Le chiffre de 530 millions de dollars d’importation de véhicules par les particuliers en 5 mois en 2017 a interpellé par son invraisemblance. L’expert Ferhat Ait Ali s’est penché sur les détails. L’erreur est astronomique.
Le nouveau ministre du Commerce, si on en croit la presse, aurait déclaré que les importations de véhicules ont été faites durant les 5 premiers mois de 2017, par des particuliers, avec des licences d’importation en franchise de droits et taxes des moudjahidines, et ce, pour le montant de 530 millions de dollars, qui toujours selon la presse, auraient été acquis avec les devises des particuliers et pas avec « celles de l’Etat »
Une telle accumulation d’affirmations aussi curieuses du point de vue de la sémantique que de la logique économique la plus élémentaire, a bien sûr de quoi réveiller la curiosité de quiconque au fait des flux économiques du pays, et des avantages consentis au titre du budget de l’Etat aux moudjahidines, en matière d’exonérations pour les véhicules.
Et appelle les mises au point suivantes :
La notion de devises de l’Etat et des particuliers est une novation typiquement algérienne, et échappe à toute logique économique. Il existe des devises, accessibles par le truchement du change commercial et sont disponibles moyennant conversion de la contrepartie en dinars par une banque commerciale, pour quiconque justifiant d’une activité liée au commerce extérieur ou d’une nécessité de s’équiper à des fins d’investissement productif, de l’étranger.
Ce n’est donc pas les devises de l’Etat, mais de la Nation, qui peut en disposer théoriquement pour ses besoins moyennant l’abandon à la banque de ses détentions en dinars, à des fins commerciales, selon la réglementation en vigueur, mais normalement à toute fin utile, si le dinar était effectivement perçu par les autorités comme une monnaie normale, dont la valeur dépend d’une quelconque productivité et non justement de ces uniques devises, mais là est un autre débat.
Les devises, de l’Etat, se limitent à ce que lui-même peut convertir à sa guise et selon ses détentions en dinars, constituées essentiellement de sa fiscalité pétrolière cumulée, après soustraction de ses dépenses locales en dinars, et de ses déficits devenus chroniques.
Présentement en matière de moyens de paiements, les devises de l’Etat, équivalent dans l’absolu à zéro, et il n’importe d’ailleurs plus que des armes, des services pour ses administrations et certains équipements de plus en plus rares directement.
Quant aux devises des particuliers, ceci est une autre novation algérienne, dont il n y a pas lieu de se prévaloir, ces devises qui moyennant une autre législation de change auraient rejoint les autres dans les comptes bancaires au change officiel, ou peut être même jamais quitté les banques par la voie des surfacturations, ne sont pas celles des particuliers, mais celles d’un marché qu’une législation boiteuse a créé, tout en le considérant délictuel et en le tolérant en même temps. Elles sont de ce fait plus particulières en matière de statut que de particuliers théoriquement non détenteurs de ces sommes légalement.
Il n y de ce fait pas lieu de se vanter, d’avoir rendu la norme universelle anormale et normalisé ce qui est anormal partout ailleurs.
L’importation avec les licences des moudjahidines
Le Ministère des moudjahidines, attribue chaque année une certaine quantité de licences qui vont directement à l’achat de véhicules de marque et assez coûteux, même si une limite de cylindrée et de chevaux est établie comme plafond.
Il est assez rare qu’un attributaire de licence, en profite lui-même dans les faits, les seuls pouvant le faire, ayant en général les moyens de s’acheter de grosse cylindrées bourrée d’options pour engranger le maximum d’économie de droits et taxes sur les véhicules importés par cette procédure.
Or, les véhicules d’une certaine cylindrée et les tous-terrains, sont soumis en plus des taxes habituelles de 15 % et 19% de TVA, réduites à 5% pour les véhicules d’origine européenne, sont aussi soumis à la TSA, pour certains modèles.
Et une exonération portant sur un montant de 530 millions de dollars en cinq mois, entraine au bas mot, une perte de l’ordre de 130 millions de dollars soit 15 milliards de dinars pour le trésor au titre des recettes douanières, et probablement plus pour les véhicules d’origine autre que l’UE, même achetés en Europe.
Et je doute fort que le gouvernement soit en mesure d’octroyer des franchises à hauteur de 300 millions de dollars, soit 33 milliards de centimes sous cette dèche, même au libérateurs vrais ou supposés du pays, qui vendront pour la plupart les licences au préparateur de la prochaine déchéance, parmi les contrebandiers, qui ne veulent payer leur dime ni en amont ni en aval, d’un pays qui leur fournit tout sans rien en retour.
On peut de ce fait conclure que le gouvernement, n’a jamais établi des licences en contrepartie d’un pareil montant d’importations de véhicules, ni encore moins pour quelque chose comme 20.000 véhicules si on compte une moyenne de 25000 dollars par véhicule, ce que le gouvernement n’a jamais fait durant les années fastes.
Mais, il existe une preuve qui pouvait me dispenser de cette dissertation, destinée aux fonctionnaires qui en plus de la rétention de données font dans l’enfumage de leurs supérieurs et de la population par leur truchement.
Les statistiques douanières au 31 mai 2017, parlent des chiffres suivants :
Importations de véhicules du chapitre 8703 ( Véhicules Touristiques)
Montants : 530 804 597,41 USD et 58 244 339 187,00 DZD.
Nombre d’opérations de passage en douane : 342
Et sur ces 342 operations, nous trouvons les opérations suivantes, concernant les fameuses collections SKD de nos constructeurs boulonneurs locaux pour les chiffres suivants :
Importations de véhicules du chapitre 8703 famille 870322-32-33 (Collections SKD/CKD)
Montants : 369 309 632,50 USD et 40 523 755 079,00 DZD.
Nombre d’opérations de passage en douane : 60
Il ne reste de ce fait, pour les véhicules de transport de personnes de moins de 10 passagers chauffeur inclus, importés dans le cadre du 8703 entiers et prêts à l’emploi que : 17 720 584 108,00 de dinars ou 161 494 964,91 USD regroupant tous les autres sous-positions, dont les importations des particuliers bien sûr.
Or, les importations de véhicules par des particuliers, notamment avec licence de moudjahidines, ont ceci de particulier, qu’elles ne peuvent être déclarées par lots, mais par unités au nom du détenteur de la licence, lui-même, et pour pas plus d’un véhicule tous les cinq ans.
Et il se trouve que les données des douanes, donnent les chiffres suivants pour les opérations portant sur un seul véhicule par déclaration entre le mois de janvier et celui de mai2017 :
Nombre d’opérations portant sur des véhicules touristiques acquis à l’unité : 85 ; dont 73 touristiques, 1 véhicule blindé, 02 véhicules pour handicapés avec guidon et 9 ambulances.
Pour un montant global pour les véhicules acquis par des particuliers à usage personnel, de : 3 067 212,26 USD et de 336 560 294,00 DZD. Soit trente six milliards de centimes en tout et pour tout, acheté avec les devises qui ne sont pas à l’Etat si on s’en tient aux propos du ministre relatés dans la presse.
Le total des opérations faites à l’unité, est de l’ordre de 5.472.000 dollars, dont 1.242.643 dollars, rien que pour le véhicule Blindé, qui a couté 140 millions de dinars à son propriétaire, qu’il n’a probablement pas acheté au square, ni sous le régime des licences des moudjahidines
Ces données douanières sont consultables par les cadres du ministère du Commerce qui ont fourni ces curieux renseignements au ministre, et disponible chez les douanes algériennes pour vérification, opération par opération.
Ces chiffres prouvent, que le montant de 530 millions de dollars a été acquis à hauteur de 527 millions par les devises converties par les banques et non celles achetées au square port Saïd ou ailleurs.
Le ministre, nouveau au poste, a pris pour argent comptant les dires de ses subalternes chargés du dossier, ou essayé lui-même de lancer une fausse piste, pour des raisons qui lui sont propres, mais il est fort possible que la première option soit la plus réaliste.
Nos ministères sont peuplés d’une variété de cadres supérieurs férus de promotions et de FSR, mais dotés d’une roublardise, qui transformée en compétence, aurait fait de nous une puissance mondiale.
Malheureusement, dans le pack roublardise et courtisanerie, il n’est pas prévu plus de compétence que de prudence, éteinte par cette tendance à prendre le reste du monde pour ce qu’il n’est pas, par nos bureaucrates.
Une erreur qui décrédibilise la gouvernance algérienne
Le danger de ce genre d’annonce, n’est pas uniquement dans la révélation du genre de cadres qui tiennent notre destin économique entre leurs mains, ou dans les crédits politiques accordés à un ministre ou un autre chez nous, mais dans les effets pervers de ces déclarations sur notre perception par le monde de l’économie, et notre notation sur le plan des garanties financières qui reposent aussi sur ça, et pas uniquement sur des chiffres fournis en vrac par nos administrations et que les autres savent disséquer.
A l’avenir, il nous sera difficile de trouver des bailleurs ou des partenaires, prêts à s’engager avec un gouvernement, dont les ministres font ce genre d’annonces et d’approximations. D’où l’urgence d’une mise au pas de cette administration, par un nettoyage en règle, avant même les phénomènes de foire devenus investisseurs et opérateurs, qui sans cette forme d’administration n’auraient jamais vu le jour.
Je pense qu’il serait vain d’attendre que sous la pression de la situation des personnes formatées à ce genre d’esbroufes et d’enfumage de leurs vis-à-vis se repentent, et se sentent concernés par le destin national, et leur demander de se refaire eux même, est une autre tromperie pire que la leur.
Mais choisir aussi des ministres pour des secteurs liés directement à l’international et à l’économie du pays ou ce qui en tient lieu, parmi des cadres n’ayant aucune relation avec le secteur, ou ayant exercé dans une administration elle-même rompue au discours en guise de bilan, est une erreur qui se paiera cher un jour ou l’autre.
Et accepter un poste, pour lequel on n’est pas destiné de par sa formation, est aussi grave que d’enguirlander un ministre dont on pressent l’absence totale de maitrise de son sujet. Quelque part, tout le monde est dans la même galère et rame à contre courant, du sauvetage de ce qui reste.
(*) Ferhat Ait Ali, expert financier