner une dynamisation des exportations hors hydrocarbures. Or le cours du dinar est passé de 5 dinars un dollar en 1970 à plus de 107 dinars un dollar en 2015/2016 et l’Algérie est toujours mono –exportatrice 97% d’hydrocarbures avec les dérivées et le secteur privé représente moins de 1% des exportations totales montrant que le blocage est d’ordre systémique.
Huitièmement, des autres actions, avoir une véritable stratégie tenant compte tant des mutations internes que des mutations mondiales, en ce monde instable et en perpétuel changement. Il ne faut pas se tromper de stratégie par des mesures conjoncturelles de court terme. L’essentiel pour l’insertion de la sphère informelle au sein de la sphère réelle implique avant tout d’abord d’avoir une vision cohérente et transparente de la politique socio-économique, tout changement dans l’arsenal juridique ayant un impact négatif sur ceux qui investissement à moyen et long terme, renvoyant à l’Etat de Droit et à la bonne gouvernance. L’Algérie recèle de nombreux entrepreneurs dynamiques tant dans la sphère réelle qu’informelle, ces derniers acquis à la logique de l’économie de marché qu’il s‘agit d’introduire dans la sphère réelle et non par des mesures administratives autoritaires. Cela implique une vision stratégique, de nouveaux mécanismes économiques de régulation et libérer les énergies créatrices passant par le développement des Libertés au sens large. Le véritable nationalisme à l’avenir face à la baisse des recettes de Sonatrach qui peut conduire à l’épuisement du fonds de régulation des recettes courant 2017 et le pays à une cessation de paiement horizon 2019/2020, en cas de non changement de la trajectoire socio-économique.
En résumé, ci ces huit conditions ne sont pas remplies, je doute du succès de cet emprunt. D’où un langage de vérité pour de profondes réformes structurelles, évitant de diaboliser le privé national et international pour des intérêts idéologiques, le véritable nationalisme se mesurant par la contribution de tous les Algériens, sans exclusive, à la valeur ajoutée locale et mondial pour dynamiser les sections exportatrices hors hydrocarbures .
Paris le 12 avril 2013
*Professeur des Universités, Expert International
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