Le premier ministre, M.Abdelmalek Sellal, vient d’affirmer en substance que le gouvernement a pris toutes les mesures nécessaires pour faire face à la baise du prix du baril.
Les prix internationaux du pétrole ont chuté brutalement. Depuis le mois de juin dernier ils accusent désormais une diminution de près de 25 %. Cette baisse du prix du baril est appréciée diversement. Dans l’immédiat, les pays consommateurs, parmi lesquels figurent, on a tendance à l’oublier, la très grande majorité des pays en développement, respirent et voient d’un bon œil cette diminution providentielle de leur facture d’importation énergétique. Pour leur part, de nombreuses institutions, gouvernementales ou autres, qui réfléchissent à l’avenir de l’approvisionnement mondial en énergie, se préoccupent d’une baisse des prix qui risque de rendre encore plus problématique le financement des immenses besoins en investissements aussi bien dans les énergies fossiles que les énergies alternatives.
Des coûts de production en hausse sensible
Notre compatriote Ali Aissaoui, un ancien cadre du Ministère de l’énergie, actuellement consultant sénior au sein de l’APICORP – une agence de l’OPAEP spécialisée dans les investissements pétroliers dans la région arabe – nous apprend ainsi qu’un des grands sujets de préoccupation des investisseurs est lié au coût des projets d’investissements dans l’amont pétrolier ou gazier, qui aurait quasiment doublé ou triplé au cours des dix à quinze dernières années. Des analystes nationaux avaient déjà noté auparavant que l’immense programme d’investissement de Sonatrach (près de 100 Mds de $US) aboutirait au mieux à un surplus de 20% de production, alors que pour un investissement moindre dans les années 1990, la production nationale avait pu être doublée. Ces investissements, malgré leur coût croissant, resteront sans doute toujours rentables du point de vue économique. Mais, ce qui doit inquiéter en Algérie, c’est que cette inflation des coûts d’investissement va contribuer à éroder tendanciellement l’assiette réelle qui sert de base à la fiscalité des hydrocarbures et donc aux revenus futurs de l’Etat. L’augmentation du coût de production réduit d’autant la rente dont vivent aujourd’hui les algériens et renforce chaque jour l’urgence de la diversification de l’économie.
La pression fiscale en hausse
Cette évolution est d’autant plus critique qu’elle est masquée aux yeux de nos gouvernants qui, faute de vision économique, n’ont d’yeux que pour le niveau nominal des exportations d’hydrocarbures. Et cela se vérifie dramatiquement si l’on observe comment, pour faire face à un besoin de dépenses qui croissait à un rythme rapide, leur réaction a consisté depuis près d’une décennie à accentuer la pression fiscale sur le secteur pétrolier, afin d’optimiser les revenus budgétaires de l’Etat. La part de la fiscalité pétrolière, rapportée au niveau des exportations d’hydrocarbures, est passée ainsi de 65% en 2004 à plus de 80% en 2013. Cette évolution contra-cyclique, acceptable bon gré mal gré pour l’opérateur national Sonatrach, l’a été sans doute beaucoup moins pour les sociétés étrangères. Ceci devrait donc expliquer en partie la désaffection qui a pu être observée à l’occasion des derniers appels d’offres pour l’attribution de nouveaux permis de recherche.
Le budget d’équipement comme variable d’ajustement
Pour l’heure, les autorités algériennes ne semblent pas trop inquiètes et le grand débat qui agite le microcosme économique est celui de savoir quel prix du baril de pétrole permet d’équilibrer un budget de l’Etat voté avec une rapidité surprenante, deux mois avant la fin de l’année légale. Bien sûr, le matelas du Fonds de régulation aide beaucoup à cette sérénité. Et puis, selon que l’on se base sur les prévisions de la loi des finances ou sur les réalisations en fin d’année, ce prix d’équilibre passe de 107 $ à près de 90 $US le baril. C’est que le budget des dépenses courantes de l’Etat est consommé, en moyenne à 95%, pendant que le budget d’équipement public ne l’est qu’à hauteur de 75%. Si l’on ajoute qu’une part non négligeable de l’investissement public peut être financée par des ressources non budgétaires et que l’administration dispose d’une marge de manœuvre importante dans la modulation de ce type de dépenses, on peut parier que le budget d’équipement (qui représente en moyenne près de 40% du total des dépenses de l’Etat) sera la véritable variable d’ajustement face à l’évolution du marché pétrolier mondial.
Tout ceci rassure sans doute ceux qui président aujourd’hui au destin du pays. Ils ne le devraient pourtant pas. La menace la plus grave vient précisément du fait que tout le pays a maintenant intériorisé totalement cette notion de niveau du prix du pétrole qui est appelé à équilibrer ses comptes budgétaires. Ce qui était au départ un simple outil pour l’évaluation de risques, du point de vue d’analystes ou d’agences externes, est devenu, progressivement, la boussole qui guide la politique économique de la nation. En bref, nous attendons du monde qu’il veuille bien s’adapter aux exigences de notre bien-être. Dans un contexte où même les plus grandes puissances économiques sont sommées, dans la douleur, de s’ajuster et de se réformer, pour continuer de prospérer, c’est là une attitude qui tourne le dos au simple bon sens. Une attitude qui risque de se payer très cher, le jour où le changement deviendra irrépressible.