Algérie : sale temps pour les libertés individuelles et collectives

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« Le pouvoir profite de l’absence d’un contre-pouvoir pour essayer de détruire ce qui reste des espaces de libertés démocratiques », regrette Me Boudjemaâ.

L’étau se resserre davantage sur le champ des libertés individuelles et collectives. Depuis le début de l’année en cours, l’Algérie a enregistré une série de violations des droits et des libertés des citoyens pourtant consacrés par le Constitution et protégés par les conventions internationales relatives au respect et à la promotion des droits de l’homme, ratifiées par l’Algérie.

Syndicalistes, blogueurs, militants politiques, journalistes, acteurs, associations, migrants, demandeurs d’asile, réfugiés, partis politiques tout le monde a eu sa part de la nouvelle politique du pouvoir qui ne tolère aucune voix contraire à la sienne.

Interpellations, emprisonnement, gel des activités, interdiction, répression, refoulement et placement sous contrôle judiciaire sont les modes opératoires choisis par le pouvoir pour faire taire ceux qui continuent d’exprimer leur opposition à l’ordre établi.

La presse directement ciblée

Les journalistes algériens ont payé le prix fort de la nouvelle orientation des autorités publiques. Jamais dans l’histoire de la presse indépendante en Algérie néée dans le sillage de l’ouverture politique et médiatique de février 1989, on a eu autant de journalistes en prison. C’est la première fois dans le pays que six journalistes se trouvent au même moment en prison. Il s’agit d’Abdou Semmar( Algérie part), de Merouane Boudiab (Algérie Part), d’Adlene Mellah (Dzair Press), de Lies Hadibi (Al Djazair24), de Abdelkrim Zeghilache (Sarbacane), et enfin de Said Chitour (Indépendant).

Une situation inédite qui a fait réagir Reporters sans frontières et le Syndicat algérien des éditeurs de la presse électronique. Ces deux organisations ont exprimé leur inquiétude quant au recours à l’emprisonnement des journalistes souvent pour des raisons liées à l’exercice de leur travail.

A l’emprisonnement des journalistes s’ajoutent des pressions d’autres natures qui pèsent sur l’avenir de la presse en Algérie. Il s’agit du monopole étatique sur la publicité publique. Tous les médias électroniques et une partie de la presse papier privée du pays sont exclus de la publicité publique. Une situation qui fragilise ces médias sur le plan économique.

Les blogueurs et les avocats sous la loupe

Les blogueurs n’échappent pas de leur côté au fouet du pouvoir. La liste des blogueurs en prison ou poursuivis en justice ne cesse de s’allonger. On compte déjà l’emprisonnement de deux blogueurs en l’occurrence Marzouk Touati et Abdellah Ben Naoum. Plusieurs blogueurs se trouvant à l’étranger sont également ciblés par la machine répressive du régime. Le célèbre chanteur de RAP Lotfi DK est privé de passeport. Les services consulaires algériens en France refusent de renouveler le passeport du chanteur engagé. Un refus qu’il explique par ses positions politiques exprimées dans des chansons et des podcasts.

Amir DZ lui aussi se dit aussi privé de papiers et continue de recevoir des convocations pour comparaitre devant le juge. Connu par son engagement pour les causes justes, l’avocat et défenseur des droits de l’homme Me Nourredine Ahmine a comparu le 28 mai dernier devant le juge. Il était accusé d’« Outrage à un corps constitué » et de « Fausses déclarations ». Il a été acquitté, mais les ennuis de l’avocat ne se limitent pas à cette affaire puisqu’il est toujours en conflit avec le conseil de l’ordre des avocats.

Les plaintes se multiplient contre les syndicalistes

On se souviendra de 2018 comme d’une année noire pour les syndicalistes. Depuis le début de l’année, des dizaines de membres actifs de la Coordination nationale des militaires, des blessés, des radiés et des ayants droits ont été déférés devant le juge en raison de leurs activités syndicales. Le 5 du mois de décembre prochain, se sont 40 membres de cette organisation qui comparaitront devant le juge à Guelma.

Ils sont accusés d’attroupement armé et d’agression d’agents de l’Etat. Au début du mois d’octobre dernier, 11 membres de la même organisation ont été condamnés à des peines de prison avec sursis avec interdiction de se rendre dans trois wilayas à savoir Boumerdes, Alger et Blida pendant une période allant de 12 à 18 mois.

Le 11 novembre de l’année en cours, la chambre criminelle du tribunal de Bir Mourad Rais a décidé de maintenir sous contrôle judiciaire le syndicaliste Ahmed Badaoui. Ainsi, le syndicaliste entame sa septième année sous contrôle judiciaire pour avoir envoyé un SMS aux journalistes et à ses amis exprimant sa joie après la chute de Ben Ali en Tunisie et appelant à la participation aux réunions de la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD). Un cadre du FFS dans la wilaya de Laghouat a été mis aussi en prison ce mois de novembre. Une incarcération qualifiée de « politique » par son parti qui dénonce un procès politique.

Les luttes au sommet et l’absence d’un contre-pouvoir en sont la cause

Interrogés sur les raisons de ces campagnes qui ciblent les libertés, le syndicaliste Ahmed Badaoui se dit persuadé que ce qui se passe au sommet de l’Etat a un rapport direct avec cet embrigadement du champ des libertés. « Il est clair que la lutte au sommet sur l’avenir du régime explique en partie ce que subit le champ des libertés. C’est la continuité de la bataille entre Ouyahia et Louh », a-t-il affirmé. Il ajoute : « Cela met en évidence l’absence d’un consensus au sein du régime sur la question des prochaines présidentielle ».

Pour lui, si la question du 5è mandat ou de la succession avait été tranchée on n’aurait pas eu autant d’attaques contre les libertés et les droits. A cette explication, il ajoute l’absence d’un contre-pouvoir sur le terrain. « Le pouvoir est pratiquement seul. Si on avait une société civile forte et des partis d’opposition de taille, le pouvoir n’aurait pas osé aller jusqu’au boulot de sa logique », explique-t-il. Un constat parfaitement partagé par l’ex-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme Me Boudjemaâ Ghechir.

« Le pouvoir profite de l’absence d’un contre-pouvoir pour essayer de détruire ce qui reste des espaces de libertés démocratiques », regrette-t-il. Il enchaine : « les cafés littéraires de Bejaia, les avocats, les associations, les syndicats, les blogueurs tout le monde est ciblé par le pouvoir qui ne veut plus de voix dissidentes dans le pays. Il s’agit d’une grave régression ».

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