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Algérie : L’étau se resserre autour de l’affairisme « toléré » de Abdeslam Bouchouareb (analyse)

Par Yazid Ferhat
mars 31, 2017
Algérie : L’étau se resserre autour de l’affairisme « toléré » de Abdeslam Bouchouareb  (analyse)

L’affaire Tahkout a brutalement réduit le seuil de tolérance de la gestion privative de l’investissement industriel par le ministre qui en a la charge.

 

Tous les regards se sont tournés, en pleine tempête Tahkout la semaine dernière, vers le ministre de l’industrie et des mines. Abdeslam Bouchouareb  a porté à bout de bras l’entrée en industrie de l’importateur multimarques de voitures. Il a intervenu directement auprès des Coréens pour finir d’écarter le distributeur de la marque Hyundai en Algérie, Cevital,  déjà en difficulté pour obtenir de son partenaire de 20 ans, un modèle d’investissement plus conforme à ses ambitions régionales.   Il n’a pas exigé l’entrée de Hyundai dans le capital de TMC (Tahkout Motors Compagny) comme dans le cas de Renault à Oran ou de Volkswagen aux côtés de Sovac à Relizane. Il a libéré en un temps éclair, à Tiaret, une friche industrielle du secteur public économique au profit de TMC, et il a élaboré un cahier des charges poreux sur l’assemblage automobile en Algérie qui n’exige, en termes d’intégration, à peu près rien de l’activité d’assemblage durant les deux premières années de son lancement. En langage simple Abdeslam Bouchouareb a permis à Mahieddine Tahkout de s’emparer de la part de marché de Hyundai Algérie en continuant d’importer en hors quota, et avec des exonérations fiscales, les véhicules de cette marque en Algérie. Pour sa défense, le ministre de l’industrie et des mines peut soutenir qu’il est en charge de promouvoir l’investissement local et qu’il est dans son rôle de facilitateur pour amener un importateur à devenir producteur local créateur d’emplois. Il pourrait même ajouter qu’il ne faut pas s’arrêter au chaos des débuts de TMC à Tiaret, illustré dans un « reportage » de Algérie Focus censé défendre l’investisseur, et évaluer ce projet dans la durée.

Le choix régalien du co-actionnaire algérien

Les réserves à ce plaidoyer de la défense sont multiples. D’abord, il y’a chez Abdeslam Bouchouareb un tropisme avéré en faveur de « l’industrialisation » de Tahkout, puisque, avant tout retour d’expérience à Tiaret, les mêmes « facilitations » ont été accordées à l’homme d’affaires de l’est algérois, à Saida pour l’assemblage de la marque Suzuki. Probablement sur le modèle  intégrateur « de repris de justice et de chômeurs » selon l’aveu reconnaissant d’un des employés de Tiaret face caméra (Algérie Focus). Ensuite, il existe de nombreux candidats à l’investissement dans l’assemblage automobile qui restent sur le grill en bas de l’immeuble Colisée (siège du ministère de l’industrie).  Le plus illustre d’entre eux est bien sûr Peugeot. Un article de  Maghreb Emergent est venu rappeler bien à propos cette semaine que si la partie française est complètement transparente sur son projet industriel à Oran (taille initiale, lignes de produits, plan d’intégration, actionnariat et politique commerciale), la partie algérienne n’a jamais dit quel était le point d’achoppement qui fait que ce projet n’a toujours pas été lancé, plus de deux ans après l’accord de Peugeot pour venir produire des voitures en Algérie. Selon deux sources qui se sont déliées depuis l’affaire Tahkout, le blocage viendrait du choix des co-actionnaires de Peugeot en Algérie. Une désignation régalienne que Abdeslam Bouchouareb utilise d’une manière discriminante plus que suspecte. Elle a épaissi sa réputation, bien établie avant son retour au gouvernement,  d’affairisme débridé et dont les événements de ces dernières semaines restituent les émanations devenues impossibles à contenir.

Un scénario Tunisien Trabesli « fade »

Le premier ministre Abdelmalek Sellal a fini  par prendre la mesure du risque Bouchouareb et de sa privatisation de la gestion des investissements  industriels dans une phase ou le pays a besoin de faire décoller sa production hors hydrocarbures. Il en est né il y a moins d’un mois à Annaba, en marge de la tripartite, une commission interministérielle de suivi des investissements.  La défiance envers le département de Abdeslam Bouchouareb n’est même plus maquillée. En fait, la distorsion pro-Tahkout dans l’assemblage automobile a plusieurs petites sœurs dans les autres filières industrielles (agroalimentaires, sidérurgie, électronique, matériaux de construction, pharmacie, aluminium, ect…) .  Des projets bancables bloqués au CNI (Conseil national de l’investissement) au  profit d’autres qui ne voient pas le jour dans les délais qu’exige l’urgence de la conjoncture économique. Opportunités différées ou perdues parce que les « amis » ne sont pas prêts ou parce que les partenaires étrangers rechignent à se voir désigner leurs partenaires locaux pour le co-investissement. « Sociologiquement nous sommes dans un scénario fade de fin de vie du régime de Benali avec une captation des flux d’investissement par le cercle présidentiel et de sa famille au détriment de la dynamique de la croissance »  nous a affirmé un investisseur algérien en marge de la matinale de CARE de mercredi dernier. Le professeur Abdellatif Benachenhou venait d’y évoquer durant sa conférence, le syndrome « in shore » de la famille Benali pour expliquer, en partie, le collapse du « modèle tunisien » de l’ancien président Benali.  Pourquoi alors scénario fade ?  « Parce que nous n’avons pas les preuves que Bouchouareb travaille vraiment pour le clan présidentiel au sens large comme le faisaient les Trabelsi en Tunisie. En fait, il bloque les investisseurs qui pourraient déplaire en haut lieu, mais lorsqu’il s’agit d’aider un business, sa démarche est plus privative. Sellal s’en est accommodé jusqu’à un certain seuil. Cela a fini par décourager trop de monde et l’alarme est lancée ».  Elle sonne de manière stridente dans les directions de l’industrie des wilayas sommées par une  récente note du ministre de l’intérieur, de faire remonter les dossiers d’investissement traités vers la récente commission de suivi avant même les  premiers « arbitrages » de la tutelle, Abdeslam Bouchouareb.

Une note de risque dégradée, et pas plus ?

La crise des revenus extérieurs de l’Algérie due au contre choc pétrolier a d’abord été, depuis 2015, un accélérateur d’influence pour Abdeslam Bouchouareb au cœur de la politique de l’industrialisation par la substitution aux importations. Elle est devenue aujourd’hui son chant du cygne. Trop de retards, trop d’exclusions, trop de concussions. Et à la fin les images burlesques d’un chantage à l’emploi « déguisé » sur le site de TMC à Tiaret, un emploi évalué à 500 000 dollars en moyenne par poste et par an en balance devises dans une estimation de Ferhat Ait Ali l’expert et lanceur d’alertes. « Avec Bouchouareb dans la boucle de décision, ce à quoi nous allons aboutir avec cette commission de suivi des investissements risque d’être pire ; une neutralisation mutuelle des parties. » prévient l’investisseur présent à la matinale de CARE.

Dans un Etat de droit Abdeslam Bouchouareb ne devrait pas être ministre de la république. Il est détenteur d’intérêts cachés dans un paradis fiscal et ne l’a pas nié. Il aurait du démissionner pour préparer sa défense devant un tribunal indépendant car deux suspicions légitimes en évasion fiscale et en fausse déclaration de patrimoine pèsent sur lui depuis les révélations de Panama Papers. Mais nous sommes en Algérie, sous le quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika, et même le premier ministre Abdelmalek Sellal qui se charge aujourd’hui de « démonter » le système d’influence Bouchouareb, est  lui aussi rattrapé en 2016  par les affaires à travers sa fille,  détentrice, un peut trop tôt pour son âge, d’actifs masqués aux impôts de son pays de résidence (Panama Papers).  Cela signifie bien que si l’affaire Tahkout annonce une baisse de  la notation du risque Bouchouareb pour le système ; de risque moyen à risque dangereux ;  elle ne conduit pas automatiquement à sa fin de mission après les élections législatives. Les attelages politiques liés par l’affairisme détiennent rarement la clairvoyance de séparer à temps les mauvais cordages. Ils finissent par chavirer ensemble.

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