La visite récente du premier ministre algérien fait suite à la réunion de la 8e session de la commission de coopération économique, commerciale, scientifique et technique algéro-russe, tenue en juillet 2015 qui avait a été sanctionnée par la signature d’un procès-verbal renforçant les relations bilatérales des deux pays et avait permis la signature d’accords bilatéraux afin de concrétiser la Déclaration de partenariat stratégique adoptée en 2001 à Moscou. Les relations historiques qu’entretiennent les deux pays sont de loin des déclarations d’intention.
En effet, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la Russie, hors armement, ont atteint 530 millions de dollars en 2014. La balance est clairement en défaveur de l’Algérie, surtout lorsqu’on sait que 523 millions de dollars des 530 millions représentent des produits importés par l’Algérie auprès des fournisseurs russes. Le reste soit 7 millions de dollars, représente l’infime valeur des exportations algériennes dont 3 millions de dollars en produits alimentaires à destination de la Russie. Nous assistons à une progression timide puisque le volume des échanges commerciaux bilatéraux qui a atteint 885 millions de dollars en 2015, bien qu’il n’était que de 175 millions de dollars en 2002. Les transactions commerciales entre l’Algérie et la Russie qui selon la banque d’Algérie devraient s’effectuer en roubles permettront-elles de dynamiser les échanges? Car les principaux partenaires de l’Algérie (fournisseurs et clients) sont l’Occident et la Chine. Bien que son excédent commercial vis-à-vis de l’UE diminue en 2015, de -95,7% à 457 MUSD en glissement annuel en 2014 de 14,8% à 10,7 Mds USD, avec des flux de 51,1 Mds USD (-27,0% par rapport à 2014), l’UE demeure le premier partenaire commercial de l’Algérie avec une baisse de -36,1%, passant de 40,4 Mds USD à 25,8 Mds USD (soit 68,3% du total des exportations algériennes, contre 64,2% en 2014). Les importations algériennes en provenance de l’UE sont passées de -14,6%, passant de 29,7 Mds USD à 25,3 Mds USD (soit 49,2% du total des importations de l’Algérie). Aussi, les cinq accords de coopération algéro-russe qui ont été signés le 27 avril 2016 à Moscou ne changent pas les tendances lourdes dans le domaine économique. Ils concerne selon l’APS un mémorandum d’entente dans le domaine de l’Habitat, un programme de coopération culturel algéro-russe 2016-2018, un accord de coopération entre l’Agence de presse algérienne (APS) et Rossiya Segodnya, un mémorandum d’entente entre le Commissariat à l’énergie atomique (COMENA), l’Algérie négociant la construction de centrales nucléaires à des fins pacifiques) et la corporation d’Etat russe (Rosatom), et un mémorandum d’entente entre l’Agence nationale de promotion et développement des parcs technologiques (ANPT) et la Fondation Skolkovo. L’Algérie et la Russie sont économies rentières forcément concurrentes (le géant russe Gazprom étant le pus grand concurrent de Sonatrach au niveau du marché européen). Mais existent des intérêts stratégiques énergétiques communs : stabiliser les prix.
Au contraire, les importations militaires en provenance de la Russie sont importantes, les russes pour équilibrer la balance commerciale devant contribuer à asseoir en Algérie une industrie militaire dans le cadre de la substitution d’importation. Lors de la visite qu’il a menée récemment à Alger, le Ministre des affaires étrangères russe a déclaré que les deux pays disposaient déjà d’une commission bilatérale sur la coopération militaire sur l’armement (Moscou étant le principal pourvoyeur en armes d’Alger). En janvier 2015, selon la presse russe, l’Algérie avait commandé à la Russie 12 bombardiers tactiques Soukhoï SU-34 dans l’objectif de rajeunir la flotte algérienne. Cette commande faisait partie d’un contrat d’armement signé en 2006 d’une valeur de 7,6 milliards de dollars pour la fourniture de systèmes anti-missiles, d’avions d’équipement et de technologies de défense maritime et terrestre. Mais l’aspect le plus important de cette visite concerne la conjoncture internationale politique et économique délicate, marquée par des foyers de conflits géostratégiques qui risquent d’hypothéquer dangereusement la paix dans le monde. La menace du terrorisme transnational, le crime organisé constituent une pleine identité de vue et une convergence entre l’Algérie et la Russie. Ainsi la Russie a appuyé les initiatives algériennes pour résoudre les crises en Libye et au Mali et, de manière globale, dans la région du Sahel. Les deux pays sont aussi d’accord pour que le règlement de toute crise internationale doit s’appuyer sur les normes du droit international, la Charte des Nations unies et le respect de la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les Etats.
3Contrairement à l’Algérie, le 22 août 2012, la Russie ayant adhéré à l’OMC après 18 ans de négociations, ayant conclu 39 accords bilatéraux concernant l’accès au marché pour les services et 57 accords concernant l’accès au marché pour les marchandises. Mais nous avons des économies à structures similaires et concurrentes, la part en gaz naturel au niveau du marché européen étant passé de 23% vers les années 2010 à 30% en 2015 au détriment de Sonatrach dont la part est passé de 13/14% à 8/9%. Selon le président Russe, il faut une stratégie agressive afin que la part du gaz naturel ne soit concurrencée par le pétrole/gaz de schiste américain, concurrent, puisque les USA exporteront bientôt en Europe, ne concurrence la Russie. Comme l’Algérie la Russie est riche en ressources naturelles, montant que le pétrole peut être une bénédiction( Norvège) mais également une malédiction (Venezuela) et que ce n’est qu’un moyen. En effet, la Russie dispose de ressources d’hydrocarbures considérables (2èmeproducteur mondial de gaz et 3ème producteur mondial de pétrole en 2014), d’autres richesses : charbon, or, nickel & cobalt, diamant, bois…). La part hors hydrocarbures est relativement faible, les principales spécialisations industrielles de la Russie résultant de l’héritage du complexe militaro-industriel soviétique (métallurgie, spatial, nucléaire, armement). Selon le FMI, les matières premières représentant 12% du PIB, 50% des ressources budgétaires et 70% des exportations russes avec la présence de l’Etat dans l’économie qui demeure importante (environ 40-50% du PIB). %). Mais comme pour l’Algérie, la baisse du prix du pétrole a un impact négatif tant sur l’économie que sur toute la société. Comme l’Algérie, après un rebond rapide en 2010-2011, l’économie russe, très dépendante des matières premières, a connu un ralentissement structurel depuis l’été 2012, amplifié depuis 2014 par la baisse du prix du pétrole et les sanctions internationales. En 2015 l’économie russe a connu une récession de 3,7% qui risque de se poursuivre en 2016 (-1% prévu par le FMI) et une récession accentuée en 2017, le taux de chômage d’environ 5,2% officiel étant remis en cause par le FMI. L’industrie manufacturière a régressé de 3% en 2015 et l’agriculture russe n’a profité que de manière marginale de l’arrêt des importations. Ainsi, avec un PIB de 1861 milliards de dollars 2014), il a connu une contraction de 3,7% en 2015. Les principaux clients (% des exportations, 2013) sont : Pays-Bas (13,3%), Italie (7,5%), Allemagne (7%), Chine (6,8%), Turquie (4,8%) et les principaux fournisseurs (% des importations, 2013) : Chine (16,7%), Allemagne (11,2%), Etats-Unis (5,2%), Ukraine (4,9%), Japon (4,2%). En 2015, l’excédent commercial s’est réduit de 33% par rapport à 2014, atteignant 161,4 milliards USD, les exportations chutant de 31,1% tandis que les importations chutaient de 36,7%. Même si certains indicateurs macroéconomiques sont relativement satisfaisants (excédent du compte courant, dette publique limitée), la situation des finances publiques est devenue vulnérable. Comme l’Algérie, bien que la dette extérieure reste faible et les réserves en devises environ 385 milliards de dollars au 01 janvier 2016, selon le site Demo Trading, contre plus de 540 milliards de dollars en 2012, (en Algérie étant passé de 192 milliards de dollars à 143 milliards de dollars s’orientant vers 93 milliards de dollars en 2017 selon le FMI) avec une importante fuite de capitaux, permettent à la Russie de tenir trois à quatre années (comme l’Algérie) et ce malgré la dévaluation du rouble permettant de voiler l’importance du déficit budgétaire, les salaires et les prestations sociales devraient baisser ainsi que les investissements (hors dépenses militaires). Les faiblesses principales de la Russie sont liées à la structure de son économie et au manque d’investissement, le rouble s’étant déprécié de plus de 50 % face au dollar. L’inflation pour le FMI sur l’ensemble de l’année 2015 a dépassé 18 %, bien plus que les quelque 10 % prévus par la banque centrale russe, avec des impacts négatifs sur le pouvoir d’achat. La classe moyenne est fortement touchée. Le nombre de Russes vivant en dessous du seuil de pauvreté est ainsi passé à 20,3 millions fin 2015 (14,1 % de la population), contre 18 millions en 2014 (12,6 %). La chute du prix du pétrole, couplée à l’effet des sanctions internationales ont coûté à la Russie 25 milliards d’euros en 2015, selon le ministre adjoint du développement économique, Alexeï Likhatchev (plus du double, en Europe avec les contre-sanctions). Ce qui amené le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie à amender les priorités stratégiques, approuvées par le président Vladimir Poutine le 31 décembre 2015, parmi lesquelles figurait en tête des menaces l’OTAN, et l’organisation atlantiste de défense, en élevant, notamment, le « déséquilibre du système budgétaire national » au rang de menace potentielle, tout comme « la vulnérabilité du système financier national ».
En résumé, excepté les achats militaires de l’Algérie à la Russie, et des points de vue politiques souvent convergents, les échanges économiques sont dérisoires moins d’un (1) milliard de dollars alors que les exportations russes dépassent les 500 milliards de dollars et les importations plus de 300 milliards de dollars. L’Algérie autant que la Russie doivent méditer le conseil de German Gref, patron de Sberbank, la première banque russe : « de la même façon que l’âge de pierre, qui n’a pas pris fin parce qu’il n’y avait plus de pierres, l’ère du pétrole est terminée. Nous nous sommes retrouvés dans le camp des pays perdants qui n’ont pas eu le temps d’adapter leur économie (…). Le futur est arrivé avant que l’on s’y attende ». C’est une erreur stratégique de raisonner et d’extrapoler sur un modèle de consommation énergétique mondial, expliquant la faiblesse de l’investissement dans les segments traditionnels. Le monde s’oriente entre 2020/2030 vers un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur le Mix énergétique devant assister à une recomposition du pouvoir économique mondial(1).
*Professeur des Universités expert international
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1)- Voir le quotidien le Monde.fr/Afrique ( Paris/France) du 11/04/2016 où a été analysée la conférence du professeur Abderrahmane Mebtoul (Marseille 17 avril 2016) sur la situation économique de l’Algérie et ses perspectives- compte rendu par Edouard Pflimlin
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