Ali Kader (Expert agronome) : « Des réformes de deuxième génération doivent être envisagées » - Maghreb Emergent

Ali Kader (Expert agronome) : « Des réformes de deuxième génération doivent être envisagées »

Facebook
Twitter

Expert agronome, écrivain et ancien cadre du secteur de l’agriculture, Ali Kader analyse dans cet entretien l’évolution du secteur agricole ces dernières années. Estimant que le raffermissement de la productivité nécessite des réformes, il appelle dans ce cadre à la redéfinition et au rééquilibrage des financements agricoles.

Maghreb Émergent : Quels sont les principaux changements qui ont touché le secteur agricole en Algérie cette année ?

Ali Kader : Des décisions importantes ont été prises depuis peu ; entre autres le réajustement des prix des céréales, l’autorisation d’importation de gros engins agricoles pour les chantiers du sud principalement, le lancement des périmètres de mise en valeur pour l’agriculture industrielle, l’identification des cheptels, l’électrification, ainsi que d’autres actions qu’il est inutile d’énumérer. Le progrès le plus palpable, reste, évidemment, l’approvisionnement constant des marchés en produits frais. Cela ne veut absolument pas dire que tout baigne dans l’huile, car il faudra bien un jour affronter de front les conséquences de la faiblesse de notre patrimoine génétique délaissé au profit des espèces et des variétés étrangères. Ces mesures quoiqu’utiles restent, à mon sens, insuffisantes pour redresser la barre.

Nous importons toujours autant de lait, de céréales et d’huile. Pour ce faire, des réformes de deuxième génération doivent être envisagées. La mentalité PNDA doit disparaitre et laisser place à un nouveau paradigme basé sur la rentabilité. La rente a fait son temps, la majorité des exploitations agricoles ont en bénéficié et logiquement mises à niveau. Maintenant, place à la performance et à la rentabilité ! On ne peut plus continuer à subventionner à perte des entités pour le plaisir de subventionner. Un vrai tonneau de danaïde ! Cela aussi ne veut pas dire qu’il faut supprimer les aides de l’état. Mais seulement, celles-ci doivent être sélectives, dirigées exclusivement aux productions stratégiques, et, surtout, liées aux résultats. Dans le système actuel, tout le monde est gagnant, même si c’est à perte ! Les seuls grands perdants sont l’État, forcé d’intervenir pour rééquilibrer l’offre et les consommateurs, forcés d’acheter du n’importe quoi à n’importe quel prix. Ainsi donc, à mon avis, le raffermissement de la productivité passe nécessairement par la mise en œuvre d’une première salve de réformes incontournables qui sont, la redéfinition et le rééquilibrage des financements agricoles, l’organisation et l’accès au foncier pas uniquement au sud, au profit de porteurs d’idées novatrices et de potentiels investisseurs, le lancement de programmes de recherche afin d’améliorer notre patrimoine génétique et l’adapter aux conditions édaphiques et climatiques actuelles et à venir, la refonte totale des capitaux marchands gérés à vau-l’eau et, enfin et surtout, appréhender le futur immédiat en liant les énergies renouvelables au dessalement de l’eau de mer. Déjà tout un programme pour une première salve !           

Selon le ministre de l’Agriculture, 1,6 million d’hectares sont irrigués en appoint, toutes cultures confondues.  Est-ce suffisant avec la persistance du stress hydrique, quel impact sur les rendements notamment pour les céréales sachant que la filière est fortement dépendante de la pluviométrie ?

1,6 million d’hectares, vous en conviendrez, ne sont absolument pas suffisants pour assurer au pays une sécurité alimentaire pérenne. Déjà qu’au sud, tout est à l’irriguer. La nappe albienne, fortement sollicitée, pourvoit à l’essentiel des besoins.

Avec les nouveaux programmes de mise en valeur dans ces régions, la SAU irriguée pourrait être portée dans un proche avenir à hauteur de 2 000 000 d’hectares. Ce qui n’est déjà pas négligeable, mais toujours insuffisant. Dire que l’agriculture saharienne serait la panacée qui va nous sortir de l’insécurité alimentaire serait aller vite en besogne. Pour les profanes, il est intéressant de rappeler que l’agriculture saharienne ne date pas d’aujourd’hui, elle a pris son essor au lendemain de la promulgation de la loi 83/18 portant accession à la propriété foncière agricole (APFA) qui a vu des périmètres émerger des sables du Sahara à l’image de Biskra, El-Oued, El-Goléa, Adrar et tant d’autres. 

Grâce à l’eau des nappes souterraines, bien des régions du sud sont devenues le potager du pays. Certaines autres, avec le lancement des nouveaux programmes de mise en valeur pour la production industrielle des blés et des fourrages, pourvoiront d’ici peu à réduire substantiellement les importations des blés et du lait.  

Ces régions ne recèlent pas uniquement une nappe albienne considérable qu’il faudrait savoir gérer avec beaucoup de précautions, car il en va de l’avenir des générations futures ; elles renferment aussi un gisement inépuisable, le plus important au monde en matière d’énergies renouvelables. Ne pas en profiter dès maintenant serait hypothéquer nos chances d’atteindre une SAU irriguée de plusieurs millions d’hectares. La pluviométrie devenant de plus en plus faible et aléatoire, voire violente, au nord, il est temps de penser à s’inscrire dans une autre logique de production autre que les cultures pluviales. La productivité céréalière et laitière est l’une des plus faibles au monde. Continuer ainsi, dans cette voie, c’est aider à la désertification de ce qu’il en reste du nord du pays que l’urbanisation effrénée, un autre fléau, gangrène au vu et au su de tout le monde.   

Le dessalement, la solution adéquate liée à cette manne énergétique à moindre coût, concourrait à irriguer les plaines intérieures du pays et une partie de la steppe que les changements climatiques et le surpâturage fragilisent d’année en année. Certains diront que c’est de l’utopie. Peut-être !  

Comment interprétez-vous la décision d’arrêter l’appui à la culture du colza tout en laissant le choix aux agriculteurs de se lancer dans cette filière ?

On ne décrète pas d’un jour à l’autre, la primauté d’une culture sur une autre quand bien même, au vu des chiffres des douanes, la facture des huiles est plutôt salée. Cela est vrai, personne ne peut prétendre le contraire ! Mais ce n’est pas une raison de partir ainsi à l’aventure.  Améliorons ce que nous savons faire ! Améliorons les rendements des céréales, des fourrages, du lait, des agrumes, de la pomme de terre, des dattes et tant d’autres. Cela est faisable, maintenant ! Aussi, on fait semblant d’oublier que l’Algérie est un pays de l’olivier. Qu’ont-ils de plus que nous ces pays du pourtour méditerranéen qui produisent et exportent de l’huile d’olive à profusion (Tunisie, Italie, Espagne) ? Les biotopes sont les mêmes, sinon meilleurs chez nous, et nous nous targuons de posséder plus que d’autres un réseau dense d’unités de trituration ! 

Le marché des viandes a connu de fortes tensions cette année avec la hausse des prix. Les solutions préconisées, notamment l’installation d’un conseil interprofessionnel dédié à l’élevage bovin, seront-elles à même de mettre fin à ces tensions ?

Le marché des viandes a de tout temps été sous tension. Même si certains s’éreintent à nous faire croire que nous en produisons assez, et que c’est de la faute aux turpitudes du circuit informel de commercialisation, les prix affichés sur les étals des bouchers, en constante dérive haussière, sont là pour démontrer le contraire. Question à un quintal d’orge : Depuis quand a-t-on vu le kilogramme de viande diminuer de prix depuis que l’orge est subventionnée ? Réponse à un quintal de son : Jamais ! Plus on distribue de l’orge, plus les prix prennent l’ascenseur. À méditer ! Un drôle de contrat à sens unique où paradoxalement tout le monde se plaint. Les viandes rouges sont produites en majorité par l’ovin des steppes et des hauts plateaux, conduit en extensif, entre 60 à 70 %, le reste étant fourni par le bovin et dans de moindres mesures par le caprin, le camelin, etc. Les lobbys feront tout pour que ces prix grimpent. Et dire que le ramadhan arrive ! Si quelqu’un doit être soutenu, ce ne peut-être que le petit éleveur. 

Il y a lieu de rappeler l’existence d’un conseil interprofessionnel des viandes rouges regroupant l’ensemble des acteurs de cette filière, de l’éleveur, des agro-fournisseurs , des transformateurs et distributeurs, chargé de la promotion et de la régulation de cette filière. La création d’un autre nouveau conseil doit être, soit complémentaire au premier, ou avoir d’autres missions que les pouvoirs publics auraient déjà définies.Si l’installation du seul conseil interprofessionnel allait régler le problème, alors, tant mieux pour les consommateurs. Mais, voilà, cela se saurait pour les autres filières qui ne manquent pas de ce genre de conclaves, mais qui, hélas, présentent les factures les plus lourdes des importations A tout prendre, ce nouveau-né serait le bienvenu pour peu que les décisions à venir, difficiles et courageuses, aillent dans le sens de mieux organiser et fluidifier la filière, réguler les aliments de bétails, notamment l’orge, qui soit-dit en passant, n’a pas de raison d’être distribuée en l’état.  Distribuer du son est à mon avis un non-sens ! Il ne faudra surtout pas s’attendre à des miracles ! Il est temps que l’ONAB joue pleinement son rôle et réhabilite la filière fourrages en vert et en sec pour pouvoir assurer la sécurité alimentaire des animaux au même titre que celle des humains.  

Facebook
Twitter