Le gouvernement a déjà essayé – et échoué – à deux reprises à imposer l’utilisation de moyens de paiement autre que le cash pour les transactions dépassant un certain montant. La troisième tentative sera-t-elle la bonne ? Réponse après juillet 2015 (*).
Annoncée deux fois, annulée à deux reprises, l’obligation de recourir au chèque pour le paiement des transactions commerciales d’un montant d’un million de dinars et plus est projetée, de nouveau, pour entrer en vigueur le 1er juillet prochain.
Le recours obligatoire au chèque comme antidote aux transactions par l’argent liquide mis dans des sacs poubelles noires, d’où le vocable de commerce « chkara », est déjà une vieille histoire.
Le gouvernement algérien avait déjà annoncé, en 2005, l’entrée en vigueur en septembre 2006 de l’obligation de recours au chèque (ou virement, carte de paiement, prélèvement, lettre de change, billet à ordre et tout autre paiement scriptural) pour les transactions de plus 50.000 dinars.
La mesure est officialisée dans le Journal Officiel de la République algérienne (JORA) par le décret exécutif n°05-442 du 14 novembre 2005 « fixant le seuil applicable aux paiements devant être effectués par les moyens de paiement à travers les circuits bancaires et financiers ».
Le seuil de 50.000 dinars était particulièrement bas dans un pays où l’informel est roi, laissant incrédules les observateurs ; le système de télé-compensation venait à peine d’être mis en place sans compter que le réseau bancaire était faible avec une agence pour près de 30.000 habitants.
Premier recul en 2006
Pourtant, en juillet 2006, le ministre des Finances de l’époque, Mourad Medelci, rappelait, sûr de lui, en réponse à une question à l’APN sur le blanchiment de l’argent, qu’à « partir de septembre 2006, les opérations commerciales, dont le montant sera supérieur à 50.000 dinars, se feront obligatoirement par chèques et virement bancaires ».
Il n’y a pas eu besoin de manœuvres de la part des « barons de l’informel », c’est le gouvernement lui-même qui prend acte du caractère inapplicable du décret. Et à la veille de l’entrée en vigueur officielle de la mesure, en septembre, il décide d’abroger le décret.
C’est Abdelaziz Belkhadem, alors chef du gouvernement, qui signe le 30 aout 2006, le décret exécutif n° 06-289, annonçant le renoncement du gouvernement à appliquer la mesure. La « chkara » venait, sans coup férir, de gagner la bataille contre le chèque par forfait du gouvernement.
Deuxième recul en 2011.
Comme pour signifier qu’il avait de la suite dans les idées, le gouvernement, dirigé par Ahmed Ouyahia, a repris le mot d’ordre de la guerre contre la « chkara » en se voulant plus réaliste.
Au lieu de 50.000 dinars, le seuil passe à 500.000 dinars et l’entrée en vigueur du recours obligatoire est fixée au 31 mars 2011. Le gouvernement était fermement décidé à « en finir » avec le sac plastique qui continue, encore aujourd’hui, un mode de règlement très prisé.
On connaît « l’histoire ». Janvier 2011, des émeutes touchent le pays, sur fond de hausse des prix. Le gouvernement accuse les grossistes de créer la pénurie et décide de reculer sur la mise en œuvre de l’obligation de recours aux chèques.
Le pouvoir des « grossistes »
Le 3 février 2011, dans un conseil des ministres particulièrement « généreux », destiné à éviter la contamination du « Printemps arabe », le président Bouteflika décide que l’application de l’obligation du recours au chèque sera « différée jusqu’à la réunion des conditions requises ». En clair, n’énervons pas les grossistes en leur imposant l’obligation du chèque dont ils ne veulent pas alors qu’ils contrôlent une très grande partie des circuits de distribution. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Daho Ould Kablia, s’est chargé de justifier le recul au nom du réalisme.
« La bataille de l’informel doit faire l’objet d’une stratégie du moyen et du long terme (…) On a essayé de le maîtriser il y a deux ans en imposant le chèque mais on a reculé car pour imposer le chèque, il faut avoir des structures qui répondent (…) Est-ce que c’est réalisable tout de suite ? Moi, je dis non. Ça viendra progressivement. »
Eternel « poisson d’avril » ?
Certains journaux avaient relevé que le gouvernement avait fait preuve d’un humour involontaire en décidant que l’obligation du recours au chèque devenait effective le 1er avril 2011. Comme s’il sacrifiait à l’usage du fameux poisson d’avril.
Selon le journal El Khabar, le gouvernement a décidé d’essayer d’appliquer la mesure, en portant le seuil à 1 million de dinars, à partir du 1er juillet 2015. Un nouveau test en perspective face à un secteur informel qui brasse, souligne El Khabar, selon des chiffres officieux, plus de 60 milliards de dinars.
En 2011, un responsable du RND, Seddik Chiheb, avait accusé « les spéculateurs et les lobbies d’intérêts » d’avoir fomenté les émeutes pour éviter l’obligation de passer par les circuits bancaires. L’explication a été plus ou moins reprise par le gouvernement qui, en reculant, reconnaissait ainsi la puissance des « barons de l’informel ».
La troisième annonce, qui n’est pas encore officielle, sera-t-elle la bonne ? Ou donnera-t-elle lieu à un nouveau recul devant le sac en plastique et « les spéculateurs et les lobbies » ?
(*) Cet article a été publié initialement sur le Huffington Post Algérie.