Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l’article 202 de la Constitution, le président Abdelaziz Bouteflika a procédé, par décret présidentiel en date du 14 septembre 2016, à la nomination de la composante de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption.
Je ne saurais trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de droit, avec l’implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socioéconomique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités. La moralité du fait des ajustements sociaux douloureux à venir, avec la chute du cours des hydrocarbures de longue durée. Cela impliquera plus de moralité des dirigeants au plus haut niveau pour un sacrifice partagé afin d’éviter le divorce Etat /citoyens.
1.- Si l’on veut lutter contre la corruption, notamment contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d’information qui s’est totalement écroulé depuis plus des décennies posant la problématique d’ailleurs de la transparence des comptes, y compris, une grande société comme Sonatrach. Ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe avec l’ensemble des cadres de Sonatrach et d’experts, sur cette société, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R’mel et Hassi Messaoud tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas la mission des institutions de contrôle dont celle de la Cour des comptes serait biaisée. Dans les administrations, disons que c’est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du début des années 1960 ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Dans son rapport rendu public dont la presse algérienne s’est fait l’écho le 7 novembre 2012 le rapport de la Cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics et le manque de transparence. Le rapport dénombre105 comptes spéciaux du Trésor, dont 16 n’ont pas connu de mouvements. Le nombre de comptes d’affectation spéciale reste prépondérant avec 77 comptes, soit 73% des CST. Pour les autres catégories, il est recensé 11 comptes de prêts, 9 comptes de participation, 4 comptes d’avance, 3 de commerce et un compte d’affectation spécial «dotation». Les investigations de la Cour des comptes ont mis en exergue la gestion défectueuse des Comptes d’affectation spéciale (CAS), étant sollicités pour la réalisation des projets inscrits dans le cadre des plans quinquennaux 2004-2009 et 2009- 2014. Le rapport note outre la non-conformité aux principes de la comptabilité publique et aux dispositions de la loi, concernant tant les objectifs assignés, que la réalisation de projets et de programmes, afférents au budget d’équipement par l’intermédiaire des CAS. La quasi-totalité des CAS n’a pas été réalisé malgré le soutien de l’Etat et le volume des subventions. De plus, les banques ne produisent pas les états faisant apparaître la liste des bénéficiaires (particulier ou organisme) des bonifications sur les crédits accordés. Il a été noté également les insuffisances du contrôle fiscal. Sur un nombre de 376.770 dossiers fiscaux, 1465 ont été programmés pour la vérification de la comptabilité, le rapport soulignant les insuffisances et les dysfonctionnements relevés, faute de programme de modernisation de l’administration fiscale. s La Cour des comptes note également dans son rapport que le taux de recouvrement des impôts est très faible. Plus grave, le document fait état de détournements et l’opacité dans la gestion des dossiers du microcrédit, une bonne partie de ces dépenses étant constituée par des exonérations fiscales, dans le cadre de mesures incitatives introduites par les différentes lois de finances afin d’encourager l’investissement et l’emploi. Malgré l’importance des exonérations accordées, le suivi des projets retenus n’a pas été au rendez-vous. L’absence de contrôle a encouragé certains promoteurs à ne pas respecter leurs obligations ou engagements. Cette situation s’est aggravée par une défaillance dans la coordination des différents intervenants, Douanes, Impôts, Ansej et Andi. Ce qui a amené certains investisseurs à détourner les projets de leur destination initiale et, dans certains cas, à la cession des équipements acquis dans ce cadre.
2.- D’une manière générale, et au vu de la situation actuelle, il est évident que l’impact de la dépense publique entre 2000/2016, montant colossal est très mitigé comme la disproportion avec le taux de croissance durant cette période, une moyenne de 3% en moyenne alors qu’il aurait dû être le triple. Dans un rapport élaboré le 27 février 2013, repris par l’agence officielle algérienne APS, de la Caisse nationale d’équipement pour le développement (CNED), il est mentionné qu’uniquement que les grands projets (non compris les petits projets , ni ceux de Sonatrach/Sonelgaz non inclus dans le calcul) inscrits au titre du plan de relance économique 2004/2009 ont connu un surcoût global de 40% pour l’ensemble de ces projets, c’est-à-dire un surcroît d’argent public de l’ordre de 1 050 milliards de dinars, (plus de 13 milliards de dollars). Le rapport note que le maître d’ouvrage élabore souvent une offre financière et un délai de réalisation prévisionnel en croyant qu’il maîtrise tous les facteurs qui entourent son projet, ne prenant pas en considération des contraintes, ce qui engendre des réévaluations des autorisations de programmes récurrentes et coûteuses pour le budget de l’Etat. Le manque de maturation des études n’est pas le seul obstacle des réévaluations. Ces difficultés sont généralement liées à la libération des assiettes foncières et des emprises, aux retards dans le déplacement des réseaux divers, le retard dans le choix et l’installation des bureaux et suivi de contrôle des travaux, la faiblesse des capacités nationales de gestion et de suivi des grands projets, la non-maîtrise» des prix en Algérie en raison de l’existence de «marchés déstructurés».
Ainsi, a été adoptée entre 2010/2012 la Loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption prévoyant la création d’un office central de répression de la corruption (OCRC), qui visait «la consolidation des règles de transparence, de probité et de concurrence loyale concernant les marchés publics. Récemment dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l’article 202 de la Constitution, le président Abdelaziz Bouteflika a procédé, par décret présidentiel daté du au septembre 2016, à la nomination de la composante de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption. Signalons qu’il existe d’autres textes de loi traitant, également, de la lutte contre la corruption, comme la loi sur la monnaie et le crédit, relative à la répression des infractions de change et des mouvements des capitaux de/et vers l’étranger. Il s’agira impérativement de d’éviter le télescopage de tous ces organes et notamment de l’organe chargé de la corruption et la Cour des Comptes deux institutions stratégiques prévues par la Constitution. Pour la cour des comptes dont le rôle est stratégique dans la majorité des pays développés où existe un Etat de droit, en Algérie, elle est sous encadrée. Elle était composée en 2014 d’environ 100 magistrats financiers ne pouvant pas contrôler environ 17.000 entités (administration et entreprises publiques), notant qu’uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200 magistrats financiers. Ayant eu l’occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé ( en 1982 pendant la présidence de feu docteur Amir, ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l’efficacité des programmes de construction de logements et d’infrastructures de l’époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relation avec le ministère de l’Intérieur, et celui de l’Habitat assisté de tous les walis de l’époque, je ne saurais donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu’elle ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques. La Cour des comptes, doit éviter cette vision répressive et être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions. Elle peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption. Mais cela est insuffisant supposant un renouveau de la gouvernance sous tendue par la visibilité et la cohérence de la politique socio-économique, devant éviter ce désordre actuel dans les discours, rendant urgent une réorganisation gouvernementale.
Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l’Algérie est toujours en transition depuis 1986 ni économie de marché, ni économie planifiée, existant un lien dialectique entre la logique rentière bureaucratique et l’extension de la sphère informelle qui draine plus de 50% de la masse monétaire en circulation et accapare autant pour la superficie économique (voir mon étude réalisée pour l’Institut français des Relations Internationales IFRI décembre 2013 – Poids de la sphère informelle au Maghreb). C’est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation , posant d’ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l’entreprise publique en cas d’interférences ministérielles, donc du politique, où la loi sur l’autonomie des entreprises publiques de 1990 n’a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n’est-elle pas collective et renvoie au blocage systémique, les managers prenant de moins en moins d’initiatives ? Cela explique la bureaucratisation de la société avec des contraintes au niveau du climat des affaires où l’économie algérienne a enregistré, selon le Wall Street Journal, la septième plus grande régression dans l’indice de liberté économique en 2015, déclassée de onze rangs, occupant la 157e position sur un total de 178 pays. Cela explique le manque d’esprit d’entreprise qui est fondé sur le risque et la déperdition des entreprises productives.
En résumé, vision bureaucratique du passé, sans vision stratégique en ce monde turbulent, instable, mondialisé, certains responsables pensent que des lois ou nouvelles organisations, avec des changements de cadres juridiques perpétuels qui ont un coût, peuvent changer le fonctionnement de la société. Des ministres qui parlent de rigueur budgétaire alors que leurs projets ont été réévaluées à plus de 20/30% ; alors que son excellence Mr le président de la république appelle, devant la chute des cours des hydrocarbures, à une meilleure gestion des projets, Le Premier ministre dans ce cadre a adressé plusieurs circulaires aux membres du gouvernement et aux walis. Or l’on doit s’attaquer à l’essentiel et non au secondaire. L’Algérie a les meilleures lois du monde mais rarement appliquées et avec des institutions de contrôle qui se télescopent dont certaines dépendant de l’exécutif (IGF) étant juge et partie alors que leur indépendance est primordiale.
(*) Le Pr Abderrahmane MEBTOUL est docteur d’Etat en gestion (1974), Expert-comptable de l’Institut supérieur de gestion de Lille (France), Professeur des Universités, Expert International en management stratégique, Haut magistrat premier conseiller et directeur général des études économiques à la Cour des comptes (1980/1983)