« Pourquoi est-ce aussi difficile de perdre Hocine Aït Ahmed? ». La question de Souhila Benali en ouverture du Café presse politique (CPP), l’émission d’actualité politique de Radio M, du jeudi 31 décembre, a rythmé ce dernier numéro de l’année en deux mouvements.
D’abord la rétrospective: « Est-ce parce qu’il nous jette à la figure l’idée que l’on a échoué à mettre en place un système basé autour de ses valeurs de démocratie et droits de l’homme? », a poursuivi l’animatrice. Ensuite la prospective: « La mort de Hocine Aït Ahmed peut-elle provoquer un déclic dans la vie politique algérienne? ».
Symboles
Défenseur fidèle et infatigable de l’Etat de droit, la mort du grand opposant politique à Lausanne mercredi 23 décembre, reflète d’abord un échec cuisant. « On se rend compte de la défaite de l’Algérie depuis 1962 », souligne le journaliste Hacen Ouali.
« Aït Ahmed incarne une Algérie qui aurait pu être mais que nous n’avons pas eus : une Algérie humaine, plurielle, démocratique », relève de son côté Saïd Djaafer, directeur éditorial du Huffington Post Algérie.
« Partisan d’une Algérie morale, éthique, il est l’anti-symbole de l’Algérie d’aujourd’hui », renchérit le journaliste Abed Charef, ajoutant que le mot qui colle le mieux à Hocine Aït Ahmed est « abnégation ».
« La mort de Aït Ahmed nous rappelle que l’on a tous un peu renoncé à l’Algérie qu’il nous proposait et c’est ce qui provoque l’onde de choc de cette semaine », commente pour sa part Ihsane El Kadi, éditeurs de plusieurs médias en ligne, en soulignant que le dernier homme politique à avoir soulevé autant d’émotions était Mohamed Boudiaf.
Militant
Outre les idées, les actions aussi, accomplies tout au long de l’immense carrière politique du défunt révolutionnaire, renvoient par contre-champ au vide actuel. « Aït Ahmed nous met face à notre peur de la relève car avec sa disparition on sent qu’il y a encore moins d’alternative », souligne Akram Kharief.
Ihsane El Kadi énumère trois types d’engagement représentant le sens de l’histoire détenu par Aït Ahmed: la lutte insurrectionnelle, le choix de la démocratie et la construction de nouveaux consensus.
« La force politique de Aït Ahmed c’est sa radicalité dans la démocratie », estime-t-il, comparant le parcours du fondateur du Front des forces socialistes (FFS) à celui de Nelson Mandela.
Pour achever ce tableau de l’homme politique, Saïd Djaafer a tenu à rappeler le militantisme de Aït Ahmed. « C’était avant tout un militant, il aurait pu exister sans parti mais il a tenu à créer le FFS qui est le produit de ce militantisme, une valeur qui s’est perdue aujourd’hui ».
Déclic
Et si la disparition de Hocine Aït Ahmed était le point de départ d’un réengagement politique des Algérien(ne)s. La plupart des journalistes du CPP veulent y croire à l’exception de l’éternel sceptique Abed Charef.
« Sa disparition peut constituer un nouveau départ dans la vie politique nationale: il y a un élan extraordinaire dont il faut se saisir pour faire de ce moment historique du 1er janvier un nouveau projet pour l’Algérie », estime Hacen Ouali.
« Nous vivons des moments d’émotion mais aussi d’introspection. Ça amène beaucoup de gens, des jeunes notamment, à se poser des questions qu’ils avaient évacué comme on aurait pu faire un autre pays. C’est déjà un début de réflexion. Le déclic, oui, inch’allah! », souhaite Saïd Djaafer.
Mais l’enthousiasme des participants a été freiné par Abed Charef qui note que pour qu’il y ait un déclic, il faudrait des organisations et des partis qui prennent en charge les valeurs de Aït Ahmed. « Ça, c’est le travail militant de tous les jours et malheureusement sur ce terrain là, le pays est laminé, ce sont des choses à reconstruire », a-t-il relevé.
Pour Ihsane El Kadi, seul le temps long permettra de déterminer si « l’opportunité de remettre du politique dans l’action publique a été saisie ». « On saura dans quelques mois si ce qui s’est passé aux funérailles est le point de départ d’une remobilisation, avec des militants qui vont vouloir se remettre à faire de la politique et vouloir probablement adhérer au FFS », a-t-il déclaré en rappelant que » les Tunisiens ce sont emparés du vieux bourghibisme pour lutter contre l’affairisme débordant de Ben Ali ».
C’est sur cette dimension maghrébine chère à Hocine Aït Ahmed que les membres du CPP ont achevé ce dernier CPP de 2015. Avant de souhaiter une belle année aux auditeurs. « Bonne année pour une nouvelle année du quatrième année », a ajouté Abed Charef avec son humour habituel.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1VtOSHa