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Après l’Italie, le temps des révisions déchirantes pour l’Europe (contribution)

Par Yacine Temlali
mars 15, 2018
Après l’Italie, le temps des révisions déchirantes pour l’Europe (contribution)

Le monde ayant changé, l’Europe doit en tenir compte dans ses rapports avec l’Afrique et notamment les pays méditerranéens. Sa refondation impose d’être ambitieux; ce qui implique de sortir des désuètes catégories de la souveraineté à l’ancienne et d’une mondialisation à sens unique pour évoluer vers un partenariat véritable. La politique européenne ne peut plus être calée sur ses seuls intérêts, mais inclure ceux de ces partenaires directement ou indirectement dans une dépendance subie ou même nouvelle colonisation malgré une indépendance toute formelle.

 

Avec une percée historique des forces antisystème, eurosceptiques et d’extrême droite aux dernières législatives en Italie, la donne politique est complètement chamboulée dans le pays où l’incertitude règnera certainement quelque temps. Tout comme l’Italie, l’Europe ne pourra plus se gouverner selon ses méthodes actuelles ayant prouvé leur obsolescence. Elle est tenue de trouver solution à la défiance manifestée à son égard, de plus en plus manifeste partout sur un territoire européen rejetant, par réflexe populiste irrésistible, tout ce que symbolise Bruxelles.

Le défi lancé à l’Europe par la réussite des partis italiens, la Ligue d’extrême droite de Matteo Salvini, eurosceptiques et anti-immigration, et le populiste antisystème, le Mouvement 5 Étoiles de Luigi di Maio, vient confirmer le coup de semonce du Brexit. Ce qui condamne Bruxelles à se remettre en cause et à procéder à des révisions déchirantes pour réussir à relever le défi. Si la situation en Italie contraindra les politiciens à des calculs et des transactions pour s’en sortir en trouvant cette forme apparemment introuvable pour gouverner ensemble, éviter de nouvelles élections anticipées, c’est à une sortie de telles combinatoires habituelles autour de stratégies vaines et dépassées que l’on doit s’astreindre dans la capitale belge.

 

Mettre à jour le logiciel système

 

L’Europe est obligée de se rénover en revenant à ses fondamentaux que symbolise sa devise In varietate concordia (unis dans la diversité). Plus que jamais, cette devise doit être revitalisée en l’étendant au bassin méditerranéen. Cela suppose de la part des dirigeants européens une véritable révolution mentale, semblable à ce qui serait, en informatique, une révision majeure du logiciel système. Une nouvelle diplomatie est donc à inventer, ne devant plus être ce faux partenariat avec les pays du sud, qui sacrifie à l’immédiat les vrais intérêts, ceux du long terme.

Le monde ayant changé, l’Europe doit en tenir compte dans ses rapports avec l’Afrique et notamment les pays méditerranéens. Sa refondation impose d’être ambitieux; ce qui implique de sortir des désuètes catégories de la souveraineté à l’ancienne et d’une mondialisation à sens unique pour évoluer vers un partenariat véritable. La politique européenne ne peut plus être calée sur ses seuls intérêts, mais inclure ceux de ces partenaires directement ou indirectement dans une dépendance subie ou même nouvelle colonisation malgré une indépendance toute formelle en notre monde globalisé où les intérêts interdépendants sont forcément ceux d’abord des puissances tutélaires.

L’Europe, qui a bien besoin d’une Afrique ayant fait sa richesse, entend la cantonner à n’être qu’une arrière-cour, un souk où les marchandises ont plus de valeur que les humains. Ainsi ferme-t-elle ses frontières à ces derniers tout en agissant pour les ouvrir aux marchandises et aux services, se contentant de vivre sur les acquis du passé de prospérité et de la charité pour un continent méthodiquement pillé et toujours asservi. Elle ne peut plus continuer à user de son logiciel système des relations internationales, périmé et plein de bugs, devant enfin se résoudre à le remettre à niveau, en faire une révision majeure.

Les élections italiennes le démontrent bien : les populistes ne veulent plus de l’euro ni de la corruption et des castes aussi bien nationales pro-Europe qu’européennes déconnectées des réalités nationales. Surtout, ils ne veulent plus du phénomène migratoire bien que la migration n’existe plus techniquement, que ce n’est que le produit de la mauvaise gestion européenne de l’expatriation des gens du sud et qui en fait problème, fondé sur des réalités faussées ou biaisées. Il doit y avoir moins recours à l’aide, surtout comme pratiquée aujourd’hui, qu’à un codéveloppement sérieux, différent de ce qu’on en fait, manifestant un souci non pas pour les peuples concernés qu’aux privilèges de leurs dirigeants dont on fait des obligés.

Il doit y avoir également imbrication des économies de part et d’autre comme si elles relevaient d’une seule communauté, un même espace économique; ce qui est le cas actuellement, mais de manière strictement informelle, au service des intérêts européens et de leurs serviteurs du côté des responsables africains. Un partenariat juste et sérieux ne peut se limiter à l’aide au développement pour l’Afrique et qui ne représente rien par rapport au pillage dont le continent a fait l’objet. Cela impose des mesures sérieuses, relevant du sort commun des deux rives de la Méditerranée, commençant par l’intégration réelle à l’Union européenne du Maroc et de la Tunisie.

 

Éradiquer le bug migratoire

 

Comme déjà dans d’autres pays européens, le vote en Italie l’a bien montré : le rejet de l’étranger est devenu une rengaine électoraliste, un fonds de commerce juteux pour les partis affichant leur xénophobe ou en jouant. Dans un tel commerce politique, les amalgames ne manquent pas, assimilant ainsi réfugiés et migrants qui ne sont que des expatriés, outre la confusion de toutes les nationalités sous le seul vocable passepartout et inadapté d’immigré avec cette idée fixe que l’on vient piller une Europe qu’on ne veut plus quitter, même en se maintenant dans la clandestinité.

Ainsi ne parle-t-on pas de l’essentiel tel le pillage passé et présent des pays dont sont originaires ceux qu’on présente en envahisseurs. On ne se demande plus pourquoi ils viennent dans les pays européens, comme s’ils n’existaient pas de liens anciens établis par ces derniers du temps où ils se sont invités chez eux par la force. Ou encore ce qui a mis sur les routes les vagues de réfugiés qui ne font que fuir les agressions subies par leur pays, les en ayant fait sortir. Ou enfin si les diverses communautés immigrées présentent le même type de problèmes, la même prétendue défiance par rapport au pays d’accueil.

Si l’Europe doit retrouver son lustre d’antan, avoir de nouveau une capacité d’action dans un monde où les défis sont gros de terribles périls, elle est appelée à avoir une approche inédite de pareils challenges en osant tenir compte de leur cœur de cible qu’est la solidarité et l’éthique. Cela implique de prendre conscience qu’il n’y a désormais de problème migratoire qu’en artifice. Ce qui se vérifie notamment en matière sécuritaire dont on fait l’axe certes des rapports de l’Europe avec le monde, mais de manière absurde et contreproductive. En effet, si une telle coopération est incontournable avec les pays limitrophes de la rive sud de la Méditerranée ô combien vitale, la sécurité ne peut ni ne doit se réduire à une fermeture illusoire des frontières, supposant plutôt leur ouverture selon une technique rationalisée et parfaitement possible consistant en la transformation du visa actuel en visa biométrique de circulation, permettant la libre circulation dont l’absence crée la clandestinité. Car le visa ne sert pas la sécurité européenne, il la dessert même !

La révolution mentale que l’Europe est appelée à faire doit toucher en premier ses rapports avec le sud méditerranéen où commence sa sécurité, hors de ses frontières, sur les terres du Maghreb particulièrement; et elle ne peut être qu’euromaghrébine. Ce qui confirme la fatalité de l’adhésion à l’Union, dont ils relèvent déjà informellement, des deux pays maghrébins les plus proches de l’Europe que sont la Tunisie et le Maroc, notamment la Tunisie du fait de son parcours depuis sept ans. Cela permettra, par exemple, ce brassage des militaires que préconise le président français en Europe, et une coopération judiciaire à travers un parquet non plus seulement européen, mais euromaghrébin. Ce sont de telles initiatives qui seront efficaces en matière de terrorisme, de banditisme et de corruption, la coopération étant alors initiée avec les pays en première ligne de la confrontation avec ces fléaux multidimensionnels et universels. Et cela doit se faire avec des pays membres de l’UE et non de nouveaux colonisés.

Il est impératif, par conséquent, d’entrevoir un partenariat inédit pour une Europe de demain aux frontières virtuelles, aux valeurs vraiment universelles, dépassant les diversités en les unifiant, renouant avec son esprit pionnier des origines, un pari réussi sur l’avenir. Or, demain est déjà aujourd’hui, imposant la réconciliation des deux rives de la mer commune pour que l’Europe abandonne enfin sa posture de colonisateur, aujourd’hui mental et virtuel, devenant l’incubateur du développement qu’elle empêche nolens volens du fait des rapports injustes du système mondialisé.   

 

En finir avec la clandestinité

 

Assimiler la clandestinité à de l’invasion est une vision saugrenue et injuste d’une présence étrangère qui n’est illégale que par le défaut entretenu de la légalité. En effet, il n’est de clandestinité que du fait de l’impossibilité de circuler légalement. Or, l’outil ci-dessus évoqué du visa biométrique de circulation le permet en autorisant, pour une période maximale de trois mois, de circuler librement durant une année au moins et de ressortir du pays afin d’y revenir pour une nouvelle période de trois mois. Avec cet outil, il sera possible d’éradiquer la clandestinité qui a été, rappelons-le, encouragée par les pays européens lorsqu’ils avaient besoin de main-d’œuvre qu’on faisait venir et vivre dans les pires conditions. Un tel passé ne peut ni ne doit être oublié. Il doit servir à ne pas persévérer à créer de nouveaux « machins » ne servant à rien, tel cet « office européen de l’asile » dont on parle de plus en plus, ou la police européenne des frontières pour harmoniser les procédures et les politiques, puisque le fondement même de telles structures est à revoir. Dans un monde devenu immeuble planétaire, il n’est plus permis de continuer à gérer comme avant le phénomène des mouvements humains; peut-on et doit-on barricader les accès aux étages de notre immeuble commun ?

Avec la Tunisie dont la communauté expatriée est réduite, il est parfaitement possible de commencer sans plus tarder à tester ce qui serait la règle des relations extérieures de l’Europe : le libre mouvement humain sous visa biométrique de circulation gratuitement délivré. Outil fiable, respectueux à la fois des réquisits sécuritaires et de ce droit humain qu’est la libre circulation, il s’impose à la fois éthiquement et juridiquement, mais aussi logiquement du moment qu’on s’achemine vers une totale liberté de circulation des produits et des services en un monde libéral globalisé. Il ne sert donc plus de dépenser des fortunes dans des entreprises vouées à l’échec, produisant une bureaucratie supplémentaire. Avec des frontières ouvertes de manière sûre, il n’y aura ni immigrés ni réfugiés, ni clandestins, juste une circulation ininterrompue dans tous les sens, canalisée en un premier temps par l’outil incontournable du visa devenu de circulation. Qu’on en teste donc la validité, la faisabilité et l’efficacité avec la Tunisie dont les ressortissants ont prouvé leur maturité !

Cela aidera à en finir avec cet argument bidon du rejet des valeurs d’Occident par les étrangers; pourquoi se maintiennent-ils donc en Europe, y compris clandestinement si c’était le cas ? Au vrai, c’est une vision hautaine qu’on a en Europe du reste du monde, l’intégration ne signifiant ni assimilation ni exclusion, mais le respect de la différence qui est une richesse, l’acte de s’intégrer ne pouvant relever que de choix personnel en un monde guère plus cloisonné, du moins pour l’espace des pays partageant les mêmes valeurs humanistes.

Faut-il, pour cela, arrêter de faire la guerre, dont souvent l’Occident est aussi à l’origine ! Il y a recours, certes, par souci du service de ses intérêts de puissance dominante, mais sans la moindre considération de ses devoirs de solidarité à l’égard du reste du monde. Or, son statut de puissance tutélaire implique justement la solidarité tout autant que la légitime veille de ses intérêts.

Au lieu de simuler la solidarité ainsi qu’on le fait aujourd’hui, qu’on la pratique sérieusement en agissant sur les causes des malheurs des expatriés, émigrés ou réfugiés ! Que le « socle commun » dont parle M. Macron dans ses propositions pour refonder l’Europe soit celui d’une approche humaine et non seulement humanitaire des malheurs de notre monde déboussolé dans le cadre d’un espace de véritable solidarité. Ce qui impose de revoir les fondements nationalistes actuels des politiques occidentales, notamment celle de l’UE, sa devise d’union dans la diversité y obligeant.

 

(*) Nous republions les articles de Farhat Othman, avec son aimable accord. Cet article a été publié initialement sur son blog sous le titre : « Après l’Italie, le temps des révisions déchirantes pour l’Europe ».

 

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